Inégalités entre Noirs et Blancs en Afrique du Sud, 25 ans après l’apartheid

Le 27 avril 2018, l’Afrique du Sud commémorait les 25 ans de la fin de l’un des pires systèmes de ségrégation raciale au monde : l’apartheid. Si les lois sud-africaines ne distinguent plus les citoyens blancs et noirs, le revenu des familles blanches reste 5 fois supérieur à celui des familles noires, 75% des fermes appartiennent toujours aux Blancs, et seulement 1 Noir sur 20 décroche un diplôme d’études supérieures.

Un quart de siècle après la fin officielle de l’apartheid, la société sud-africaine semble être plus inégalitaire que jamais.

D’après les statistiques, 80% des Sud-africains sont noirs, pour seulement environ 8% qui sont blancs. Pourtant les familles blanches gagnent en moyenne 35 739 $ par an, soit cinq fois plus que les familles noires qui gagnent en moyenne 7 479 $ par an.

Pourtant les familles blanches gagnent en moyenne 35 739 $ par an, soit cinq fois plus que les familles noires qui gagnent en moyenne 7 479 $ par an.

Selon la Banque mondiale, 3 millions de Sud-africains ont basculé dans l’extrême pauvreté entre 2011 et 2015. Les populations noires sont naturellement les plus affectées par le phénomène. D’après l’Institut sud-africain des relations entre les races (IRR), 20% des foyers noirs vivent dans une extrême pauvreté contre seulement 2,9% des foyers blancs. Entre 1990 et 2005 le pays a reculé de 35 places au classement IDH du PNUD.

20% des foyers noirs vivent dans une extrême pauvreté contre seulement 2,9% des foyers blancs. Entre 1990 et 2005 le pays a reculé de 35 places au classement IDH du PNUD.

« L’un de nos plus grands échecs au cours des 25 dernières années a été de ne pas être parvenu à une plus grande égalité. Nous sommes devenus l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde » a déclaré l’ancien président Frederik Willem de Klerk sur les antennes de la chaîne de télévision eNCA.

La mise en place de politiques de discriminations positives, n’a eu que peu d’impact sur le niveau de vie de la grande majorité de la population noire sud-africaine. Ainsi, l’adoption en 1998 de l’ Employement Equity Act qui accorde une priorité aux populations noires dans l’accès aux emplois, n’a pas permis de réduire le taux de chômage dans le pays. Un taux qui s’est même accentué ces dernières années pour atteindre les 27% en 2018, contre 20% en 1994. 41,5% des Sud-africains noirs seraient frappés par le chômage contre 11,7% des blancs.

A cet effet, l’analyste Nickson Katembo indiquait que « la population blanche occupe encore une grande partie des postes de direction dans les secteurs publics et privés. De sorte que le fossé économique persiste même après l’apartheid. »

Une économie minée par la corruption…

Le 5 juin 2018, l’agence sud-africaine des statistiques annonçait une contraction de 2,2% de l’économie sud-africaine, la plus grave depuis neuf ans. Le 4 septembre, une nouvelle contraction de 0,4% plongeait le pays dans la récession technique.

Ces mauvaises performances de l’économie la plus industrialisée de l’Afrique, autrefois première puissance économique du continent en terme de PIB, étaient symptomatiques des longues années de mauvaise gestion qu’a connu le pays. C’est d’ailleurs sous le mandat de l’ancien président Jacob Zuma qu’éclatera la majeure partie des scandales de corruption et des crises qui minent l’économie sud-africaine aujourd’hui.

D’après l’indice de perception de la corruption publié chaque année par l’organisation non gouvernementale Transparency International, l’Afrique du Sud se classe au 73e rang sur 180 pays.

C’est dans cette optique que le président Cyril Ramaphosa, arrivé au pouvoir en 2018 après la démission de Jacob Zuma, a annoncé vouloir faire de la lutte contre la corruption, son cheval de bataille. « On ne peut pas être une nation libre tant que les fonds destinés aux pauvres sont gaspillés, perdus ou volés » a ainsi déclaré le chef de l’Etat sud-africain. Les enquêtes judiciaires lancées contre l’ancien président Zuma et la très controversée famille Gupta, traduisent assez clairement cet engagement.

