Litiges. La Communauté urbaine de Yaoundé est suspectée de spolier les populations de leurs terrains dans le cadre de ses travaux d??aménagement. Mvog Ada, un quartier populaire de Yaoundé, ce samedi 18 février 2012. Une réunion convoquée par Charles Etoundi, ancien ministre de l??Education nationale, est empêchée par des éléments de la gendarmerie. La réalisation d??un projet immobilier d??envergure menace de faire disparaître le quartier où la communauté est établie depuis plusieurs générations.
Le 12 décembre 2011, la police passait à tabac deux jeunes gens, venus s??interposer à l??exhumation des restes de leurs parents défunts au lieu dit Mvog Atangana Mballa. Des travaux de « recalibrage » du lit du Mfoundi ont été entrepris sur un terrain que la succession Essomba Gallus revendique.
Travaux d??Hercule
Juillet 2008, Ntaba, un ghetto du quartier Nlongkak à Yaoundé. La Communauté urbaine procédait à une impressionnante opération de déguerpissement de plus de 10 000 personnes et de démolition de 250 habitations. Alors même que Gabriel Mballa Bounoung, ancien vice-président de l??Assemblée nationale du Cameroun et ancien maire de la commune urbaine d??arrondissement de Yaoundé 1er, de regrettée mémoire, en revendiquait la propriété. Le quartier fut démoli dans un concert de récriminations populaires, où l??émotion le disputait à la raison. 21 août 2008, palais polyvalent des sports de Yaoundé, en construction à l??époque des faits. La Briqueterie traîne une sulfureuse réputation de « cité imprenable ». Et pourtant, des bâtisses qui portaient une partie de l??histoire de la ville de Yaoundé, dont l??hôtel Aurore, étaient réduits en fatras.6 Janvier 2010 au quartier Messa, lieu dit « carrefour Lissouck ». Un terrain vague s??offre désormais à la vue du passant, après que des bulldozers ont rasé les habitations. Seule subsiste encore, la chefferie de troisième degré, préservée sur « instruction du ministre de l??Administration territoriale ». Les démolitions et les déguerpissements à Yaoundé s??égrènent comme un chapelet de lamentations, au rythme infernal des travaux d??Hercule que la Communauté urbaine de Yaoundé a engagés pour donner une image idyllique à la capitale camerounaise. Souvent, les populations se risquent à une résistance que seule la présence des forces de l??ordre dissuade. Preuve, si besoin est, de l??impopularité de ces déguerpissements.
Soupçons de spoliation
Jacques Ndoumou, porte-parole de la communauté Mvog Atangana Mballa, aux prises avec la Communauté urbaine à propos d??un domaine sur les rives du Mfoundi, a sa petite idée sur la question. « Nous ne pouvons pas nous opposer à l??Etat qui veut réaliser un investissement d??intérêt général. Mais, lorsque les expropriations se font au profit des intérêts privés, il faut que les populations et les propriétaires soient indemnisés convenablement », confie-t-il. Sur le site querellé de Mvog Atangana Mballa, des sources proches du ministère de l??Economie et du Plan annoncent un projet immobilier porté par un groupe d??investisseurs américains. La Communauté urbaine leur avait fait la promesse d??une disponibilité foncière, à un lieu « exposé ». Sauf qu??elle n??a procédé ni à l??expropriation pour cause d??utilité publique préalable, ni aux indemnisations inévitables qui doivent suivre.C??est la même exigence qui est posée par Charles Etoundi. Le « patriarche » Mvog Ada et ses « frères » ont dénoncé le protocole d??accord signé entre Barreth et Associés, une entreprise de promotion immobilière, et la Communauté urbaine de Yaoundé, au sujet d??un projet immobilier de 1 200 logements à Mvog Ada. « La Communauté urbaine est engagée dans une vaste campagne de spoliation et de confiscation des terrains qu??elle revend à des particuliers », déclare Charles Etoundi. « La plupart des opérations de déguerpissement n??ont aucun caractère officiel. Il s??agit d??une chaîne de complicité établie dans plusieurs administrations, et qui permet à certains de responsables véreux de se redistribuer les terrains confisqués ». Le patriarche ne décolère pas. Il évoque pêle-mêle des précédents qui n??ont abouti à aucune réalisation concrète. Il évoque Ntaba, Tsinga ou Messa. « Depuis que des maisons ont été démolies et que des populations ont été déguerpies, où sont les aménagements qui y étaient annoncés ? Au contraire, on remarque que des immeubles de particuliers sortent de terre à ces endroits même qui étaient impropres à la construction, et qui, comme par enchantement, redeviennent subitement constructibles ». Pourtant, les contrats de cette nature sont encadrés par le Conseil d??appui à la réalisation des contrats de partenariat (Carpa). Ici, aucune trace de leur mise en ??uvre n??est visible, d??où le soupçon de spoliation qui pèse sur ces opérations de déguerpissement.
