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L'ouverture sur le Cameroun

Le retour des évangélistes

Le 11 février dernier, l??évangéliste et prophète nigérian du Synagogue Church of All Nations, T.B. Joshua, est à la Une du magazine  Time. Agé de 46 ans, T.B. Joshua reçoit chaque année des centaines de milliers de visiteurs, dont des chefs d??Etat. Derniers illustres

visiteurs en date : les présidents ghanéen John Evans Atta Mills et nigérian Umaru Musa Yar??Adua.
Barack Obama n??a pas bénéficié de la même sollicitude que John Mc Cain, le candidat républicain à la présidentielle américaine de novembre 2008. Mais cela ne lui a pas porté malchance. En effet, McCain avait réussi à décrocher un rendez-vous auprès du révérend pasteur Billy Graham, passage obligé de tout prétendant sérieux à la Maison blanche depuis quarante ans. Un rite qui s??impose aux Etats-Unis : obtenir la bénédiction des évangélistes, qu??on soit démocrate ou républicain. Jimmy Carter, Richard Nixon, Ronald Reagan, Bill Clinton, Bush père et fils ont tous reçu l??imposition des mains d??un Billy Graham ou d??un Pat Robertson avant, pendant et après leur élection. Lors des présidentielles de 2004, alors que John Kerry, candidat démocrate et catholique, se faisait refuser l??hostie (il a connu un divorce, ce que condamne le Vatican), Georges W. Bush recevait l??« onction du Saint-Esprit » et était l??objet des grandes attentions de ses coreligionnaires « born gain » (nés de nouveau). Les dépositaires de la « bonne nouvelle » et faiseurs de rois ont fait des petits mais bien plus, des émules en Afrique où on assiste depuis plus de deux décennies à un puissant renouveau spirituel et politico-religieux.Les grosses pointures africaines qui ont succombé à l??effusion du l??Esprit Saint et se proclament « born again » sont légion : A son retour sur la scène politique, l??ancien président béninois avait ouvertement affiché son appartenance à la mouvance évangélique. Olusegun Obasanjo du Nigeria a « rencontré » le Seigneur alors qu??il purgeait sa peine de réclusion à perpétuité sous le régime du dictateur Sani Abacha, avant d??être libéré à la mort de ce dernier pour conquérir le pouvoir. Le général Yakubu Gowon, qui dirigea le Nigeria de 1966 à 1973 pendant la guerre du Biafra, est aujourd??hui évangéliste à plein temps. Le cas du couple présidentiel ivoirien, Laurent et Simone Gbagbo, n??est pas le moindre, tant il aura défrayé la chronique avec l??omniprésence du pasteur pentecôtiste Moïse Koré. Mais il n??est pas atypique.D??où vient donc cet engouement pour des mouvements qui, au mieux, étaient qualifiés de « sectes » par les religions dites historiques, église catholique en tête ? Comment ont-ils atteint les plus hautes sphères de l??Etat depuis leurs débuts dans les ghettos d??Abidjan ou de Kinshasa, où des pasteurs quelquefois autoproclamés s??époumonaient devant des fidèles paumés et médusés ?