« On ne peut pas être une nation libre tant que les fonds destinés aux pauvres sont gaspillés, perdus ou volés » a ainsi déclaré le chef de l’Etat sud-africain.

Cependant, c’est surtout sur le terrain du financement de l’économie que se joue aujourd’hui la reprise de la croissance sud-africaine. La dette des entreprises publiques telles que l’Eskom (société nationale d’électricité) qui cumule à elle seule des arriérés de plus de 30 milliards $, pèse sur les finances publiques. Malgré l’intention affichée du gouvernement de faire redémarrer l’économie en y attirant 100 milliards $ d’investissement sur cinq ans, plusieurs observateurs sont pessimistes quant à une sortie rapide de la crise que traverse le pays. D’après le FMI, la croissance économique sud-africaine devrait néanmoins reprendre, quoique faiblement en 2019, à 1,2% puis à 1,5% en 2020.

Un système éducatif peu performant

D’après un rapport de l’OCDE publié en 2015, l’Afrique du Sud se classait 75ème sur 76 pays en matière d’éducation. Cette situation serait due autant au manque de qualification du personnel enseignant qu’à une discrimination entre blancs et noirs dans l’accès à l’éducation. D’après le journal The Guardian, seul un Sud-africain noir sur 20 réussit des études supérieures. Plus de la moitié de ceux qui parviennent jusqu’à l’université décrochent avant d’obtenir leur diplôme. A contrario, 3 Blancs sur 4 qui entreprennent des études supérieures vont jusqu’au bout, selon un rapport du haut conseil sud-africain de l’éducation.

Malgré une hausse des inscriptions scolaires et universitaires chez les Noirs à partir de 1994, les statistiques montrent que le secteur de l’éducation est toujours aussi inégalitaire. D’après de nombreux experts, le secteur sud africain de l’éducation souffre d’un manque de financement de la part de l’Etat.

La question de la réforme agraire…

Monopolisant depuis quelques années une bonne partie des débats au sein de la société sud-africaine, la question de la réforme agraire reste au cœur du débat politique. Et pour cause, elle traduit assez fortement les inégalités, vestiges de l’apartheid, qui sévissent encore dans le pays.
D’après le gouvernement, 72% des fermes sud-africaines seraient détenues par la minorité blanche contre 4% seulement détenues par la majorité noire.

D’après le gouvernement, 72% des fermes sud-africaines seraient détenues par la minorité blanche contre 4% seulement détenues par la majorité noire.

Les gouvernements post-apartheid qui se sont succédés au pouvoir n’ont jamais réussi à réparer l’injustice causée par le Native Land Act, voté en 1913 qui réservait seulement 7% des terres sud-africaines aux populations noires.

Malgré l’adoption à partir de 1994 d’un programme de subvention pour l’acquisition de terres vendues par des fermiers blancs, en faveur des Noirs, le bilan est loin d’être positif. Selon les experts, à peine 8% des terres agricoles commerciales appartenant à des exploitants blancs ont été redistribuées jusque là.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour une expropriation des fermiers blancs de « leurs terres » pour les redistribuer aux Noirs, la crainte d’une répétition du scénario zimbabwéen semble hanter les esprits. Les discussions pour « trouver la meilleure formule » sont toujours en cours, alors que les massacres de fermiers blancs ces dernières années (au moins 72 tués en 2017) ont contribué à développer le sentiment d’un « racisme anti-blanc ».

Encore une fois l’ANC sort vainqueur des législatives qui viennent d’avoir lieu, mais l’aura qui entourait le parti de Nelson Mandela s’est étiolée sous les affres des scandales et d’une totale incapacité à réduire l’injustice sociale. 25 ans après la fin de la ségrégation raciale, le combat pour l’égalité économique et sociale des races semble plus que jamais d’actualité. « Notre démocratie a fleuri (…) mais la route vers la vraie liberté est longue et nous avons vu les divisions de notre société s’accroître, » déclarait en février dernier, Cyril Ramaphosa.

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