Jean Pierre Ngonzo : « Une délégation de signature ne traduit pas toujours l’indisponibilité du délégant »

Ferdinang Ngo Ngo et le président Paul BIYA

Dans une interview accordée à nos confrères de Mutations, le politologue et enseignant à l’École supérieure des sciences de l’information et de la Communication (ESSTIC), Jean Pierre Ngonzo donne des clés de compréhension sur la délégation permanente de signature récemment accordée par le président de la République, au ministre d’État, Ferdinand Ngoh Ngoh.

237online.com partage avec vous ci-dessous, l’intégralité de cette interview

Le 05 février dernier, le président de la République a signé un décret accordant une délégation permanente de signature au ministre d’État, secrétaire général à la présidence de la République (Sg/Pr). Qu’est-ce qu’une délégation de signature ?

La délégation de signature est un acte administratif par lequel une autorité administrative autorise un agent ou un collaborateur qui lui est subordonné, à prendre ou signer certains actes et décisions en ses lieu et place, mais en principe, sous son contrôle et dans tous les cas, sous sa responsabilité. Son régime juridique exige d’une part qu’elle soit formellement autorisée par un texte (Constitution, loi, décret, etc.), et d’autre part, qu’elle ne soit jamais totale et qu’elle précise les matières sur lesquelles elle porte. Elle est soumise à une exigence de publication. Elle prend fin soit par un retrait formel du délégant, soit en principe lorsque le délégant ou le délégataire change.

Bénéficiant d’une délégation de signature du président de la République, le ministre d’État, Sg/Pr, peut-il être assimilé à un « petit Président » ?

La délégation de signature du président de la République ne peut porter que sur ses attributions propres. Les attributions d’un délégataire sont fixées et limitées par la délégation elle-même, dès lors qu’elle précise limitativement les matières sur lesquelles portera l’autorité du délégataire. Toutefois, la délégation de signature ne dessaisit pas le délégant ou titulaire originaire de la compétence ; ce dernier pouvant, à tout moment, décider en lieu et place du délégataire ou encore mettre fin à la délégation par un acte de retrait de signature.

De ce point de vue, l’on ne saurait assimiler le ministre d’État, Sg/Pr, à un « petit Président », et encore moins à un président double. Le délégataire, en la personne de Ferdinand Ngoh Ngoh, étant subordonné au président de la République, Paul Biya ; tous les actes pris dans le cadre de la délégation dont il est bénéficiaire le sont sous l’autorité du président de la République dont il engage la responsabilité. D’où l’usage du cachet portant mention : « Pour le président de la République et par Délégation », devant précéder la signature du ministre d’État, Sg/Pr, agissant comme délégataire. La délégation de signature ne signe donc pas une nouvelle fonction pour le ministre d’État, Sg/Pr, et encore moins une promotion. Le président de la République reste donc l’auteur des actes signés par le ministre d’État, Sg/Pr, agissant comme délégataire.

Dans quelles circonstances le président de la République peut-il déléguer sa signature au ministre d’État, Sg/Pr ?

Le président de la République peut, au terme de la Constitution, accorder une délégation de signature au Premier ministre, ou à un membre quelconque du gouvernement, en cas d’indisponibilité ou d’empêchement temporaire d’une part, et à tout moment, selon qu’il juge nécessaire d’autre part. Il ne faut pas perdre de vue que le ministre d’État, Sg/Pr, auréolé de la qualité de ministre d’État, est un membre du gouvernement.

Quels sont les mécanismes dont dispose le président de la République pour contrôler le délégataire ?

Le principal mode de contrôle du délégant sur le délégataire découle de ce que la délégation de signature ne dessaisit par le président de la République de sa compétence. Il est donc clair qu’il dispose, en permanence, de la faculté de prendre d’une part, des actes dans les matières objet de la délégation et d’autre part, des contre-actes, susceptibles d’abroger les actes pris par le délégataire. En tout état de cause, il dispose de la faculté de retrait de la délégation.

Quelles peuvent être les sanctions encourues par le ministre d’État, Sg/Pr, en cas de mauvais usage de la délégation de signature ?

D’éventuelles sanctions auxquelles le ministre d’État, Sg/Pr, agissant comme délégataire s’expose, en cas de mauvais usage de la signature présidentielle, sont évidentes. Et au nombre de celles-ci, on peut citer la perte de confiance du président de la République, qui peut se traduire par un retrait de la délégation d’une part, et par un limogeage d’autre part, pour des actes extrêmement graves. Toutefois, ces sanctions relèvent de la discrétion du président de la République. Ces actes peuvent aussi faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.

Du fait de la personne du délégataire (à savoir le ministre d’État, Sg/Pr) et de son caractère permanent, le décret présidentiel du 05 février dernier portant délégation de signature à Ferdinand Ngoh Ngoh est-il une entorse à la loi ?

Rappelons qu’au regard de l’article 10 de la Constitution de 1996, le président de la République peut accorder une délégation de signature au Premier ministre ou à un membre quelconque du gouvernement. Or, le ministre d’État, Sg/Pr, est auréolé de la qualité de ministre d’État ; ce qui de fait, l’assimile à un membre du gouvernement au même titre que les ministres délégués à la présidence de la République. Sa désignation comme délégataire ne souffre donc d’aucune entorse. Quant au caractère « permanent » de la délégation de signature, celui-ci relève de la discrétion du président de la République. Ce privilège découle du principe juridique suivant lequel, « ce que la loi n’interdit pas est permis ».

Du moment où l’hypothèse d’une délégation permanente de signature n’est pas proscrite par un dispositif normatif, il revient au président de la République, la prérogative de fixer la durée de la délégation. Ce dernier (président de la République) reste donc juge de l’opportunité de limiter ou pas cette délégation dans le temps.

Toutefois, une délégation de signature ne traduit pas toujours l’indisponibilité du délégant. On peut déléguer en restant présent et en activité permanente. C’est dire que le caractère permanent d’une délégation ne saurait, en aucune façon, signer une indisponibilité permanente du délégant, et encore moins, une vacance de pouvoir.

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