Prières collectives et incantatoiresLe pentecôtisme tel que nous le connaissons aujourd??hui est né aux Etats-Unis au tournant du siècle dernier sous la houlette du pasteur méthodiste Charles Parham. Selon le Dr. Wilbert Kreiss de l??église Luthérienne, un groupe d??étudiants de l??Institut biblique de Topeka (Kansas) « vécut ce qu??on appela une nouvelle Pentecôte : l??Esprit descendit sur le groupe en prière, l??un des participants se mit à parler en langues, bientôt imité par les autres. Le pentecôtisme était né. » Par la suite, le pasteur baptiste noir William Joseph Seymour, ancien élève du même institut, fait découvrir le mouvement à la côte Ouest, notamment à Los Angeles. Il dénonce l?? « académisme » affiché dans l??enseignement catéchumène et le culte dominical, et draine avec lui un vent du renouveau dans la liturgie enseignée dans une Amérique prisonnière de ses préjugés raciaux et enfermée dans ses barrières ségrégationnistes. Seymour encourage la ferveur de la foi, la frénésie dans la communion, l??enthousiasme et l??effervescence collectifs, le chant et la danse. Le jazz et le « negro-spirituals » trouvent immédiatement leur place autour de l??autel. Les prières deviennent collectives, incantatoires et pleine d??émotivité, donnant quelquefois l??impression d??un concert cacophonique, d??où la désignation de « barking Saints » (les Saints qui aboient) qu??on leur attribua. La moutarde est forte. Elle prend rapidement en Afrique du Sud où les rapports entre les races ont également, comme aux Etats-Unis, des formes de plus en plus ségrégationnistes. Puis, ce sera la remontée vers le Nord. Ainsi verra-t-on, dès le début des années 20 et tout le long des années 30, les premiers évangéliques de la congrégation des Assemblées de Dieu s??établir en Afrique du Centre et de l??Ouest. Lagos (Nigeria), Accra (Ghana) et Monrovia (Liberia) seront les plaques tournantes à partir desquelles la « bonne nouvelle » se répandra vers plusieurs pays africains. Certaines communautés naissent localement, sans dépendre directement d??une église mère outre mer. C??est le cas, parmi tant d??autres, de la Redeemed Christian Church of God (Eglise chrétienne des Rachetés de Dieu), fondée en pays Yoruba (Nigeria) en 1952 par Josiah Akindayomi. Né en juillet 1909, il fut membre de la Church Missionary Society puis du Cherubim and Seraphim Church. C??est un professeur de mathématiques de l??université de Lagos, Enoch Adejare Adeboye, devenu « born again » et pasteur, qui lui succèdera. Cette église, présente dans onze pays africains, en France, en Angleterre, aux Etats-Unis et dans les Caraïbes, revendique une fréquentation de près d??un million de fidèles. Elle a créé une université, ouvert des écoles au Nigeria et à l??étranger, contrôle quatre banques et est propriétaire d??une station de télévision par satellite.
Des centaines de milliers de visiteursLe 11 février dernier, l??évangéliste et prophète nigérian du Synagogue Church of All Nations, T.B. Joshua, est à la Une du magazine Time avec ce titre évocateur : « How faith can heal » (Comment guérir par la foi). Agé de 46 ans, T.B. Joshua reçoit chaque année des centaines de milliers de visiteurs, dont des chefs d??Etat. Derniers illustres visiteurs en date : les présidents ghanéen John Evans Atta Mills et nigérian Umaru Musa Yar??Adua qui l??a fait officier de l??Ordre de la République fédérale du Nigéria. Ses impositions de mains suivies de miracles sont regardées sur les cinq continents grâce à une retransmission live depuis sa station de télévision Emmanuel TV.
500 millions de dollars, 50 hôpitaux, une universitéEn Côte d??Ivoire, la Conférence des Eglises protestantes et Missions Evangéliques  dont le Réverend docteur Yayé Dion Robert de l??Eglise Baptiste ??uvre et Mission Internationale est le président, est forte de 82 fondateurs d??églises et de missions, 597 pasteurs et 253.000 fidèles. Le pasteur Dion Robert avait quitté l??église baptiste pour fonder un mouvement évangélique en 1975. Il a rapidement tissé des liens avec des églises aux Etats-Unis (notamment la South Baptist Convention), et en Afrique du Sud. Au cours d??une convention à laquelle participait Mme Simone Gbagbo, l??épouse du chef de l??Etat elle-même fervente chrétienne évangélique, le pasteur Dion Robert annonça qu??il lancerait prochainement un programme de 500 millions de dollars pour la construction de 50 hôpitaux, d??une université et de plusieurs établissements scolaires allant de la maternelle à la classe de terminale. Les chrétiens évangéliques fondent leur itinéraire liturgique sur l??effusion du Saint-esprit telle que rapportée par la bible dans les Actes des apôtres, la guérison, le don de prophétie, la glossolalie ou le parler en des langues inconnues, le témoignage et l??évangélisation, devoir de tout chrétien « né de nouveau ». Ici, tout enfant de Dieu est un moissonneur, car « la moisson est grande, mais il y a peu d??ouvriers », selon un passage très utilisé du Nouveau Testament. Le piétisme individuel, qui consiste à prier Dieu pour soi, fait place alors à la ferveur partagée, qui élève l??individu dans le groupe et affirme sa personnalité individuelle, le lien personnel qui fait de lui un « ami du Seigneur ».
