Des agents de l’administration fiscale arnaquent les contribuables au quotidien. Des agissements qui altèrent gravement l’image et l’économie du pays.
Au Cameroun, les entreprises ne manquent jamais l’occasion de dénoncer la pression fiscale. « Il faut rappeler que le Cameroun fait partie des 10 pays qui ont la plus forte pression fiscale en Afrique », soutient par exemple Thomas Caso, administrateur directeur général de Nestlé Cameroun.
Cette forte pression fiscale a eu pour conséquence d’amener le contribuable camerounais à développer des stratégies illicites pour payer le moins de taxes possibles. Cette situation est entretenue, d’une part, par les entreprises qui refusent de suivre les voies légales pour payer les justes taxes ; et d’autre part, par des agents de l’administration fiscale qui, une fois sur le terrain, organisent une arnaque au détriment des caisses de l’Etat. Ces derniers sont d’ailleurs qualifiés par leur administration de tutelle et les conseils fiscaux d’ »agents véreux ».
«J’ai ouvert mon entreprise il y a un an. Et d’après la loi, je dois bénéficier de deux années d’exonération de patente. Or, au bout d’une année, j’ai dû faire face à des agents du fisc qui exigeaient de mon entreprise une contribution fiscale. Ce que j’ai refusé de faire. Mais sous la menace de voir mon entreprise mise sous scellée, je me suis retrouvé confronté au dilemme d’une négociation officieuse avec ces derniers », explique Cyril, entrepreneur du secteur informatique.
Paul Ayang, un autre opérateur économique a, lui aussi, connu pareille mésaventure. « Je reçois en permanence des agents des impôts qui viennent exiger que je leur donne de l’argent faute de quoi, je pourrais subir un redressement fiscal. Et à chaque fois, je leur donne un peu d’argent pour qu’ils me laissent tranquille », affirme ce dernier.
Il faut aussi souligner que des pressions sont constamment exercées sur les opérateurs économiques « intègres » afin que ceux-ci ne reversent pas leurs créances dans les caisses de l’Etat. « Moi, j’ai eu beaucoup de problèmes avec ces « agents véreux » qui ont menacé à plusieurs reprises de me faire un redressement fiscal. Ils voulaient que je triche ; ce que j’ai refusé de faire. Pour les narguer, je suis allée payer mes taxes directement au centre des impôts. Aujourd’hui, je n’ai plus de problème avec eux, car je suis en règle », affirme la promotrice de Anoac, une structure spécialisée dans la production des produits de beauté.
Une autre technique adoptée par ces agents peu scrupuleux consiste à donner des astuces au contribuable pour lui faire payer moins d’impôts. Il s’agit par exemple pour ces derniers, de proposer au contribuable, moyennant une somme d’argent arrêtée de commun accord, de déclarer un chiffre d’affaires du régime de l’impôt libératoire, réservé aux activités générant un chiffre d’affaires de moins de 15 millions, même si ce dernier est bien plus élevé.
Pratiques illicites
Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette escroquerie des agents de l’administration fiscale se fait à ciel ouvert et a pignon sur rue, au mépris des textes en vigueur qui condamnent pourtant ces pratiques illicites. « Le code général des impôts est clair, le recouvrement des taxes suit une procédure précise. Et si vous êtes en marge de ce schéma, vous subissez la pression fiscale, mais, si vous connaissez ce que la loi dit et vous faites tout pour respecter la loi, personne ne viendra vous arnaquer », explique René Ngaleumo, directeur d’un Centre de gestion agréée (CGA). Les CGA sont des structures qui contribuent à prévenir les risques fiscaux auxquels s’exposent les entreprises. Et donc, selon les spécialistes de la fiscalité, les contribuables qui sont victimes de l’arnaque des agents de l’administration fiscale sont ceux qui ne connaissent pas parfois la loi et ne font pas appel aux services des conseils fiscaux.
Il y a donc nécessité pour ces contribuables de se faire accompagner et conseiller par les experts pour ne plus faire partie de la longue liste des victimes de cette arnaque. « Nous recevons les plaintes de beaucoup d’entreprises. Mais, celles qui se font accompagner par nous et d’autres conseils fiscaux parviennent à éviter ce problème », soutient Yves Magloire Ndemou, fiscaliste. «Les entreprises qui se plaignent de cet état de fait et s’adressent à nous, nous les défendons. Certaines viennent nous voir après avoir reçu les menaces de mise en demeure ou de mise sous scellées parfois fantaisistes. Mais quand on les oriente et leur explique la voie à suivre, les menaces s’arrêtent souvent net. Parce qu’on connaît les droits du contribuable. Alors, en se faisant accompagner, ces entreprises écartent tous risques de se voir imposer la loi des agents indélicats », affirme René Ngaleumo.
