Cameroun – Succession: Questions autour du poste de vice-président :: Cameroon

Une rumeur persistante annonce l’introduction au cours de la session parlementaire en cours d’un projet de loi en vue d’une révision de la Constitution. Paul Biya peut-il, six ans après, modifier à nouveau la loi fondamentale pour préparer sa fin de règne?[pagebreak]La session parlementaire du mois de mars qui s’est ouverte mardi débouchera-t-elle sur une modification de la Constitution visant à instituer un poste de vice-président au Cameroun? La rumeur court. Certains médias aussi ont relayé le «bruit». Et le scénario qui revient le plus souvent est celui d’un vice-président qui succéderait à Paul Biya à un moment donné. Parlant du projet de loi, une source proche de l’Assemblée nationale a même déclaré, quelques jours avant l’ouverture de la session: «Nous avons rédigé l’essentiel, seules des nuances rhétoriques des subtilités du langage, restent à être peaufiner».

Et le dispositif qui devrait se mettre en place est tout trouvé par ceux qui semblent lire dans une boule de cristal. Selon ces sources, le dispositif constitutionnel qui fait du Président du Sénat l’intérimaire en cas de vacance à la présidence de la République devrait sauter. A la place, ils prévoient un vice-président de la République nommé par le Chef de l’Etat qui, en cas de vacance à la tête de l’Etat, assumerait les fonctions de Président de la République jusqu’à la fin du mandat en cours.

Pourtant, depuis mardi, rien ne filtre à l’hémicycle de Ngoa Ékelle et tout le monde semble attendre, on ne sait quoi.
Tous les députés approchés répondent qu’ils attendent de voir les textes qui leur seront soumis. Mais dans la foulée du débat qui s’est d’ores et déjà installé dans l’opinion, on peut se poser un certain nombre de questions sur cette éventuelle vice-présidence et la modification de la constitution qu’elle impliquerait.

Emeutes de 2008
Paul Biya serait-il prêt, six ans après 2008, à modifier à nouveau la constitution? Ce dessein, en 2008, avait été l’une des causes des émeutes qui ont embrasé plusieurs villes du pays. «En politique rien n’est exclu. Il y a une seule personne qui détient l’agenda. En plus, le contexte se prête à un changement. N’oublions pas que l’on sort de la célébration du cinquantenaire de la réunification», affirme une source.

Le contexte aussi, depuis quelques années, est marqué par des interrogations sur l’après-Biya, notamment sur la transition. Des interrogations que même la mise en place du Sénat, dont la présidence est revenue à Marcel Niat Njifenji, n’a pas tues. Et beaucoup veulent voir dans l’institution d’un poste de vice-président un moyen de régler définitivement la question.

Ceci ne serait pas une nouveauté sous le soleil, car un dispositif pareil existe déjà dans certains pays même en Afrique. Aux Etats-Unis, le vice-président est élu en même temps que le président sur un «ticket». Il remplace le président si ce dernier, pour une raison ou une autre (décès, empêchement, incapacité, etc.) n’est pas en mesure d’achever son mandat. Dans ce cas, le vice-président désigne un nouveau vice-président, dont la candidature est soumise à l’approbation du Congrès. Ce fut le cas pour Harry Truman, à la mort de Franklin Delano Roosevelt, en 1945 et de Lyndon Johnson à la mort de John F. Kennedy en 1963. En Afrique, plusieurs pays anglo-saxons se sont inspirés de ce dispositif. C’est le cas notamment du Ghana, de l’Afrique du Sud, du Nigeria, du Kenya ou encore du Liberia.

