Staffan de Mistura : un mandat pour la Syrie dans l’impartialité et l’impuissance

L'émissaire de l'ONU pour la Syrie a annoncé sa démission le 17 octobre 2018.

L’émissaire de l’ONU pour la Syrie Staffan de Mistura a décidé de démissionner.

En quatre ans, il a fait preuve d’une certaine objectivité, n’hésitant pas à se distancier parfois de la diplomatie occidentale. Au prix d’une réelle impuissance.

Il raccroche. L’émissaire des Nations unies (ONU) pour la Syrie, Staffan de Mistura, a annoncé ce 17 octobre au Conseil de sécurité qu’il quitterait ses fonctions fin novembre. Le diplomate, âgé de 71 ans et marié récemment, invoque officiellement des «raisons personnelles», tout en précisant qu’il se rendra bien une dernière fois à Damas la semaine prochaine.

L’annonce de son départ n’est pas une réelle surprise. Depuis plusieurs mois, il laissait entendre que la mission qu’il s’était vu confier en juillet 2014 commençait à le fatiguer et qu’il souhaitait davantage se consacrer à ses deux filles. Il se murmurait même depuis l’été dernier, dans les couloirs new-yorkais de l’ONU, que le secrétaire général Antonio Guterres s’attelait d’ores et déjà activement à la recherche de son potentiel successeur.

Pour autant, comment croire que de seules considérations familiales soit à l’origine de la lassitude de cet infatigable diplomate ? Réputé pour l’intelligence et la rigueur dont il fait preuve dans la gestion de ses dossiers, ce marquis italien également détenteur de la nationalité suédoise s’était forgé, à l’image des sept langues qu’il maîtrise couramment, une image d’homme de dialogue, de tous les dialogues.

Ancien représentant de l’ONU en Irak et en Afghanistan, Staffan de Mistura avait déjà l’habitude des situations délicates et des interlocuteurs irréconciliables lorsqu’il s’est emparé du dossier syrien, alors que déjà deux de ses devanciers avaient démissionné faute de résultats. Sa nomination par Ban Ki-Moon avait d’ailleurs été approuvée par toutes les parties, «y compris les autorités syriennes», avait précisé le secrétaire général de l’époque.
Parler à tout le monde, quitte à froisser les Occidentaux

Dès sa prise de fonction, l’émissaire de l’ONU a tenu à dialoguer avec toutes les forces en présence, occidentales comme syriennes, rebelles comme gouvernementales. Staffan de Mistura pouvait encore affirmer de bonne foi qu’«un règlement politique rapide du conflit» était envisageable. A la fin de l’année 2014, le diplomate proposait ainsi une idée nouvelle : un «gel» des combats à Alep, ville-symbole alors divisée entre djihadistes et forces gouvernementales et dont le sort déterminerait, selon lui, celui du pays entier. Evitant soigneusement le terme de «cessez-le-feu», susceptible de crisper Damas en plaçant implicitement ses soldats à égalité avec les combattants rebelles, ce «plan d’action» se voulait pragmatique et concret.

Cette idée lui avait néanmoins valu ses premières critiques, notamment dans la presse moyenne-orientale, chez les soutiens de Bachar el-Assad autant que chez ses ennemis. D’un côté, le journal syrien al-Thawra, lui reprochait de vouloir «couvrir les tentatives américaines de parvenir à une solution pacifique après que les méthodes terroristes de Washington». De l’autre, le quotidien libéral libanais an-Nahar s’indignait de voir l’émissaire de l’ONU traiter également le gouvernement syrien et les rebelles, refusant ainsi d’appuyer officiellement les seconds face au premier : «L’objectif de la communauté internationale, celui du changement de régime, appartient-il au passé ?»

Refusant de soutenir ouvertement dans ses discours les rebelles syriens, Staffan de Mistura s’était semble-t-il malgré lui attiré une légère suspicion dans le camp occidental, face à laquelle il avait senti le besoin de s’expliquer : «Il faut être ouvert au dialogue avec toutes les parties», avait-il assuré début 2015. Quelques jours plus tard, en déclarant que Bachar al-Assad était «une partie de la solution», il s’exposait cette fois au courroux d’une partie du camp occidental. Il s’était alors justifié en soulignant qu’il ne parlait que de son «plan d’action» à Alep, et non du processus de paix général pour la Syrie.