Procès à la chaîne
La démolition du camp Sic Tsinga est encore vivace dans les esprits. On avait annoncé la construction de la cité Ongola, un complexe immobilier futuriste. Le promoteur, Timbal Immobilare, une fumeuse entreprise espagnole dirigée par Jean Pierre Ndjeng, s??est évaporé, après avoir encaissé un financement de plus d??un milliard de F.Cfa. Des rumeurs persistantes font état de l??attribution d??un domaine à la Fédération camerounaise de football au lieu dit « Aurore ». On y avait pourtant annoncé la construction de parkings pour le complexe sportif de Warda. Des signes de l??imminence d??un chantier d??envergure y sont désormais visibles. Idem à Messa, où des immeubles ont commencé à sortir de terre. Et de Ntaba, où la broussaille a repris ses droits.La question des déguerpissements à Yaoundé génère désormais une abondante jurisprudence. La Communauté urbaine est fréquemment assignée en justice. Le 26 janvier 2011, Arnaud Philippe Ndzana, le directeur des services techniques, et Jean Ngougo, adjoint au délégué du gouvernement, étaient respectivement condamnés à six mois de prison avec sursis pendant trois ans et à six mois de prison ferme, dans l??affaire qui opposait la Communauté urbaine à la société coopérative n°30. Outre les dépens, le tribunal avait condamné les accusés à payer solidairement la somme de 141.440.000 Fcfa en réparation du préjudice subi par la partie adverse. Une condamnation qui a inspiré d??autres justiciables. A l??instar de la collectivité Mvog Atangana Mballa qui attend impatiemment le verdict d??une décision dans l??audience prévue le 13 mars 2012.
??Surenchère autour des indemnisations??Arnaud Philippe Ndzana. Le directeur des services techniques de la Communauté urbaine de Yaoundé s??explique sur les prétendues exactions de son administration.
Y-a-t??il une pénurie de terrains à Yaoundé pour réaliser les projets de la Communauté urbaine ?
Non. La Communauté urbaine est propriétaire d??un patrimoine immobilier sur lequel elle met en ??uvre les projets qu??elle juge utile pour la ville de Yaoundé. Elle gère donc un domaine privé, qui lui a été concédé par l??Etat. Sur ce domaine, elle détient des titres de propriété et peut donc en user conformément à un plan d??aménagement. Il se trouve malheureusement que des individus se sont installés sur le domaine privé de la Communauté urbaine, et parfois même sur le domaine public, notamment les zones inconstructibles que sont les marécages et les flancs de colline. Dans le cadre des travaux d??aménagement de la ville de Yaoundé, nous sommes malheureusement obligés de déguerpir les gens sur ces espaces. Et c??est ce qui semble donner l??impression que la Communauté urbaine manque de terrains. Pire, l??opinion publique pense que nous arrachons les terrains des particuliers, d??où l??origine des incompréhensions qui surviennent dans notre action.
L??opinion pense que vous expropriez abusivement des citoyens, menaçant du coup la paix sociale. Qu??en dites-vous ?
Personne n??est abusivement exproprié. Nous intervenons prioritairement sur des terrains qui nous appartiennent. Lorsque nous sommes obligés d??utiliser un patrimoine foncier qui appartient à des privés, la Communauté urbaine s??arrange pour que l??expropriation se fasse selon les normes, notamment en intégrant la question des indemnisations. C??est ce que nous avons fait pour la pénétrante nord, sur la route Etoudi-Olembé. Pour agrandir la route, nous avons été obligés d??empiéter sur des domaines de particuliers, et ils ont été indemnisés en conséquence. Encore faut-il que ces populations y aient droit, parce qu??il y a beaucoup de fantasmes autour de la propriété foncière à Yaoundé. Certaines personnes de mauvaise foi prétendent disposer de titres de propriété sur les terrains qu??elles occupent depuis de longues années parfois. Dans la réalité, il n??en est rien. Et c??est ce genre de personnes qui sont le plus bruyantes. En réalité, il y a une surenchère autour des déguerpissements et des indemnisations. Nous essayons de payer le juste prix à ceux qui sont victimes, mais il y en a qui estiment que ça n??est jamais assez. Ils en demandent plus et toujours plus.
Pourquoi ne privilégiez-vous pas la concertation à chaque fois où il y a une opération d??expropriation ?
La concertation est permanente. Tous les lundi matin, le délégué du gouvernement reçoit ceux qui le veulent à la voirie municipale. C??est une sorte d??audience publique durant laquelle les populations peuvent exposer leurs problèmes, domaniaux notamment. Et nous tenons compte de leurs doléances. Malheureusement, comme je vous l??ai déjà dit, certains préfèrent des cadres inappropriés pour poser des problèmes et induire l??opinion publique en erreur. Il y en a qui présentent des documents qui n??ont plus de valeur. Parce qu??ils ont été établis par leurs parents, qui ont parfois été indemnisés. Vu l??état des archives, il n??est pas toujours possible de vérifier l??authenticité de leurs prétentions. Malgré tout, la Communauté essaye d??être compréhensive, en procédant quand même à l??indemnisation, même symboliquement.
