Alternance, sécessionnisme, tribalisme, Eglise catholique…. Ce que pensait le cardinal Christian Tumi

Cardinal Christian Tumi

Prêtre de l’église catholique romaine au Cameroun, l’homme qui s’est éteint samedi 03 avril dernier à Douala, s’est opposé au régime Biya autant qu’il a conservé les secrets de sa chapelle.

Jusqu’à 91 ans, l’homme est resté droit dans sa soutane. Affable autant que pertinent. Le cardinal Christian Tumi ne manquait aucune occasion de fustiger le gouvernement. L’homme qui indiquait son inquiétude sur l’avenir du Cameroun a fait de son sacerdoce un outil de prise de position social et politique. Rien ni personne n’y échappait. Son dernier combat : l’organisation de la conférence générale anglophone. Une ambition étouffée dans l’œuf. Pourtant le prélat soulignait la nécessité de ces assises pour rapprocher le pouvoir des anglophones qui se plaignent. «Nous avons décidé de leur donner la parole, à travers une consultation qui a été la plus large possible pour qu’ils nous disent ce qu’ils veulent et ce qu’ils proposent comme solution.» A ce sujet, l’archevêque émérite de l’archidiocèse de Douala espérait rencontrer le président de la République Paul Biya. «Pour lui présenter les résultats que nous aurons obtenus, puis lui proposer d’organiser un grand dialogue national.» La rencontre n’a pas eu lieu jusqu’au moment où le prêtre de l’église catholique romaine tire sa révérence. Pis, l’évêque émérite est accusé par le régime d’entretenir un projet de déstabilisation du Cameroun.

Pour sa part, Christian Tumi pense que certaines personnes au cœur de la machine tirent profit de cette posture de rejet de tous dialogues prônant la résolution de la crise qui sévit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest. «Ceux qui prétendent que je suis ambazonien se trompent grossièrement. Ce n’est pas à mon âge que je vais recommencer de nouvelles aventures.» De même que Christian Tumi n’a cessé d’affirmer que le gouvernement aurait pu stopper cette crise dès les premiers tirs qui ont débuté le 1er octobre 2016. «Paul Biya aurait pu intervenir immédiatement. Et il est dommage qu’il ne se soit jamais adressé directement aux anglophones.» Pour le précurseur du dialogue entre le chef de l’Etat et les séparatistes, « S’il (Paul Biya, Ndlr) avait eu cette attention, tout cela se serait arrêté.»

Tumi le «subversif»

Ses positions contre la gouvernance sociale et politique dérangent. L’évêque quarantenaire dans sa fonction le sait. Mais Christian Cardinal Wiyghan Tumi fait la planche. Le prince de l’église catholique romaine fait foi en sa mitre. Le garçon né à Kikaïkelaki le 15 octobre 1930 continue d’élever sa voix vers le sommet de l’Etat et la cité romaine du Vatican. Il sait probablement que la résonance de son propos retentit en ces lieux dit «saints et holistiques». L’homme remonte au créneau en 2016, à la veille de l’élection présidentielle de 2018. Le prêtre à la retraite dénonce la corruption pandémique au Cameroun, la déscolarisation et la pauvreté ambiante. Déjà sous le poids de l’âge, Christian Wiyghan Tumi ne mets pas les gants pour indiquer que «Si j’étais à la place de Paul Biya, je surprendrais tout ce beau monde en disant « c’est fini, je me retire, je ne suis plus candidat !» Les camarades de l’homme du Renouveau le pressent de se représenter. La chronique n’indique pas le breuvage de Christian Wyghan dans son calice. Seule certitude, le citoyen Tumi pense que les lois doivent être respectées. «Tôt ou tard, un nouveau président prendra la tête du pays et appliquera sa politique en fonction de ce qu’il voudra faire du Cameroun.» Tant pis pour le cardinal qui n’aime pas les appels à candidature. Chez les tenants du pouvoir politique, «la soutane prêche, la caravane botte.»

