Cameroon – Homosexualité: Gays et lesbiennes prennent d’assaut internet au Cameroun

Les espaces virtuels consacrés à ces communautés s*e*xuelles fleurissent depuis quelques temps sur les réseaux sociaux. Objectif affiché, aider leurs membres à affronter la pression sociale. Enquête.[pagebreak]C’est connu, les possibilités qu’offrent les outils du réseau internet sont intarissables. Et la multiplication des points de connexion semble avoir décuplé leur influence dans la société camerounaise sur tous les plans. Grâce à ces nouveaux outils, les personnes homos*e*xuelles au Cameroun ont trouvé un allié de poids pour se défiler du regard condescendant et réprobateur de la société et de la législation. Groupes Facebook, blogs, sites de rencontre entre personnes du même s*e*xe, des initiatives se multiplient en ligne pour rapprocher et renforcer les liens de solidarité entre les membres d’une communauté qui se sent menacée. Exactement comme l’indique ce slogan emprunté à une plateforme d’échanges entre lesbiennes made in Cameroon : «Les répressions familiales et sociales envers les lesbiennes, nous sommes aussi humaines!»

Un cri du cœur destiné à résumer le sentiment de plusieurs femmes confrontées au rejet systématique de l’homos*e*xualité dans la société camerounaise. Le groupe compte quelque 762 «J’aime». Une performance pour un site public que de nombreux camerounais inscrits dans les réseaux sociaux n’oseraient seulement pas visiter. Selon les statistiques piochées directement sur la page Facebook du groupe, le projet a été implémenté dès septembre 2012. Au moment où nous la consultons, la tranche d’âge de personnes qui a le plus cliqué sur le bouton d’adhésion est comprise entre 18 et 34 ans. Celle-ci se trouve principalement à Yaoundé, la capitale et la période de progression de l’activité la plus forte est octobre 2013.
En rapport avec les pages réservées aux «hommes qui aiment les hommes», le groupe des lesbiennes du Cameroun connaît un franc succès auprès de sa cible. Il ne suffit que de visiter l’animation de son mur d’actualité. Conseils sur la santé, dernières actu sur les membres de la communauté, hygiène intime, partage de liens sur le mouvement gay, messages d’encouragement mutuel, etc. Ici, les discussions directes sont plus que rares et les abonnées ne se connaissent pas forcément. Mais en lisant les commentaires, il est clair que la relation phatique entre les membres est recherchée et que les habituées savent où se retrouver. D’ailleurs les administrateurs de la page n’hésitent pas à rendre compte des conférences et autres manifestations publiques auxquelles assistent des membres ; que ce soit au Cameroun ou à l’étranger. Seulement, aucun visage ne se dévoile. Une activité sur les réseaux sociaux sans le visage de ses animateurs? Ce n’est pas exactement la même chose dans les espaces en ligne consacrés exclusivement aux gays – homos*e*xuels hommes. Même si certains utilisent des pseudonymes, l’identité de nombreux messieurs n’est pas un secret dans les groupes Facebook auxquels ils participent. Une raison à cela : les filles animent une page et même un blog tandis que les garçons semblent avoir opté pour des groupes.

Le temps des hommes
Le plus important groupe d’hommes homos*e*xuels au Cameroun sur Facebook compte environ 500 membres et il faut passer par l’administrateur pour y avoir accès. Pour comprendre son fonctionnement, l’enquêteur curieux se voit contraint de se rabattre sur des groupes concurrents. Ceux-ci sont ouverts à tous les internautes. A partir de l’exploration de ces espaces réduits, il est possible de tirer les principales caractéristiques de ces outils de médiation. Du point de vue du contenu en effet, les garçons ont des centres d’intérêt bien plus pratiques que les filles. Pour ces derniers les références au s*e*xe sont explicites que ce soit à travers les photos que postent certains membres ou à travers les commentaires. L’utilisation des codes communautaires est ici la chose du monde la mieux partagée : dans les fils d’actualité on parle d’«actifs», on se fait des photos de torse poilu et parfois lorsqu’un amis étranger tombe sur ces contenus, la gêne est à couper au couteau. Les plateformes de mise en réseau des lesbiennes et des gays camerounais sont un moyen de se faire une idée de la vie à l’intérieur de la communauté locale LGBT (lesbiennes, gays, bis*e*xuels, transgenres). Car en plus des conseils que les administrateurs de la communauté lesbienne peuvent laisser sur leur page, la cible elle-même se raconte au fil des jours. Il y en a aussi qui parlent de leur relation actuelle et qui n’hésitent pas à demander le soutien de la communauté. C’est le cas de l’auteur gay du commentaire suivant : «S.O.S mes frères ! Pardon, donnez-moi d’urgence une idée. Mon ami à moi vient de se faire menacer par mon grand frère et il a avoué notre relation gay. Que faire mes génies ! Je suis à court d’idée. Pardon, j’attends vos réactions». Une semaine après le post, les réponses se font toujours attendre, en vain. Il y a aussi des violences conjugales, des jalousies extrêmes et des viols. Sur 10 lesbiennes au Cameroun, sept auraient déjà été violée dans une relation hétéros*e*xuelle, du fait de leur orientation s*e*xuelle, estime l’un des administrateurs de la page qui leur est réservée.

