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L'ouverture sur le Cameroun

Cameroun – Terrorisme: Boko Haram surfe sur la guerre froide Biya-Goodluck





L’absence de coopération entre les deux chefs d’Etat est préjudiciable à la lutte contre la nébuleuse islamiste.[pagebreak] Les nouvelles du front ouvert isolément par le Cameroun et le Nigeria contre Boko Haram ne rassurent guère. Elles prêtent même à pessimisme. Les images de ces derniers jours montrent des militaires camerounais reconduisant près de 700 militaires nigérians vers leur pays. Ceux-ci, en dépit de leur impressionnant arsenal, ont été mis en déroute par Boko Haram et contraints de fuir vers le Cameroun.

Quelques jours plus tôt, la hiérarchie militaire nigériane remobilise ses troupes en vue de reprendre une zone située non loin de la frontière camerounaise prise deux semaines auparavant par la secte. A cet appel, un militaire nigérian dans une confession à l’Agence France presse (AFP) répond: «Nous avons juré de ne pas bouger d’un seul pouce jusqu’à ce que nos supérieurs nous fournissent les armes nécessaires pour affronter et déloger Boko Haram, qui a de bien meilleures armes que nous». Grâce à sa puissance de feu, la secte islamiste vient de créer un de la frontière camerounaise.

Au contraire du Nigeria, son déploiement tend à montrer que le Cameroun jusqu’ici ne constitue pas une priorité pour Boko Haram. «En optant pour le paiement de rançons contre la libération des otages, le gouvernement a incité la secte islamiste à faire du pays une terre propice à la prise d’otages devenue une source de financement de l’achat des équipements», analyse un expert.
D’après lui, les attaques de Boko Haram en territoire camerounais visent très souvent a enlever des personnes à utiliser comme monnaie d’échange pour la libération de leurs lieutenants pris dans la nasse des forces de défense camerounaises. Un avis que corrobore Egard Alain Mebe Ngo’o, le ministre délégué à la présidence de la République chargé de la Défense (Mindef), qui reconnait qu’en dépit des revers subis les forces de défense camerounaises infligent de lourdes pertes à Boko Haram.

Mais les dernières actions de la secte prennent davantage la forme des règlements de comptes. Il y a quelques jours en effet, Boko Haram a pris en otage le député camerounais Abba Malla. Tout un symbole, quand on sait que ce dernier a été la cheville ouvrière de la libération des trois religieux enlevés à Tcheré et de la famille Moulin-Fournier. Selon diverses sources citées par L’œil du Sahel dans son édition du 25 août, c’est en allant à la négociation de la libération des otages faits lors de l’attaque de la résidence du vice-Premier ministre Amadou Ali le 27 juillet à Kolofata qu’il a été pris en captivité.

C’est que, Amadou Ali dont l’épouse a été enlevée au cours de cette attaque qui semblait le viser personnellement et son protégé étaient devenus des relais privilégiés dans les négociations entre le gouvernement camerounais et Boko Haram. Sauf que la secte islamiste leur reproche de n’avoir pas toujours joué franc jeu. Par exemple, une source très bien renseignée a soufflé quelques temps après avoir mené avec succès la négociation ayant conduit à la libération de la famille Moulin-Fournier, M. Abba Malla s’est acquitté avec des coupures en euros d’une dette de 20 millions de FCFA qu’il traînait depuis longtemps et a dans le même sillage acquis une résidence à Yaoundé à hauteur de 200 millions de FCFA.

Au-delà des revers ou de la capacité des forces de défense des deux pays à faire face au phénomène Boko Haram, c’est l’attitude des deux chefs d’Etat qui inquiète. A la conférence de presse organisée à l’issue du sommet de Paris sur la sécurité au Nigeria tenu le 17 mai, Paul Biya et Goodluck Jonathan déclarent la guerre à la nébuleuse islamiste. De part et d’autre, des engagements sont pris dans l’optique entre autres d’un renforcement de la coopération entre les deux pays à travers notamment un échange d’informations ou de renseignements.

Mais aujourd’hui, le sommet de Paris donne l’impression de ne pas tenir ses promesses. Tant les deux dirigeants semblent s’être interdits toute rencontre à deux. On croyait que la scène de Paris, qui montre un Goodluck Jonathan évitant soigneusement tout contact avec Paul Biya, relevait désormais du passé. Que nenni. Annoncée en grande pompe par M. Biya lors de son départ pour le premier sommet Etats-Unis-Afrique, la concertation entre les deux chefs d’Etat n’aura finalement pas lieu.

