Cameroun: Vives tensions autour d’une parcelle de 100 000 ha à Tignère

Un collectif d’éleveurs et d’agriculteurs s’oppose à l’attribution d’un espace au Dr Abdoullahi Shehou.

Le nouveau préfet du Faro et Déo, Auguste Essomba, qui prendra le commandement le 21 octobre prochain, trouvera sur sa table un dossier brûlant. Il en est de même du nouveau sous-préfet de Tignère, Anthelme Norbert Ntsakouma. Ces deux autorités administratives devront trouver une solution au litige foncier autour d’une parcelle de 100 000 hectares dans la localité de Mbakana, arrondissement de Tignère. Le litige a été déclenché le 27 février 2018 quand 17 familles représentées par sieurs Alhadji Bouba Ohodji et Alhadji Djibo, tous éleveurs, servent une sommation d’arrêter les travaux et de libérer les lieux à Alhadji Sehou Oumarou, par le canal d’un huissier de justice.

Les plaignats précisent qu’ :«ils ont reçu en pleine possession utile de leurs aïeuls une dépendance du domaine national sise à Mbakana, localité située entre Tignère et Libong, en direction de Ngaoundéré ; qu’à la suite de leurs ascendants respectifs, ils exploitent ledit espace à des fins agropastorales ; qu’à ce jour, une vingtaine de familles y est sédentarisée et travaille paisiblement ; que courant 2018, ils ont été informés par leurs bergers de ce qu’un groupe d’individus conséquemment équipés a investi les lieux et entrepris de clôturer l’espace dont il s’agit ; que s’y étant rendus, ils ont constaté l’exactitude de l’information reçue ; que des individus à l’œuvre sur le terrain ont unanimement déclaré travailler sur instructions et pour le compte de Alhadji Sehou Oumarou, éleveur demeurant à Tignère ; qu’eu égard à la gravité des actes posés, à la menace évidente qu’ils font peser sur la paix publique, tout autant que pour la préservation de leurs droits et intérêts respectifs, et préalablement à la saisine des autorités compétentes en règlement de la question, les requérants sollicitent une prompte discontinuation des travaux et la libération totale de leur espace ; qu’ils requièrent donc mon ministère à l’effet de servir à Alhadji Shehou Oumarou, une sommation aux fins sus spécifiés», a constaté l’huissier de justice, Me Philippe Bedinge.

Et le 1er mars 2018, ce collectif d’éleveurs et d’agriculteurs saisit le sous-préfet de Tignère, aux fins de règlement dudit litige foncier. Ils prennent le soin, dans leur requête, de préciser que leurs ascendants ont occupé et exploité cette dépendance du domaine national à des fins agropastorales ; et qu’eux-mêmes l’occupent depuis plus de 20 ans. Une occupation dont l’onction a été donnée par des lamibés en fonction de Tignère à l’époque.

Mais selon ces éleveurs et agriculteurs, «Alhadji Shehou Oumarou a déclaré par l’entremise de son fils, qu’il agissait en vertu d’un document à lui remis par le lamido de Tignère». En réponse aux éleveurs et agriculteurs de Mbakana, l’ex-sous-préfet de Tignère, Stéphane Alondi Ntoumel, décide le 08 mars 2019 de la suspension des travaux de construction d’une clôture entrepris par Shehou Oumarou, pour une exploitation pastorale dans la zone Nord-Mbakana. L’autorité administrative a le souci de la préservation de la paix et la gestion commune des pâturages.

REVIREMENT

D’ailleurs, le 13 avril 2018, l’ex-préfet du Faro et Déo, Yves Bertrand Noël Ndzana, décide de la création d’une commission adhoc chargée de l’examen du litige foncier opposant le Dr Abdoullahi Shehou au collectif des agriculteurs et des éleveurs de Mbakana. Ladite commission présidée par le préfet et constituée entre autres du sous-préfet de Tignère, des délégués départementaux des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières, de l’Agriculture et du Développement rural, de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales, du lamido de Tignère, effectue une descente le 26 avril 2018.

