Cameroun: Le paradoxe de l’agriculture dite de seconde génération vs agriculture familiale: Et si le ministère de l’agriculture prenais un peu conscience

Il n’y a plus qu’au Cameroun que l’on peut se permettre de traiter l’agriculture familiale paysanne d’archaïque sans soulever le tollé des organisations paysannes, de la société civile et de tous les acteurs de développement.[pagebreak] Espérons que la situation va évoluer avec la proclamation en 2014 comme année internationale de l’agriculture familiale par les Nations unies.
De fait, Il existe des chiffres qui font peur. 90% de la population camerounaise vivent de l’agriculture de subsistance et la taille moyenne des exploitations varierait de 0.30 à 0.5ha. Malgré ces faits graves, la très grande majorité des décideurs politiques (ministère de l’agriculture) et des conseillers techniques étrangers ne jurent que par le développement d’une agriculture mécanisée commerciale dite de « seconde génération » qui serait la seule à pouvoir sortir le Cameroun de la pauvreté.
Force est de reconnaitre cependant que l’agriculture dite de « seconde génération » n’est rentable que dans certaines conditions très précises et tout d’abord la technologie qui permet de réaliser des économies d’échelle. C’est précisément ce qui manque au Cameroun. Tous les agronomes savent parfaitement que le coût le plus important en agriculture demeure celui de la main d’œuvre qui représente souvent jusqu’à 70% des charges. Il est dès lors très difficile de concurrencer l’agriculture familiale dans laquelle la main d’œuvre n’est pas rémunérée ou l’est très faiblement. Et cela d’autant plus que les paysans font régulièrement face à des invendus ou sont obligés de céder leur production à vil prix à certaines périodes de l’année.
Certains hauts fonctionnaires « élites » (fonctionnaires, salariés du secteur privé ou hommes d’affaires) se sont lancé dans l’agriculture dite de « seconde génération ». L’expérience s’est soldée par des échecs patents avant de se rendre compte que l’agriculture exige que le propriétaire vive en permanence dans son exploitation. La très grande majorité des fonctionnaires camerounais ont déjà tenté de valoriser les terres familiales ou achetées et a souvent dû abandonner l’expérience suite à des coûts intenables de main d’œuvre. Les quelques « Haut fonctionnaires » qui réussissent sont ceux qui profitent de véhicules et carburant de l‘Etat pour assurer le suivi rapproché de leurs exploitations.
Malgré les performances limitées de l’agriculture familiale, nous devons nous rendre à l’évidence. C’est elle qui continue à nourrir l’ensemble du pays et elle y réussit sauf dans des cas plutôt limités de perturbations climatiques somme toutes circonscrites. C’est elle aussi qui, au travers de plantations familiales de café, de cacao et autres cultures assure l’essentiel des revenus et des devises au Cameroun. C’est également elle qui produit les importants invendus que l’on retrouve sur nos marchés locaux où le paysan brade sa récolte à quasi rien pour pouvoir rentrer avec un peu de sel. Continuer à traiter cette agriculture d’archaïque représente donc une grave injure à nos courageux paysans et paysannes.
Des milliards de FCFA sont investis chaque année dans l’agriculture dite de « seconde génération » sans produire les effets escomptés et on ne cesse d’en demander davantage comme si la question fondamentale était l’argent et non les hommes. Le moment ne serait-il pas enfin venu de reconnaître que ce sont les décideurs du ministère de l’agriculture et autres hauts fonctionnaires qui font la loi dans les hautes sphères de la république qui devraient changer et non d’abord les paysannes et les paysans ?
L’association des cultures tant décriées par les hauts cadres du ministère de l’agriculture, permet de produire 1.5 fois plus que les cultures pures. Le paysan camerounais qui a vraiment défié les cultures pures malgré les pressions des décideurs politiques a une fois de plus fait le meilleur choix. Les pressions actuelles sur les paysans pour qu’ils rentrent dans des approches ’’ filières ‘’ ou dans la spécialisation ou la régionalisation représentent également des schémas tellement risqués que l’on doit s’interroger sur les véritables intentions de leurs promoteurs. Comment survivra un paysan qui aura consacré l’essentiel de ses terres à une seule culture, si cette dernière est attaquée par une épidémie ? Comment va-t-on compenser les pertes que subiraient des paysans en cas de chute du prix de la filière en promotion ?
Le paysan a raison de refuser que sa nourriture soit arrimée sur les cours de la bourse dont il n’a aucun contrôle. La promotion puriste de l’agriculture dite de « seconde génération » est une manœuvre des hauts fonctionnaires de l’Etat pour s’enrichir à titre personnel au mépris de nos paysans et paysannes.
Comment comprendre, que monsieur le Ministre de l’agriculture effectue toute une mission en Italie pour signer une convention d’accompagnement avec une université pour la production et la transformation du manioc en farine. Alors que les italiens non seulement ne connaissent pas le manioc encore moins ne le mange. Le ministre s’en fou de vendre le Cameroun du moment où ses intérêts égoïste passent en premier.
A quoi servent tous ses talents formés à la Faculté d’Agronomie et des Sciences Agricoles (FASA) et à l’Ecole Nationale Supérieure des Sciences Agro Industriel (Ensai). En 2015 le Cameroun a-t-il encore besoin des italiens pour produire et transformer son manioc ?, alors que plusieurs ingénieurs camerounais le font déjà très bien et même les simples paysans et paysannes. Quelle horreur et quelle humiliation monsieur le ministre. Ce même ministre, viendra devant les médias demandé aux jeunes de retourner à la terre. Pour quelle opportunité ? S’il faut encore aller faire appel aux italiens pour la transformation de notre manioc.

Gilbert NDZOMO, Ingénieur Agroéconomiste
Expert consultant en question de développement et capitalisation
Email : [email protected]

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