Tout au long de son mandat, le diplomate n’a eu de cesse que le dialogue soit privilégié à la force, quitte à froisser certaines susceptibilités. Soutenant les différentes tentatives d’établir un cessez-le-feu en Syrie au cours de l’année 2016, notamment pour permettre d’apporter de l’aide humanitaire aux civils, il n’a jamais hésité à pointer du doigt la responsabilité des rebelles dans les épisodes de flambées de violences quand, là encore, la diplomatie occidentale n’hésitait pas à tenir l’armée syrienne pour seule coupable. Autre exemple de l’objectivité à laquelle tentait de s’astreindre Staffan de Mistura : à la fin de la même année, alors que nombre de ses adversaires accusaient Bachar el-Assad de prétexter une fausse présence terroriste pour bombarder Alep, il exhortait les djihadistes du Front al-Nosra à quitter la ville.

Un mandat pour rien ?

Restent bien sûr les échecs et les déconvenues de ce mandat, qualifié dès sa création de «job le plus difficile au monde». Staffan de Mistura aura organisé neuf cycles de négociations indirectes à Genève et Vienne, sans jamais obtenir de résultats. Alors que le processus d’Astana, pourtant concurrent de celui qui était promu par sa propre institution, arrachait quelques maigres victoires au printemps 2017, l’émissaire de l’ONU trouvait encore l’honnêteté de saluer l’initiative tripartite. Si les Occidentaux ont toujours boudé ces conférences organisées par Moscou, Ankara et Téhéran, Staffan de Mistura a joué jusqu’au bout le rôle d’intermédiaire entre les deux processus rivaux.

A l’été 2018, alors qu’une offensive syrienne semblait imminente sur la région majoritairement kurde Idleb, l’émissaire de l’ONU paraissait vouloir prendre sa revanche après l’occasion manquée d’Alep deux ans plus tôt. Jouant son va-tout, il s’était même dit prêt à se rendre lui-même sur place pour garantir l’ouverture d’un couloir humanitaire. «Vous vous souvenez probablement de la période horrible d’Alep, quand les combattants d’al-Nosra ont refusé ma proposition d’accompagner leur sortie de la ville… et qu’ils sont finalement partis pour Idleb : à cause de cela, nous avons perdu au moins deux mois et des milliers de personnes sont mortes», avait-il alors déclaré.

La crise s’est finalement achevée par un accord entre Moscou et Ankara qui aura probablement permis d’éviter ou de retarder ce bain de sang que Staffan de Mistura redoutait tant. Nul doute que le diplomate s’en soit trouvé sincèrement soulagé mais cet épisode se sera bel et bien joué sans lui, et l’impuissance qui aura été la sienne à cette occasion apparaît comme l’ultime reflet de l’inefficacité des démarches de l’ONU dans le conflit syrien. Déclenché en 2011, celui-ci a déjà fait plus de 360 000 morts, alors que plus de la moitié de la population a été déplacée ou a dû quitter le pays.

Derrière le volontarisme du diplomate, l’optimisme de l’homme, dans lequel il disait ironiquement déceler une «maladie chronique», semble s’être émoussé. Depuis plusieurs semaines, Staffan de Mistura était sous pression de Londres, Paris et Washington qui le hâtaient de convoquer un comité chargé d’élaborer une nouvelle constitution pour la Syrie. «Nous ne sommes pas prêts à convoquer ce comité s’il n’est pas crédible et équilibré», temporisait de son côté l’émissaire onusien, fidèle à ses engagements, et rappelant que les parrains russe, iranien et turc du processus d’Astana étaient également conviés.

Telle sera donc l’ultime mission de Staffan de Mistura, celle pour la réussite de laquelle il se rendra donc la semaine prochaine à Damas, à l’invitation de Bachar el-Assad : mettre en place ce comité dont la formation s’éternise depuis l’annonce de sa création en janvier dernier à Sotchi, en Russie. La tâche est aussi ardue que les enjeux sont nombreux. La France accuse la Russie de retarder au maximum ces tractations, tandis que Moscou, qui préfère privilégier le retour des réfugiés syriens dans leur pays, se méfie des velléités de changement de régime qui ne semblent jamais avoir quitté les Occidentaux.

Son acharnement à n’exclure personne du dialogue ainsi que les efforts qu’il aura déployés pour se montrer objectif dans ses prises de position sont assurément à saluer. Néanmoins ils apportent également l’indéniable preuve que les qualités d’un diplomate, aussi convaincu soit-il, ne suppléeront jamais le pouvoir qui fait défaut à sa fonction. C’est là tout le tragique du mandat de Staffan de Mistura : lorsqu’il est impartial et qu’il s’efforce d’évoluer dans une relative indépendance de la diplomatie occidentale, l’émissaire de l’ONU semble soudain bien seul et bien faible.

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