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Qui était réellement Ayah Paul Abine : L’homme qui a défié le système jusqu’au sacrifice

Ayah Paul Abine

237online.com retrace le parcours exceptionnel d’Ayah Paul Abine, décédé le 24 décembre 2024 à Buea. Originaire d’Akwaya, une localité enclavée du département de la Manyu dans le Sud-Ouest camerounais, il symbolise la réussite par le mérite. Diplômé de l’Université de Yaoundé en 1976, il intègre ensuite l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) dont il sort en 1978, inaugurant une carrière judiciaire brillante.

Sa progression dans la magistrature est fulgurante. D’abord vice-président de la Cour d’appel du Sud-Ouest, il gravit les échelons jusqu’à devenir avocat général à la Cour Suprême, l’une des plus hautes fonctions judiciaires du pays. Une trajectoire qui force le respect et témoigne de ses compétences exceptionnelles.

L’éveil politique : quand le magistrat devient la voix des sans-voix

C’est en 2002 que la vie d’Ayah Paul prend un tournant décisif. Sollicité par les populations d’Akwaya, il accepte de porter leurs revendications en devenant député sous la bannière du RDPC. Une mission qu’il prend à cœur, comme il le confiait à Jeune Afrique en 2021 : « Je devais me servir de ma position à Yaoundé pour œuvrer à désenclaver une région oubliée des politiques publiques. Akwaya ne disposait d’aucune route praticable vers le Cameroun, seulement vers le Nigeria. Nous n’avions que deux centres de santé et deux écoles. »

Sa confrontation avec le système commence véritablement en 2008, lorsqu’il prend la décision courageuse de voter contre la révision constitutionnelle visant à supprimer la limitation des mandats présidentiels. Un acte de bravoure politique qui marque le début de son calvaire.

Le prix de l’intégrité : persécution et résistance

Créant son propre parti, le People’s Action Party (PAP), Ayah Paul devient une figure incontournable du mouvement fédéraliste. Sa position en faveur d’un retour au fédéralisme comme solution à la marginalisation de la minorité anglophone lui vaut d’être considéré comme une menace par le régime.

Le 17 janvier 2017, alors que la crise anglophone s’intensifie, il est arbitrairement arrêté et incarcéré pendant huit mois, sans jugement ni inculpation. Cette détention laisse des séquelles irréversibles : problèmes cardiaques et paralysie des membres inférieurs le contraignant au fauteuil roulant.

L’héritage d’un visionnaire incompris

La persécution ne s’arrête pas à sa libération. Ses comptes sont gelés, le privant de sa pension de retraite et des moyens de se soigner convenablement. Malgré ces épreuves, il refuse l’exil, choisi par tant d’autres opposants, préférant continuer son combat sur le sol camerounais.

Maurice Kamto, président du MRC, résume parfaitement le drame : « Mr AYAH Paul ABINE est une victime directe de la guerre civile inutile qui ravage les régions anglophones. […] Par ces moyens inhumains, les autorités, qu’il avait servi loyalement, l’ont laissé se faner sous le regard indifférent de ses collègues magistrats et une ‘élite’ anglophone qui lui était aussi cruelle que soumise. »

Son fils, Ayah W. Abine, qui dirige aujourd’hui la fondation créée par son père, poursuit le combat. La fondation œuvre notamment pour la promotion du dialogue inclusif et la défense des droits des minorités au Cameroun.

Le professeur Edouard Bokagné offre une analyse nuancée : « La mort du magistrat Paul Ayah Abine m’a fait penser à la destinée manquée de cet homme de qui le Cameroun aurait pu obtenir beaucoup s’il avait correctement su l’utiliser. »

L’ultime leçon d’Ayah Paul Abine

Au-delà des clivages politiques, Ayah Paul Abine laisse l’image d’un homme intègre qui a sacrifié une brillante carrière et sa santé pour ses convictions. Son parcours illustre tragiquement le coût personnel du combat pour la justice et la démocratie au Cameroun.

Aujourd’hui, 237online.com s’interroge : son sacrifice aura-t-il servi de catalyseur pour un changement profond dans la gouvernance du pays ? L’histoire jugera, mais une chose est certaine : Ayah Paul Abine a tracé un sillon indélébile dans la conscience collective camerounaise.

Par Christiane Tamoura Engo pour 237online.com

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