Et ce n’est pas faute pour Goodluck Jonathan d’avoir multiplié des gestes bienveillants à l’endroit de son aîné du syndicat africain des chefs d’Etat. Dès sa prise de pouvoir, il emboîte le pas de son prédécesseur Yar’Adua en réservant sa première visite à l’étranger à M. Biya. En dehors de rester silencieux à ses sollicitations, le président camerounais préfère plutôt parler des questions de sécurité avec Idriss Déby Itno, le président tchadien, qu’il reçoit pour ce faire, à Yaoundé.

Pourtant, l’absence de coopération sur le phénomène Boko Haram a déjà fait les preuves de sa nuisance dans les rapports entre les deux voisins. Faute de trouver une oreille attentive à Yaoundé, l’armée nigériane avait pris de manière unilatérale la résolution de poursuivre les membres de la secte réfugiés en territoire camerounais. Ce qui avait bien failli conduire à une crise diplomatique entre les deux capitales.

Dans une note adressée le 31 décembre 2013 au ministre des Relations extérieures, le haut-commissaire du Cameroun au Nigeria rend compte d’un échange avec le secrétaire permanent du ministère nigérian des Affaires étrangères au sujet des incursions de l’armée nigériane à Kolofata.

Salaheddine Abbas Ibrahima écrit: «J’ai fait au secrétaire permanent un récapitulatif des récentes incursions des troupes nigérianes dans notre territoire, avec les conséquences en perte en vies humaines et de blessés. J’ai souligné que la répétition de ces incursions ne permettait plus de croire que ce sont des cas accidentels, et donc l’on peut considérer ces cas comme délibérés, ce qui est inacceptable entre deux pays frères et amis. J’ai aussi souligné les risques graves d’un tel comportement, à savoir un possible clash entre les forces de défense des deux pays. Face à ces agissements, j’ai donc exprimé la protestation vive et solennelle du gouvernement camerounais, dans l’intérêt des deux pays».

Cette protestation est matérialisée par une note verbale. Qui oblige l’interlocuteur à réagir. D’après le haut-commissaire, le responsable nigérian «a dit que ces incidents ne sont de toute évidence pas intentionnels, car le Nigeria et le Cameroun ont fait la démonstration devant le monde entier de leur détermination à vivre en paix et dans la bonne entente. Il a dit que le Nigeria et le Cameroun sont unis dans la lutte contre le terrorisme et que son pays continuera de toujours solliciter le concours du Cameroun dans ce combat, qu’aucun de nos deux pays ne peut gagner seul. Le Nigeria n’a donc aucun intérêt à ce que de tels incidents perturbent nos relations». La fin des incursions de l’armée nigériane en territoire camerounais n’annonce pas pour autant le printemps de la collaboration entre le Cameroun et le Nigeria.

Au-delà de la coopération, «c’est toute la stratégie déployée contre Boko Haram qu’il convient de revoir, se convainc un haut gradé de l’armée camerounaise. Et le Cameroun donne l’impression de comprendre enfin que la guerre contre un ennemi invisible ne se gagnera pas seulement sur le terrain militaire». «Ce qui se passe dans les frontières, en plus de cette porosité endémique, il y a des affinités sociologiques de part et d’autre de la frontière. Les populations du côté camerounais sont parentés aux populations du côté du Nigeria. Dans la plupart des cas, elles parlent la même langue, elles ont les mêmes obédiences religieuses. Et finalement ces affinités peuvent même créer des complicités qui s’avèrent plus fortes que le sentiment national. Pour éradiquer Boko Haram, il faut que les populations elles-mêmes dénoncent qui parmi elles est de Boko Haram. Et cela va faciliter la tâche des forces de défense», souligne le Mindef dans L’œil du Sahel du 25 août, Reste maintenant à assurer la protection des populations disposées à renseigner les pouvoirs publics.

Il faudra également aller en guerre contre l’analphabétisme et surtout la pauvreté qui facilitent l’enrôlement des jeunes par Boko Haram. «Dans le secteur du Lac Tchad, nous avons connaissance d’un point focal de la secte Boko Haram. Ils sont en train de soudoyer des jeunes à 400 000 voire 500 000 francs en plus d’une moto pour être leurs agents ou coursiers en terre camerounaise», croit savoir Mahamat Ahamat, président national de Synergie des organisations des jeunes patriotes camerounais du septentrion pour la défense de la souveraineté du Cameroun.

Germain-Hervé Mbia Yebega, politologue et chercheur associé à la Fondation Paul Ango Ela de géostratégie, qui dans les colonnes du quotidien Le Jour du 25 août invite à ne pas se tromper de combat contre Boko Haram, identifie quelques causes du succès de la secte: «Ces causes sont principalement celles de la pauvreté et de la misère, de la distension du lien social, de la carence de moyens de l’administration d’État corrélée à une indubitable absence des pouvoirs publics dans certaines parties du territoire national, du taux élevé du chômage des jeunes»..

Source: Repères

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