Campagnes d??évangélisation et séances de guérisonAvec le « renouveau charismatique », sorte de réponse de l??église catholique face à l??érosion de ses fidèles, on peut également parler de catholicisme évangélique ou de néo-pentecôtisme, qui date seulement du milieu des années 60. Ce dernier opère avec les mêmes techniques d??approche, et ses membres font également une lecture littérale de la bible, encourage la manifestation des dons de l??esprit, organise des campagnes d??évangélisation et des séances de guérison des malades. Mais ses membres restent soumis à l??autorité papale.Les chrétiens évangéliques sont organisés en petits groupes de prière qui peuvent se réunir plusieurs fois sinon tous les jours de la semaine avec des thèmes différents : intercession, guérison, louange et adoration, évangélisation, etc. L??explosion des moyens de communication à partir des années 90 arrive comme une manne tombée du ciel : la plus petite communauté a désormais son site Internet, les pasteurs, mieux, les « ministres de Dieu » selon une appellation qui leur est commune, se font inviter dans des Talk Shows radiophoniques ou télévisuels, à moins qu??ils n??en soient eux-mêmes producteurs.Le début des années 80 marque un tournant décision : la crise économique frappe durement le continent africain. Tous les pays, à quelques exceptions près, passent sous les fourches caudines du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale. Le chômage atteint des sommets insoutenables. Plusieurs entreprises ferment. C??est la récession, à laquelle s??ajoutent les conflits armés, l??exode massif des populations, et même un génocide, celui du Rwanda. L??Afrique est également secouée par le vent du changement politique des années 90, qui, paradoxalement, entraîne plus d??incertitudes et d??interrogations face à l??avenir. Un terreau propice au retour à des valeurs traditionnelles, sinon morales, et favorable à une explication plus spirituelle du sens de l??existence dont celle de plusieurs s??est retrouvée ruinée du jour au lendemain. D??abord refuge des pauvres, les petites communautés évangéliques parsemées dans les bidonvilles des grandes agglomérations africaines ne disposaient pas de moyens pour offrir aux fidèles autre chose que le « pain spirituel ». C??est l??époque où elles étaient qualifiées de « sectes » par les églises protestantes ou catholiques. La venue des pasteurs évangéliques américains, dont la stratégie est d??associer toutes les églises d??obédience pentecôtiste à la préparation et la coordination de leurs tournées africaines, leur a permis d??exposer leurs difficultés, d??obtenir des aides et des financements leur permettant de mieux s??établir et donc d??attirer une couche plus aisée de la population. Les pasteurs américains trouvèrent également en ces groupes de puissants relais, qui n??avaient besoin que de quelques subsides pour prospérer. Face à la crise, les églises dites traditionnelles n??ont pas eu de réponses adéquates aux fidèles dont plusieurs désertèrent alors les immenses salles de culte et leur formalisme coupé des réalités quotidiennes. Le passage des évangélistes tels que Jimmy Swaggart, Reinhard Bonnke ou Morris Cerullo, a joué un rôle déterminant dans la prise en considération des petits groupuscules. Lors des campagnes, les nouveaux fidèles sont « captés » par les églises participantes. Parmi eux, toutes les couches de la population sont représentées, dont certaines disposent de grands moyens, mais vivent une « misère spirituelle » qui trouvera réponse dans le communautarisme réconfortant des évangéliques. Jean-Paul Willaime, directeur d??