Cameroun – Touboro : Célestin Yandal sous le rouleau compresseur

Célestin Yandal

Pris dans l’étau de l’insécurité dont sont victimes ses populations au quotidien, le maire de cette commune située dans la région du Nord et le département du Mayo-Rey, est injustement accusé par un colonel d’armée, d’agiter dans l’ombre, les ferments de la rébellion.

En un mois, 21 personnes ont été enlevées dans l’arrondissement de Touboro. Entre demande de rançon et exécutions sommaires des otages, les ravisseurs y règnent en maître absolu. Un tableau qui décrit à suffire le climat d’insécurité qui règne dans cette contrée de plus de 150 000 âmes selon les chiffres du dernier recensement de la population. De quoi plonger les habitants dans la psychose non sans les obliger à vivre désormais sur le quivive.Interrogé récemment sur les causes de ce phénomène, Célestin Yandal, maire de la commune de Touboro pointe un doigt accusateur sur la situation géographique de l’arrondissement située entre deux frontières que sont le Tchad et la République centrafricaine, doublée de la crise politique en Rca avec son corollaire. « De nombreux groupes rebelles sillonnent nos frontières qui malheureusement sont poreuses de part et d’autre) enfin la raison fondamentale c’est la superficie du département du Mayo Rey (36 529km²) ce qui dépasse la Belgique, et 16 610 km² comme superficie de l’arrondissement de Touboro vaste plus que la région de l’Ouest qui n’a pas 14000 km². Tout ce qui facilite le mouvement de ces nombreux groupes de malfrats qui fondent dans la nature après avoir commis leurs forfaits en toute quiétude sérénité…», explique-t-il.

Réunion de crise

La vérité, c’est qu’en dépit de la création des structures de maintien de l’ordre, de sécurité et de défense et la dotation des moyens logistiques, le problème d’insécurité dans cette localité perdure. A preuve, l’existence de la compagnie de gendarmerie à Touboro, d’un peloton mobile du Mayo Rey, un peloton d’escadron de gendarmerie, deux brigades et deux postes de gendarmerie (Mbaïboum, Dompla et Mbang Rey), d’un commissariat de sécurité publique, d’un poste de sécurité publique à Mbaïboum, d’un commissariat spécial à Mbaïboum, de trois postes de police de frontière àBogdibo, Mbaïboum et à Biltao et de deux postes de surveillance du territoire Mbaïboum et à Touboro, n’ont toujours pas suffit à faire reculer la pieuvre. Confronté à cette épineuse situation, Célestin Yandal multiplie des stratagèmes pour espérer une sortie de crise. En vain !

Informé, le ministère délégué à la présidence de la République chargé de la Défense a instruit au colonel Blaise Menye, Commandant en second de la région militaire chargé des opérations au Nord à Garoua, de faire le point et trouver des voies et moyens pour combattre énergiquement ce phénomène qui met à mal les précieuses vies des populations. Ce dernier va donc convoquer une « réunion de crise » à laquelle prennent part le sous-préfet et le maire de Touboro entre autres. Mais l’assise va virer à des menaces, des propos d’intimidation, des injonctions, des coups de gueule et même des promesses de représailles contre le premier magistrat municipal de la localité.

La décentralisation étranglée

Le Messager a appris que le colonel d’Armée, dans une diatribe qui a duré plus d’une quinzaine de minutes, s’en est vertement pris à Yandal, lui rappelant au passage qu’il a un passé pas du tout clair. « Nous sommes venus pour vous donner une dernière chance. Saisissez-là et accrochez-vous à elle. Sinon nous nous verrons dans l’obligation de déployer le rouleau compresseur contre vous. La paix doit régner à Touboro avec ou sans vous ! C’est un impératif. Si c’est vous l’agitateur, que cela cesse immédiatement. (…) Cessez d’écrire dans les réseaux sociaux parce que nous pouvons rassembler tout ce que vous écrivez pour vous poursuivre en justice », a lâché sur un ton martial, l’émissaire du Mindef.

Suffisant pour donner des sueurs froides au pauvre maire qui a sans doute compris que le laïus du colonel Menye était une manière déguisée de lui annoncer qu’on l’a désormais dans le viseur et qu’à la moindre incartade, il pourrait payer le lourd tribut d’une opération kamikaze avec de fortes chances de se retrouver derrière les barreaux. Comment comprendre qu’un officier de l’Armée puisse menacer un élu du peuple dont le seul péché est peut-être d’appartenir à l’Union nationale démocratique du peuple (Undp) ?

Comment peut-on parler de décentralisation lorsqu’un maire est dans l’incapacité de jouir de ses prérogatives et protéger ses populations sans que Yaoundé n’impose absolument son diktat ? En dehors des conflits entre l’Etat et les Collectivités territoriales décentralisées, les guéguerres entre les supers maires de villes et les maires des communes, la confusion continue donc de régner dans la matérialisation de ce concept au sein des communes que beaucoup considèrent encore comme villageoises.

Les ennemis du développement

Tenir des propos aussi désobligeants à l’endroit d’un magistrat municipal de la part d’un fonctionnaire de l’Armée n’est-il pas la preuve que le Cameroun est encore à des siècles lumière du processus de l’appropriation de la notion de décentralisation ?Plus grave, cette nouvelle affaire Yandal intervient moins de deux semaines après que des députés, des conseillers régionaux, des chefs traditionnels ont signé une pétition adressée au ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République via le Sous-préfet de l’arrondissement de Touboro pour « crucifier » le maire au motif que la gestion de la commune depuis son élection, est des plus calamiteuses. Dans une interview accordée à votre journal dans son édition du lundi 17 mai 2021, le mis en cause niait tout en bloc, imputant cette sortie malheureuse à des « ennemis du développement » déterminés à lui faire vivre un cauchemar au sein de cette mairie. A suivre !

Franck ESSOMBA

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