Droits humains en milieu carcéral: Menottés et enchaînés des détenus subissent les regards des passants

Droit humain

Pieds et mains liés, des détenus cheminent du palais de justice à la prison de Bafoussam. Une situation dégradante, justifiée par le régisseur de la prison centrale, qui l’explique une panne affectant le véhicule destiné au convoiement des détenus.

Un soleil de plomb rayonne sur le quartier administratif de la ville de Bafoussam ce mardi 14 mars 2023 vers 11heures30. Une trentaine de détenus, menottes aux poings et chaînes aux pieds, marchent à pied du palais de justice à la prison centrale de Bafoussam, située à plus de deux kilomètres. Certains baissent la tête à la vue des passants. Encore présumés innocents, ils ne semblent pas supporter cette humiliation qui, non seulement les épuise physiquement, mais aussi, contribue à dégrader leur image auprès des passants qui les observent passer en pensant qu’ils sont tous « des criminels ». Ou encore, ils vont, comme d’habitude, affronter le regard « méprisant » des jeunes élèves du secondaire. Étant donné qu’ils doivent traverser, à pied, non seulement les services publics très fréquentés à l’instar de la délégation régionale des enseignements secondaires de l’Ouest, mais aussi, le lycée bilingue de Bafoussam et le lycée technique de Bafoussam- Banengo, avant de rejoindre la prison centrale.

Droit à l’image, droit à la dignité

Avocat au barreau du Cameroun, Me Julio Koagne indique que ce n’est pas la première fois que les détenus de la prison centrale de Bafoussam vivent cette situation. Il déplore aussi la non protection des détenus dont les affaires sont encore en instance, leur sort n’ayant pas encore été décidé par un jugement ou un arrêt définitif et irrévocable. Pour lui, leur droit à l’image liée au respect de leur dignité a été violé. Tout comme, il fait observer que des personnes menottées et enchaînées qui marchent sous un soleil de plomb peuvent connaître des problèmes de santé par la suite. Directeur exécutif de la Ligue des droits et des libertés (Ldl), Charlie Tchikanda relève que l’État du Cameroun ne fait rien pour traiter avec dignité les détenus, présumés innocents. Il fonde sa position sur l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « 1-Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine….» L’ensemble des règles minimas des Nations unies sur les droits des détenus ou Règles Nelson Mandela prescrivent aussi qu’ils soient traités avec dignité.

Approché par Journalistes en Afrique pour le développement (Jade), M. Békolo, régisseur de la prison centrale de Bafoussam justifie ce manquement par le fait que l’un des deux véhicules automobiles de convoiement des détenus de ce pénitencier a connu une panne mécanique. Le seul disponible étant affecté à cette heure là au transport du bois de chauffage devant servir à la cuisson du repas des pensionnaires de cette prison.

Reste que Me Julio Koagne fait savoir qu’un détenu dont l’image ou le droit à la dignité inhérente à la personne humaine a été violée peut saisir les tribunaux pour réparation. Il pense que le régisseur de prison a l’obligation « de veiller au respect du droit à l’oubli de la personne détenue ou condamnée qui, à son retour à la vie libre, doit pouvoir trouver un emploi, un logement, reprendre une vie familiale.»

En droit comparé, la protection du droit à l’image des détenus est assurée par la Cour européenne des droits de l’homme par application de l’article 8 de la Convention relatif au respect de la vie privée.

Dans le même registre, l’article 41 alinéa 2 de la loi pénitentiaire française du 24 novembre 2009 prévoit que l’administration pénitentiaire peut s’opposer à l’exposition de l’image du détenu lorsqu’il s’avère nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu’à la réinsertion de la personne concernée.

Guy Modeste DZUDIE ( JADE)

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