Ce que disent les textes
Eclairage. Une réglementation éparse définit le régime juridique de l??expropriation pour cause d??utilité publique et définit les modalités d??indemnisation.Les principales dispositions qui encadrent l??expropriation pour cause d??utilité publique et les différentes modalités d??indemnisation sont contenues dans la loi n°85/009 du 04 juillet 1985 et les décrets d??application qui ont suivi. L??article 1er de la loi ci-dessus évoquée dispose notamment que les objectifs d??intérêt général peuvent pousser l??Etat à recourir à l??expropriation. Cette expropriation peut aussi être réalisée à la demande des collectivités locales, des établissements publics, des concessionnaires publics et des sociétés d??Etat. La loi précise que l??expropriation affecte uniquement la propriété privée et donne droit à un transfert de propriété du privé. Dans son article 4, la loi ajoute que l??expropriation ouvre droit à une indemnisation préalable. Le chapitre II de la loi traite de ladite indemnisation. Il y est dit qu??elle porte sur le dommage matériel direct, immédiat et certain causé par l??éviction. Elle couvre notamment les terrains nus, les cultures, les constructions et toutes autres mises en valeur, quelle qu??en soit la nature, dûment constatées par une commission dite « la commission d??évaluation ». A l??article 8, il est expressément dit que « l??indemnisation est pécuniaire ». Exceptionnellement, l??indemnité pécuniaire peut être substituée à une compensation de même nature que le terrain exproprié.Le décret n°87/1872 du 16 décembre 1987 porte, quant à lui, application de la loi n°85/9. Il traite notamment de la procédure d??expropriation, plus précisément du déclenchement de la procédure qui peut se faire par toute administration publique nécessiteuse auprès du ministère chargé des Domaines, ou de son représentant, qui nomme à l??échelle administrative concernée (national, régional, départemental) une commission. En aucun cas, l??expropriation engagée à la demande d??autres personnes morales de droit public, à l??instar des collectivités territoriales décentralisées, des établissements publics, des concessionnaires et des sociétés d??Etat doivent procéder aux négociations préalables avec les propriétaires ou ayants-droits concernés.L??ensemble de ces dispositions légales et réglementaires sont régulièrement reprises dans des circulaires et instructions ministérielles dont celle n°05/Y2.5Mindaf/D220 du 29 décembre 2005 portant rappel des règles de base sur la mise en ??uvre du régime de l??expropriation pour cause d??utilité publique.
Votre avis : Que pensez-vous des expropriations de la Cuy pour des projets dits d??intérêt commun ?
« Un regard social » : Henri Tagoua, déguerpi
Je pense que cette façon du délégué du gouvernement de casser ou de chasser les gens ne participe pas au développement de notre pays. Nous sommes dans un pays où la vie coûte énormément cher. Elle n??est pas à la portée du premier venu. Et dans cette situation de survie, chaque famille s??est donné les moyens pour joindre les deux bouts. Les enfants cherchent, les parents eux-mêmes ne dorment pas. Le matin, chacun sort pour « attaquer », comme on dit chez nous. Et le soir, tout le monde rentre avec son butin. Imaginez qu??un soir, on vient casser où vous vous retrouvez le soir pour dormir ou même, là où vous cherchez à manger la journée. Dans l??un ou dans l??autre cas, c??est votre vie qui est sacrifiée. L??Etat du Cameroun devrait avoir un regard social sur ces agissements de Tsimi Evouna, facteurs à mon sens du sous-développement.
« Le désordre urbain » : Honoré Youmbi, chef traditionnel de troisième degré Melen 4
Je pense que ce que le délégué du gouvernement fait dans le sens de l??embellissement de notre ville est louable. Louable parce que c??est un travail qui permet à ce que l??on puisse désormais donner le visage d??une ville moderne, où la population se sent vivre en ville sans les incommodités observées aujourd??hui. Il s??agit du désordre urbain qu??il cherche à faire disparaitre. Seulement, nous autres n??apercevrons pas les fruits d??une telle ??uvre en ce moment. C??est sans doute les générations futures qui pourront l??apprécier à sa juste valeur. Et pour y arriver, il faut que d??aucuns se sacrifie. Et c??est nous qui subissons cela pour le bien des générations à venir. ??a nous touche, mais ça vaut le prix.
« De la méthode » : Emmanuel Adalla Mbilong, chef de bloc n° 5 chefferie Melen 4
L??action du délégué du gouvernement est appréciable, si on s??en tient à l??idée. Une idée qui vise à embellir la ville de Yaoundé, siège des institutions de la République et vitrine du Cameroun. Il faut donc être insensé pour tirer à boulets rouges sur toutes initiatives visant à faire de notre capitale, une ville où il fera bon vivre, où le plan d??urbanisation est respecté. C??est très beau. Malheureusement, ce genre d??actions ne se font pas à tout temps. Elles doivent être menées avec méthode. Il faut que la population, qui doit être délogée, soit préalablement préparée et accompagnée. Nous représentons la population et cette population est extrêmement pauvre. Elle ne parvient même pas à manger à sa faim. Et si vous les délogez au prix de la beauté de la ville, je pense qu??il y a problème. Le Cameroun, pour ma part, n??est pas à caser maintenant. Il y a des préalables. Si nos populations mangent à leur faim, se soignent, alors on peut envisager de les loger décemment même s??il faille casser.