«Je crois en un Etat fédéral»

Peu importe les belles idées de l’homme qui appelle à une rotation du pouvoir posée sur la consultation populaire, «le pays avance» comme le souligne certains chantres. Tout laisse croire que l’homme décédé le 3 avril 2021 voguait dans une bulle extra camerounaise. Dans une interview accordée à nos confrères de l’hebdomadaire Jeune Afrique, le fils de Kumbo remet en cause la capacité du président de la République à gouverner.


«Nous avons presque le même âge et, à cet âge-là, quelque soit son endurance ou sa force physique, on est affaibli.» Comment a-t-il oublié que «ne reste pas au pouvoir qui peut mais qui veut» ? Au point de révéler son entretien avec le pape Benoît XVI qui entendait alors céder son fauteuil. «Le pape nous a dit qu’à un certain âge on ne pouvait pas continuer à gouverner une église comme l’église catholique.» Christian cardinal Wiyghan Tumi naïf ? L’homme s’en défend. «Je ne suis pas naïf. Je dis : si un jour je vais au ciel, ce ne sera pas parce que j’ai eu la vie de prêtre mas parce j’ai bien fait mon travail de prêtre. Si chacun fait son travail avec honnêteté et dans le respect des règles, Dieu le bénira.»

Ainsi parlait l’homme qui refusait la rotation du pouvoir par région. Christian cardinal Wiyghan Tumi croyait que chaque région devait bénéficier d’un pouvoir lui permettant de s’épanouir et se développer. «Je crois en un Etat fédéral, comportant plusieurs Etats fédérés avec des gouvernements élus, et j’ai pensé que la décentralisation irait dans ce sens. Ce n’est pas le cas.» L’homme refusait la légitimité aux ministres de décider au nom du peuple.

Avenir national optimiste

Un jour le journaliste lui pose la ques«Comment percevez-vous l’alternansommet de l’Etat ?» Réponse : «Rien trop vieux ou tout nouveau. Après le Cameroun existera. Ahidjo est parti en suscitant des craintes. Biya s’en ira un jour et le Cameroun survivra. C’est le propre des hommes que nous sommes.». Le cardinal Wiyghan Tumi pensait que chaque camerounais doit aimer son village, sa région et ses origines sans être taxé de tribaliste.

A propos de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme, il insistait sur le fait qu’il fallait accentuer l’accent des enseignements en fonction des origines linguistiques opposées. «L’ancien président Ahidjo avait créé des collèges bilingues, il envoyait des fonctionnaires francophones en formation en Angleterre et les anglophones en France. Je suis convaincu que si cette politique s’était poursuivie, notre administration aurait une majorité de cadres vraiment bilingues. Mais je ne vois pas le régime actuel fournir des efforts en ce sens.», soulignait l’homme de Dieu qui appelait le président de la République à se rendre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest pour la résolution de la crise qui y sévit.

Eglise, morale et pouvoir

Cardinal de la «sainte église romaine», Christian Wiyghan Tumi était peu prolixe sur les relations entre l’église catholique du Cameroun et le pouvoir. Dans une interview accordée à Jeune Afrique, le prêtre de l’église catholique romaine souligne que les deux entités n’entretiennent aucune tension. Le rapport de force définit par le prélat indique que la peur est du côté du pouvoir politique. Selon lui, les prêtres de l’église catholique ne divergent pas sur les points doctrinaux mais plutôt sur les prises de position sociopolitiques. La posture communicationnelle du cardinal Christian Tumi intervient à la suite de nombreux scandales que connait l’église catholique romaine installée au Cameroun.

Une problématique suscitée par la mort «suspecte» de l’évêque de Bafia, Monseigneur Benoit Balla. Mort qui fait suite à celles de nombreux autres prélats catholiques au Cameroun. Mais aussi des présomptions de mœurs imputées aux dignitaires de l’église catholique romaine au Cameroun. Postures du tout premier cardinal camerounais qui dès l’entame de son mandat épiscopal énonçait en devise «J’accepte devant Dieu et de devant vous, la responsabilité de prêcher l’évangile à temps et à contretemps, que je sois écouté ou non.» Mais aussi posture d’un prêtre qui s’est engagé à dénoncer les tares sociales tout en gardant les secrets de l’église catholique romaine.

Joseph OLINGA N.

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