études à l??Ecole pratique des Hautes Etudes et spécialiste du protestantisme trouve dans le pentecôtisme « une prise en charge symbolique du malheur et de la souffrance, d??où le succès du mouvement chez des personnes déstabilisées psychologiquement, mais aussi déstructurées socialement. »La croissance des églises pentecôtistes a ainsi pris des courbes exponentielles. Selon plusieurs sources, les églises historiques ne connaîtraient qu??une croissance annuelle moyenne d??environ 2% (pour celles dont la courbe est ascendante car plusieurs une diminution de la fréquentation), contre une moyenne allant de 20 à 50% pour les évangéliques. Croissance en terme de quantité mais aussi de qualité, puisqu??on y retrouve pêle-mêle des responsables de la haute administration, des hommes d??affaires florissants qui affirment devoir leur fortune grâce aux prières.Les évangéliques rejettent toute forme de syncrétisme. Le fondamentalisme les soumet à une interprétation littérale de la bible. S??appuyant sur un texte de l??Ancien Testament (Deutéronome chapitre 18), les membres ne lisent pas les horoscopes, ne consultent pas les diseurs de bonne nouvelle, abhorrent toute tradition faisant appel à l??invocation et au culte des morts. Ce dernier aspect les oppose au catholicisme qui admet la prière en faveur des disparus et l??invocation des Saints. L??administration du baptême est également un point d??achoppement entre les deux communautés : baptême par aspersion (un peu d??eau sur la tête du nouveau-né selon le rite catholique et protestant) ou par immersion (tel que Jean le Baptiste l??administra et auquel Jésus Christ lui-même se soumit) ?Le rigorisme dans la pratique de la foi semble avoir séduit plus d??un nouveau membre, dans des sociétés où le modernisme a soumis les valeurs morales à rude épreuve et où on assiste à une désagrégation du tissu social et familial. Du haut de leur chaire ou parcourant les allées, les « ministres de Dieu » dénoncent avec vigueur le relâchement des m??urs et les tares sociales. En dépit des révélations sur l??indélicatesse de certains ministres de Dieu, la foi des fidèles évangéliques semble demeurer inébranlable. Ils restent assidus et payent régulièrement la dîme, soit le dixième de leur revenu. Ce qui permet à ces églises de disposer d??importants budgets et de mener quelquefois un rythme de vie ostentatoire. « Les hommes de Dieu sont les cibles privilégiées du diable, nous confie le pasteur Dipakayi, originaire du Congo démocratique. Il peut arriver qu??ils chutent, c??est pour cela qu??il faut beaucoup prier pour eux. Mais ne médiatisons pas à l??excès des cas très isolés ! » Arrivé à Abidjan au début des années 80 pour y installer la première branche de la « Mission des Frères Chrétiens » dont il est le fondateur, ce pasteur missionnaire, harangueur de foule et brillant prédicateur, a ouvert des églises en France, en Belgique, au Canada et aux Etats-Unis où il voyage régulièrement. D??autant que les évangéliques américains sont de plus en plus présents sur le continent. Ils font fonctionner à haut débit le flux d??échanges et ouvrent de plus en plus les universités évangéliques aux étudiants africains. La Oral Roberts University du télévangéliste américain du même nom, a accueilli, en 2005, 5234 étudiants venus de 66 pays dont plusieurs d??Afrique noire. Ces échanges permettent, dans une large mesure, de servir également la volonté désormais affichée des lobbies évangéliques présents jusqu??au sein de la Maison Blanche, d??influer sur la « géographie » religieuse du monde et donc de l??Afrique. Leurs relais s??étendent également auprès des ONG évangéliques, très présentes dans les pays déchirés par la guerre ou victimes de calamités naturelles. C??est le cas au Darfour soudanais, dans l??Est du Tchad, au Congo démocratique, en Côte d??Ivoire, en Sierra Leone, au Liberia ou encore en Algérie. Ce qui a pu faire penser que le pentecôtisme est le « bras spirituel » de l??Amérique impérialiste. Mais rien n??est moins sûr, d??autant que personne ne doute plus désormais de l??autonomie financière des églises évangéliques africaines, de leur enracinement local, de leur mode de création, d??expansion, et?? de prospérité.
par Honoré, Presse de la Nation

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