«Rendue sur le site, la commission en présence des deux parties à l’évaluation de l’état des lieux de la parcelle querellée. De cette opération, il ressort que la parcelle concernée est une dépendance du domaine national et une partie du domaine public. Elle est limitée au Sud par la rivière Mbakana-carrefour Kondon (10 km) ; à l’Est par la route carrefour Kondon-carrefour Ngaountéré (3 km) ; au Nord-ouest par la route Ecole publique de Mbakana Bantai-piste longeant le village Mbakana (4 km) et à l’Ouest par la rivière Mbakana (13 km). La parcelle litigieuse couvre une superficie de 100 000 hectares soit 10 km x 10 km. Elle est occupée en partie par des enclos à bétails, des huttes pour bergers et des champs de cultures saisonnières. Ces mises en valeurs sont l’œuvre des membres du collectif des agriculteurs et des éleveurs. Le Docteur Abdoullahi Shehou est l’auteur, quant à lui, de quelques enclos à bétails et une clôture en bois couvrant les 3⁄4 de l’espace litigieux», précise le procès-verbal de règlement dudit litige.

Mieux, le 27 avril 2018, la commission ad hoc poursuivra ses travaux à la préfecture de Tignère. Parole donnée à Aboubakar Garba, lamido de Tignère, il «affirme que les nommés Alhadji Issa et Alhadji Youssoufa ont été installés sur le site par son prédécesseur et le Docteur Abdoullahi Shehou, par ses propres soins, tous pour usage de pâturage. Il a également déclaré que l’érection de la clôture autour de la parcelle concernée par le Docteur Abdoullahi Shehou a amené les autres occupants à se plaindre auprès du sous-préfet de l’arrondissement de Tignère. Ladite autorité administrative avait conduit la commission consultative en vue du règlement du différend. Les parties n’étant pas satisfaites du règlement de ce litige par cette autorité administrative de base, ont saisi le préfet du département du Faro et Déo», précise le procès-verbal.

Toujours est-il au sortir de ces travaux, le préfet instruit au sous-préfet de veiller à ce que les agriculteurs et les éleveurs continuent à mener leurs activités pacifiquement sur le terrain querellé ; au lamido de respecter les titres de donation coutumière d’espaces pâturables délivrés par ses prédécesseurs, de repréciser les limites des espaces pâturables occupés par les détenteurs d’un titre de donation coutumière ; aux membres du collectif des agriculteurs et des éleveurs de Mbakana Bantai de produire les documents administratifs ou coutumiers justifiant leur occupation du site ; et au docteur Abdoullahi Shehou d’arrêter les travaux d’envergure sur le terrain querellé, de produire un dossier réglementaire à adresser à l’autorité compétente, conformément à la circulaire du Premier ministre du 1er avril 2014 relative aux dispositions applicables aux investisseurs pour l’accès à la terre au Cameroun.

Mais contre toute attente, le 11 mars 2019, l’ex préfet du Faro et Déo a pris un arrêté créant une commission consultative ad hoc chargée du choix et de la délimitation d’une dépendance du domaine national située au lieu-dit Ngaountéré-Mbakana, en vue de son attribution en concession provisoire à monsieur Abdoullahi Aboubakar. Ce dernier devra y mener des activités d’élevage. Et l’ex sous-préfet de Tignère de sommer Alhadji Djibo, le 14 août 2019, de libérer le pâturage : «J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir libérer sous huitaine, la parcelle que vous occupez illégalement, tout en vous invitant à vous rapprocher de Sarki Fada, Dalatou et le secrétaire du Lamido de Tignère aux fins de vous trouver un nouveau pâturage». Un retournement de la situation qui laisse perplexe le collectif des éleveurs et des agriculteurs de Mbakana, eux qui décrient d’éventuels «dessous de table». Mais leur cri de guerre reste insoluble : ils ne quitteront pas le site !

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