Lutte contre Boko Haram: Idriss Deby par là, Mebe Ngo’o par ici

Afrique

Le 3 février dernier, un officier supérieur de l’armée nationale tchadienne fait une entrée remarquée dans l’immense hall du somptueux Palais du 15 janvier.[pagebreak] Il parle discrètement aux journalistes camerounais repérés dans ce hall. Il leur confie:  » Lorsque le Cameroun est attaqué, c’est le Tchad qui est attaqué. Nous sommes prêts à mourir pour le pays frère du Cameroun ». Il s’approche ensuite de Hassan Sylla Bakari. Il lui dit quelques mots à l’oreille du ministre tchadien de la Communication.
Une fois dans la salle des conférences, le Mincom tchadien prend la parole en lieu et place de Kalzeubé Payimi Deubet, le Premier ministre qui était attendu, pour prononcer son discours de clôture des travaux du 6eme Forum des Editeurs de presse du continent, Forum que le Tchad venait d’héberger. Devant cette tribune de plus de 200 hommes des médias d’une trentaine de pays, le ministre de la Communication justifie l’absence du Premier ministre par une révélation accueillie en standing ovation:
 » Le chef du gouvernement ne peut plus être parmi nous ce soir. Il préside une importante réunion relative à la libération cet après-midi par les forces armées tchadiennes, de la ville nigériane de Gambaru. Boko Haram a été chassé de cette ville par notre aviation et nos forces terrestres… ».
Quelque temps après ces révélations, nous apprenions que la présidence de la République du Tchad venait d’envoyer à Gambaru une équipe de journalistes pour aller vivre en témoins la libération de cette ville et les dégâts causés par les combats entre les éléments de Boko Haram et les forces tchadiennes. Pendant ce temps, Emmanuel Nadingar, le secrétaire général du Mouvement patriotique du salut (Mps), parti politique au pouvoir, avait été depêché dans les hôpitaux où les blessés des combats de Gambaru étaient soignés, afin de leur apporter le réconfort gouvernemental.
Les journées des 2 et 3 février, la ville de N’Djamena les a vécues à la cadence de la libération de Gambaru. Dès le 28 janvier, Idriss Deby Itno avait plusieurs fois joint son homologue nigérian Goodluck Jonathan au téléphone; il lui enjoignait que si rien n’était fait du côté nigérian pour neutraliser Boko Haram de ses attaques fréquentes en territoire camerounais et tchadien, le Tchad serait contraint de pénétrer dans le territoire nigérian afin d’y déloger les combattants de cette secte.
Pour des mobiles de souveraineté nationale en cette période de campagne électorale au Nigeria, Goodluck Jonathan n’a pas formellement autorisé les frappes tchadiennes à l’intérieur de son territoire, mais il a fermé les yeux face à celles-ci. Les populations de Gambaru, de Fotokol, de Mokolo ou de Kolfalta ne sont pas encore totalement en paix, mais le spectre des attaques nocturnes semble progressivement s’éloigner d’eux.
C’est le 16 janvier dernier que les forces armées tchadiennes sont entrées en guerre pour prêter mains fortes à leurs homologues camerounaises et nigérianes dans leurs luttes contre la secte Boko Haram. Selon des officiers militaires rencontrés ici et là, ils attendaient le feu vert des politiques afin « d’aller nettoyer ces bandes de bandits et de clochards qui empêchent les populations de dormirent ».
Ce jour-là, Mbaire Bessingar, directeur de l’Agence tchadienne de presse avait vécu une autre scène dont il se souvient des articulations: » De mémoire d’homme de presse, je n’avais jamais vécu pareille marche. Toute l’opposition était-là au grand complet; toute l’assemblée et tous les membres du gouvernement étaient aussi là pour soutenir l’option du chef de l’Etat et encourager les militaires qui allaient en guerre pour soutenir un pays frère agressé », avait-il observé.
Nous croyions au départ, lorsque Boko Haram commençait ses actions au Nigeria, qu’elles resteraient localisées sur le seul territoire nigérian. Contre toute attente, Boko Haram a ouvert un front au Cameroun, puis au Tchad, s’étendant ensuite comme une pieuvre au Niger. Aujourd’hui, le Nigeria et le Cameroun paient le plus lourd tribut des actes de ces aventuriers devenus une véritable guerre qui emporte nos soldats, esquinte notre budget, traumatise les populations, pas seulement dans l’Extrême nord, mais quasiment dans tout le pays.
Dans les pays de la ligne de front contre Boko Haram, des actions sont menées par pays. Elles sont aussi régionales, comme ce fut la rencontre des ministres des affaires étrangères et de la défense à Niamey le 20 janvier dernier. Au niveau continental, le 24eme sommet de l’Union africaine tenu à Addis Abeba la semaine dernière, a fait d’Idriss Deby Itno la star du sommet, non seulement en sa qualité de président en exercice de la Ceeac, il a organisé un mini sommet en marge de celui de l’Ua. Grace à son intervention au Cameroun et au Nigeria, son armée a contribué à déloger de ses terres arrachées, Boko Haram.
Au Cameroun sur ce sujet, le pays semble avancer sur un pilotage automatique. Le chef des armées et de la diplomatie, le président de la République est aphone. Il est absent des forums où quelque fois le sort de son pays est débattu. Il ne s’adresse pas à son peuple pour lui expliquer les raisons de la présence d’une armée étrangère sur le sol national. Les Camerounais sont réduits à chercher ailleurs des informations utiles sur la guerre menée contre Boko Haram. En raison de cette désertion du champ de la communication et de la diplomatie par le chef de l’Etat du Cameroun, Idriss Deby Itno et Edgar Alain Mebe Ngo’o occupent l’espace. On ne voit que ces deux-là: le premier pour son pays le Tchad et l’ensemble de la sous région, le second pour le Cameroun. N’a t-on pas coutume de dire que la nature a horreur du vide ?

Xavier messè

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