« Il faut que les gens commencent par respecter la loi, même si elle est mauvaise. Si vous connaissez vos droits, vous allez savoir comment vous défendre. Soit alors, vous vous faites assister par quelqu’un qui va vous défendre. Et la loi de finances 2018 met beaucoup plus d’accent sur les recouvrements », poursuit-il.
Un sujet tabou
La problématique du recouvrement des taxes est depuis plusieurs années un sujet très sensible au Cameroun. Et ces agissements des agents des impôts sont connus de tous. Personne n’ose cependant en parler publiquement, comme si cela relevait de l’ordre du tabou. Toute cette opacité entretenue autour des recettes fiscales rend la collecte d’informations extrêmement difficile pour les journalistes. Et dans le cadre de cette enquête, la direction régionale des impôts de Douala a été approchée ; mais elle nous a renvoyée vers la Direction générale des impôts à Yaoundé qui, elle, n’a pas répondu à nos sollicitations.
Il a fallu faire montre de dextérité pour tirer quelques informations aux rares agents de ce service qui ont accepté de parler, mais sous anonymat. « Nous sommes effectivement au courant de cette situation car, nous savons qu’il y a certains de nos collègues qui vont arnaquer les entreprises. Mais, ces entreprises ne sont pas innocentes non plus. Car, si elles venaient s’acquitter légalement de leurs taxes dans les services des impôts, elles n’auraient pas ce problème », confie un chef de service des impôts.
Pour ce dernier, beaucoup d’efforts sont faits pour combattre ces cas qualifiés de fraude et de corruption. « Le législateur fait beaucoup de choses à ce niveau. Notamment la dématérialisation qui va permettre de lutter contre ces cas de corruption », appuie-t-il encore.
A la Direction générale des impôts, l’on soutient que tout est fait pour limiter les contacts entre les contribuables et les agents de l’administration fiscale, ainsi que pour dénoncer des actes de corruption. « Un numéro vert a été mis à la disposition des populations pour dénoncer les actes d’arnaque. Et aussi, la loi de finances 2018 a apporté beaucoup de nouveautés dans le recouvrement des impôts », affirme un responsable en poste à Yaoundé. Afin de permettre aux entreprises de s’acquitter de leurs charges fiscales directement en ligne, la mise en place de la procédure de dématérialisation va s’accélérer, apprend-on. « Toute chose qui va à coup sûr limiter les cas de fraude », souligne un expert.
Un handicap pour l’économie
Mais, il faut dire que ces agissements hors-la-loi de certains agents pèsent lourd sur le climat des affaires et sur l’économie d’une manière générale. Car, l’Etat perd chaque année, selon René Ngaleumo, « des milliards de FCFA » du fait de tels comportements. « Ces actes de corruption nuisent profondément à l’économie du pays. Car, l’argent qui aurait pu être reversé dans les caisses du trésor public reste dans des poches des individus. Et aussi, à cause de la pression fiscale et des agissements de ces agents véreux, certaines entreprises se trouvent obligées de fermer tout simplement leurs portes. Ce qui est un réel manque à gagner pour l’économie », explique Hervé Lapnet, fiscaliste.
A la Direction générale des impôts, l’on confesse, par exemple, que moins de 30% des propriétaires d’immeubles dans les villes de Yaoundé et Douala s’acquittent de la taxe sur la propriété foncière.
Malgré la forte campagne médiatique et des facilités accordées au contribuable, la corruption des agents de l’administration fiscale prospère toujours. Elle vaut au service des impôts d’être aujourd’hui classé par l’ONG Transpency international parmi les institutions publiques les plus corrompues au Cameroun.
Pour autant, l’administration fiscale s’est illustrée par des taux de réalisation satisfaisants ces dernières années. Entre 2012 et 2017 par exemple, la Direction générale des impôts (DGI) affirme avoir toujours dépassé les prévisions annuelles de collecte qui lui ont été assignées. Mais, cette institution aurait eu de meilleurs résultats si l’Etat prenait des mesures fortes afin de mettre définitivement fin à ces actes de corruption. Notamment en appliquant des sanctions plus sévères à l’endroit des agents des impôts indélicats.
Sandrine Gaingne