Tensions Cameroun – France: Cazeneuve reçu à Yaoundé pour recoller les morceaux ?

Bernard Cazeneuve le Ministre de l’Intérieur français a été reçu en audience ce vendredi 15 mai par S.E Paul Biya, Président de la République du Cameroun. Cette visite annoncée sur le site du Ministère de l’Intérieur avait officiellement pour but d’aborder :
« [i]les thématiques migratoires et sécuritaires, dans ce pays en lutte contre Boko Haram aux côtés du Nigeria, du Niger, du Tchad et du Bénin. Le ministre de l’Intérieur devait également rencontrer les membres de la communauté française au Niger et au Cameroun. Enfin cette visite a été organisée alors que l’Europe fait face à un afflux de migrants sur ses côtes, qui a fait déjà quelque 1.800 morts dans des naufrages depuis le début de l’année.[/i] »
Au delà de la communication officielle, l’objectif pour certains observateurs est de tenter de renouer les liens détériorés entre Yaoundé et Paris. En effet, les relations entre la France et le Cameroun sont notoirement mauvaises. Au moment où les USA versent une aide financière de 40 millions de $, l’opinion publique camerounaise est très remontée contre la France accusée d’ingratitude au mieux et au pire d’être derrière Boko Haram.

Le poids de la colonisation
Après l’abolition de l’esclavage, afin de poursuivre l’exploitation du gâteau africain le traité de Berlin répartit entre puissances coloniales l’Afrique. Après les deux guerres mondiales où les colonies ont fourni la chair à canon les revendications d’indépendance aboutissent dans les années 1960. L’indépendance est accordée mais en prenant le soin de garder saufs les intérêts économiques de la France qui va rester le partenaire exclusif du Cameroun comme d’ailleurs tous les pays qui ont été sous sa domination coloniale. Mais dans les années 1980 une tentative de mettre fin à ce que certains qualifient de contrat léonin en se rapprochant de l’Allemagne est initiée mais ne fait pas long feu. Une série d’événements liés au rapprochement avec la RFA vont irriter Paris. Il y aura d’abord au cours d’un discours le fameux « [i]le Cameroun n’est la chasse gardée de personne[/i] » de Paul Biya et la visite d’Helmut Kohl à Yaoundé. Facteur aggravant, l’Etat camerounais va décider de se doter de la technologie allemande PAL pour la télévision au détriment du SECAM français. Le Cameroun subira le courroux de la part de la France et l’Allemagne sera priée de ne plus intervenir dans son précarré. Les camerounais avaient peut être imprudemment voulu signifier que le temps de l’indépendance était arrivé. La suite on la connait, avec 15 années de grandes difficultés et humiliations (ajustements structurels, demandes de rééchelonnement de la dette coloniale).

Soupçons d’attitude française néo colonialiste
Depuis 15 années le Cameroun se redresse avec une croissance annuelle autour de 5%. En 2010 le Cameroun comme plusieurs pays issus de l’AEF et AOF ont célébré leur indépendance. Cette même année au Cameroun a coïncidé avec la décision stratégique au Cameroun de se tourner vers la Chine, la Russie et les USA. Est ce la fin des 50 ans d’exclusivité ? Cela pourrait s’appuyer sur le rapport Védrine qui fait état d’une baisse de 14% de la part de marché de la France au Cameroun au bénéfice de la Chine qui en est devenue le principal partenaire. Est ce pour cette raison que Paul Biya qui ne manque pas de malice dans cette vidéo offre à Bernard Cazeneuve la médaille commémorative des 50 ans d’indépendance ?

La France a une dette morale vis à vis du Cameroun
Une page des manuels d’histoire reste étonnamment vide, celle qui parle de la naissance de la France libre au Cameroun. En-effet, en 1940 suite à son échec à Dakar le Général De Gaulle envoie le Colonel de Hauteclocque (Leclerc) à Douala pour tenter de rallier le Cameroun. C’est grâce au ralliement des chefs traditionnels camerounais que le 27 aout 1940 le Cameroun deviendra le premier territoire de la France libre. La 2e division blindée a l’épopée mythique nait dans la foulée à Douala. Les camerounais le savent et se posent donc des questions légitimes sur l’attitude des autorités françaises à leur égard au moment où ils font face au nouveau visage du fascisme incarné par Boko Haram. C’est ce qui pourrait expliquer que Bernard Cazeneuve insiste sur le partage d’informations car la France n’a selon des sources camerounaises pas toujours été coopérative dans ce domaine.

Pour un partenariat égalitaire entre la France et les pays africains
Le temps de la colonisation est désormais révolu. Grâce à l’émergence de la Chine et des BRICS, les pays anciennement sous domination coloniale ont la possibilité de choisir avec qui commercer. Ces pays qui ont de plus été décimés par la traite négrière aspirent au respect. Je reprends ici les propos du rapport Védrine :

« [i]Pour la plupart des Français, l’Afrique est le continent des laissés-pour-compte, de la misère et de la pauvreté.[/i] »
Mais il y a une autre Afrique qui est en plein boom économique. Les BRICS et les USA ne s’y sont pas trompés et l’arrogance française qui a souvent fait échouer sur la finalisation de négociations commerciales (rafale) est l’une des raisons qui pousse des pays comme le Cameroun à lui tourner le dos. La Chine confrontée à des besoins en matières premières n’a guère le choix et elle le sait. Dernier exemple en date, l’Australie qui a conclu avec l’Etat camerounais l’exploitation d’un gigantesque gisement de fer (le 2e en importance du continent).
François Hollande et les diplomates du Quai d’Orsay gagneraient à s’inspirer du Rapport Védrine et mettre un terme à la doctrine actuelle, car elle est en train de faire perdre à la France un débouché économique stratégique. Il est temps d’initier un partenariat égalitaire fondé sur le respect mutuel et le développement partagé entre la France et les pays africains.

blogs.mediapart.fr/blog/vincentbiloa: Vincent Biloa

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