Les armes de la répression
Internet agit également comme un promontoire pour attaquer directement le gouvernement. La communauté LGBT du Cameroun a ses stars dans la vie matérielle comme en ligne. Celles-ci s’appellent Me Alice Nkom d’une part et d’autre part Eric Lebembe et Roger Mbédé, deux activistes homos*e*xuels décédés dans des conditions troubles respectivement en juin 2013 et en février 2014. Des personnalités au profil particulier et dont l’actualité a souvent poussé le gouvernement à se prononcer. M. Lebembe par exemple a été retrouvé assassiné à son domicile à Yaoundé. Face à l’opinion des médias occidentaux qui accusaient le gouvernement d’avoir laissé prospérer des meurtres contre les homos*e*xuels, le ministre de la Communication s’était cru obligé d’apporter des éclaircissements en indiquant qu’il n’y avait pas une politique de chasse aux sorcières contre les homos*e*xuels au Cameroun. Mal lui en a pris puisque son mur Facebook a été pris d’assaut par les administrateurs des plateformes virtuelles de défense des intérêts de cette communauté s*e*xuelle. Leur action semble avoir été si nuisible qu’il est aujourd’hui impossible de retrouver le compte Facebook personnel du ministre Issa Tchiroma. Un comble pour le patron de la communication au sein du gouvernement ! En même temps que les lesbiennes s’en prennent à Issa Tchiroma Bakary par exemple, internet les met également à la portée de leurs adversaires les plus acharnés. Leur principal ennemi, un certain Sismondi B. Bidjoka. Le journaliste et polémiste anime également une page sur Facebook qui compte plus de 4 000 membres. Entre autres sujets, il y dénonce les méfaits des pratiques célébrées par les gays et les lesbiennes. D’ailleurs l’un de ses plus récents post est le titre de son dernier ouvrage : Homos*e*xualité, un crime contre l’humanité.

La multiplication des plateformes en ligne d’échanges entre personnes homos*e*xuelles au Cameroun n’est pas une réalité récente, indique Mme Lamana, spécialiste de la veille stratégique et chercheur en Sciences de l’information et de la communication. Au-delà des aspects sociologiques qui peuvent expliquer cet état de fait, l’enseignante à l’Institut africain d’Informatique de Yaoundé constate que les personnes qui participent aux discussions dans ces groupes virtuels sont de plus en plus jeunes et se recrutent davantage parmi les garçons. Ce mouvement se conjugue à la recrudescence des espaces de promotion de la prostitution sur internet. Un phénomène qui concerne aussi bien les relations homos*e*xuelles qu’hétéros*e*xuelles. En plus de cela, force est de constater que la présence des espaces publics et privés consacrés à la vie homos*e*xuelle, animés par des Camerounais qui vivent au Cameroun est un défi à l’option répressive de l’État.

L’homos*e*xualité est en effet considérée comme un délit au Cameroun selon les termes de l’article 347 bis du Code pénal. Le régime de sanctions peut atteindre cinq ans de prison en cas de flagrant délit. Mais que peuvent les autorités lorsque des contenus explicites sont publiés sur la toile par des défenseurs de la communauté LGBT ? Pour les administrateurs des pages et des groupes, il s’agit de l’exercice de la liberté d’expression dans ce qu’elle a de plus essentiel. Un officiel du ministère de la Communication est d’avis tout à fait contraire sur la question. Il estime que même si aucun texte n’est encore disponible pour réprimer ce type de «dérives», on ne peut pas dire qu’il y a un vide juridique. Les contenus postés sur internet bénéficient de la protection de la loi sur la liberté de la communication sociale. Et la promotion de l’homos*e*xualité pourrait être lue comme une atteinte aux bonnes mœurs. Cependant assure-t-il, la réflexion qui doit se tenir à Johannesburg, Afrique du Sud cette année sur le droit des contenus en ligne en Afrique devra être un début de solution.

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