Côte d’Ivoire, l’étrange mise à l’écart d’Adama Bictogo

Adama Bictogo

Alors que le Président ivoirien a lancé un vaste programme de modernisation, les réformes tardent. Miné par des objectifs divergents de certaines individualités, ou par l’inertie de ses équipes, les réformes inabouties suscitent l’ire de Ouattara… qui sanctionne le trop influent Adama Bictogo.   

A l’occasion du premier Conseil des ministres de la rentrée, le président ivoirien Alassane Ouattara a tapé du poing sur la table. Il a tout d’abord tancé ses ministres coupables à ses yeux d’avoir un trop faible taux d’exécution des réformes en cours, autrement dit de ne pas assez travailler pour le mieux-être des Ivoiriens. Il a également rappelé très fermement la prééminence du Premier ministre qu’il a choisi, Patrick Achi, en insistant sur le fait que les ministres devaient lui obéir, et non aller chercher conseils et ordres auprès du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), et de son directeur exécutif Adama Bictogo.

Un mini tremblement de terre à Abidjan

Le président Alassane Ouattara exige que l’intérêt général passe avant les combines et les arrangements entre amis. « Les intérêts de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens first » sourit un observateur du microcosme d’Abidjan, où les rumeurs vont bon train depuis ce qui apparait être une mise à l’écart publique du vieux grognard qu’est Adama Bictogo. Ce n’est pas la première fois que cet homme politique et homme d’affaires se retrouve sous les projecteurs. S’il est indéniable qu’Amada Bictogo est un fidèle de Ouattara depuis de nombreuses années, qu’il a su réorganiser le RHDP, le parti au pouvoir, et le mettre au service du président, certains observateurs considèrent qu’il pense déjà au coup d’après, et se positionne comme un candidat incontournable à la présidence. Le long portrait que senegal5.com lui a consacré le 27 mai 2021 visait, pour nombre des observateurs de la vie politique ivoirienne, à accréditer cette thèse tout en la réfutant aussitôt, un grand classique de la communication politique.

Scandales financiers

Mais ce sont surtout les déboires que rencontre Adama Bictogo dans sa vie professionnelle qui attirent l’attention. Son nom revient trop souvent dans la rubrique « affaires », que ce soit en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou encore en France. Soupçonné en 2011 du détournement des sommes destinées à l’indemnisation des victimes des déchets toxiques venus d’Europe du navire Probo Koala, son éviction du gouvernement avait fait grand bruit. Alors que les victimes de ce scandale n’ont toujours pas été indemnisées, l’influence de l’homme d’affaire au sein de l’administration présidentielle devient insupportable pour Ouattara et suscite des inquiétudes auprès du Premier ministre Patrick Achi.

Une telle opposition entre deux poids lourds politiques ivoiriens serait-elle uniquement fondée sur des divergences de ligne politique, ou sur la prévalence d’intérêts privés contraire à l’intérêt des citoyens ivoiriens ?

Le risque d’un agenda économique parallèle dicté par les intérêts particuliers

Selon les fuites recueillies à la suite du Conseil des ministres, ce n’est en effet pas la loyauté politique que visait Alassane Ouattara, en demandant à ses ministres de ne plus aller chercher leurs instructions au siège du RHDP, mais la crainte d’un agenda parallèle, notamment dans le domaine économique.

L’exécutif redoute que l’homme d’affaires Adama Bictogo impose ses décisions à un certain nombre de ministres, notamment les plus jeunes ou les plus influençables, dictées par les contrats qu’il a lui-même conclus avec un certain nombre de groupes industriels. Ce dernier a, dans son entourage, des hommes d’affaires à la réputation houleuse, notamment l’homme d’affaires Blaise Compaoré, dont Bictogo jouerait l’agent d’influence au sein du gouvernement.

Compaoré pâtit en effet de révélations fracassantes, selon les journalistes d’investigation de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP). Ses activités dans la production et la distribution de produits du tabac financeraient des organisations terroristes qui minent la sécurité en Afrique de l’Ouest. L’homme de Philip Morris au Burkina Faso, un contrebandier de cigarettes réputé, comme le titrent les journalistes, se trouve à la croisée des activités de production, de stockage, de transport et de distribution, et jouerait un rôle trouble, en collusion avec certains industriels du tabac, responsables de contrebande de leurs produits.

En tous cas, le Premier ministre Patrick Achi ne veut pas voir se développer un agenda parallèle qui serait dicté par les intérêts financiers d’Adama Bictogo, avec les risques de scandale que ces manœuvres impliquent. Parmi les affaires citées, la collusion de l’homme d’affaires peu scrupuleux avec des entreprises tout aussi véreuses, notamment européennes, dans les secteurs portuaires, le tabac et la construction, sont au cœur des préoccupations du gouvernement ivoirien. Une telle collusion portée au niveau du gouvernement est scandaleuse pour un grand État africain qui se modernise et se déleste du joug métropolitain.  

Dans une période fragilisée par les conséquences économiques et sanitaires liées à la pandémie du Covid, les pays, notamment africains, doivent veiller à l’état de leurs ressources financières et fiscales, à la fois pour répondre aux besoins et attentes de leurs populations de plus en plus fragilisées, et pour satisfaire aux exigences budgétaires des institutions financières comme le FMI. Les arrangements entre affairistes se font toujours sur le dos des populations et appauvrissent les États. C’est à l’aune de ce constat que l’on doit comprendre la rigueur qu’exige Patrick Achi.

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