Le Cameroun même a déjà connu l’expérience de la vice-présidence. Ceci dès la réunification en 1961. La loi constitutionnelle du 1er septembre 1961 prévoyait en effet un poste de vice-président de la République élu sur le «ticket» présidentiel comme aux Etats-Unis. Le premier vice-président de la République fédérale du Cameroun fut John Ngu Foncha, qui était le Premier ministre de l’ancien Cameroun occidental. Deuxième personnalité de l’exécutif, il assurait l’intérim en cas de vacance à la présidence, mais ne pouvait pas succéder au Président de la République. «C’est une disposition plutôt démocratique, puisque le peuple souverain est consulté en cas de vacance présidentielle. Mais elle permet aussi de priver le vice-président du statut de successeur constitutionnel du Président de la République fédérale», constate Bouopda Pierre Kame (Cameroun: les crises majeures de la présidence Biya).

Le «ticket» Ahidjo-Foncha est élu à l’issue de l’élection présidentielle du 20 mars 1965. Salomon Tandeng Muna sera le deuxième vice-président de la République fédérale du Cameroun. C’est lui qui l’accompagne Ahidjo sur le «ticket» présidentiel lors de l’élection présidentielle du 28 mars 1970. Mais, on note que la question de la succession présidentielle a progressivement évolué.

Lorsqu’Ahmadou Ahidjo devient Président de la République en 1960, l’intérimaire est le président de l’Assemblée nationale. En ce moment-là, il s’agit de Louis Kemayou Happi. La loi va se préciser lorsque l’on va de plus en plus penser à la question de la succession à la tête du Cameroun, dans un contexte marqué par une multiplication de coups d’Etat en Afrique.

La constitution du 10 novembre 1969, en son article 10, stipule: «En cas de vacance de la présidence de la République par décès ou incapacité physique permanente constatée par la cour fédérale de justice saisie à cet effet par le président de l’Assemblée nationale fédérale, les pouvoirs du Président de la République sont exercés de plein droit par le vice-président de la République jusqu’à l’élection d’un nouveau président de la République».

Successeur constitutionnel
La vice-présidence disparaîtra en 1972. La constitution du 2 juin de cette année-là fait du président de l’Assemblée nationale l’intérimaire du Président de la République et, en cas d’empêchement du président de l’assemblée nationale, l’intérim est assuré par le Premier Ministre. C’est en 1979 qu’apparaît le statut de successeur constitutionnel qui échoit au Premier Ministre. C’est ce mécanisme qui conduira Paul Biya à la magistrature suprême après la démission d’Ahmadou Ahidjo en 1982.

Pour ceux qui imaginent un vice-président, successeur constitutionnel, ce serait un moyen de désigner le futur Président de la République. Certains acteurs politiques camerounais, par contre, pensent que ce serait plutôt risqué d’introduire un tel projet de loi.

Pour Alain Fogue, secrétaire national adjoint aux finances du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), le pouvoir fuit les questions importantes de l’heure et «préfère s’engager, selon les média et les indiscrétions de certaines sources qui disent être bien informées, sur un hasardeux projet de révision constitutionnelle, visant l’instauration d’un poste de Vice-président, successeur constitutionnel, sensé décharger le Président Biya de son fardeau avant le prochain scrutin présidentiel prévu en 2018».

Le politologue et homme politique dans une tribune écrite sur la question d’une éventuelle modification de la Constitution indique les obstacles à celle-ci, dont la ratification par le Cameroun de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance (Cadeg) en 2012. L’article 10 de cette charte, en son alinéa 2 dispose: «Les Etats partie doivent s’assurer que, le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum».

Si l’on se réfère à l’analyse d’Alain Fogue, on peut difficilement penser que le projet de loi instituant un poste de vice-président peut-être gérer au cours de la session parlementaire en cours. «Les dispositions pertinentes de la CADEG et les articles 45 et 64 de la Constitution du 18 janvier 1996 ne permettent pas au Président de la République de créer un poste, de Vice-président, successeur constitutionnel, sans un débat national débouchant sur l’obtention d’un consensus. Un tel débat ne peut se limiter au seul Parlement, même réuni en Congrès. Il requiert la peine et entière participation des partis politiques, de la société civile, de toutes les forces vives de la nation (à l’image du dialogue qui avait permis de parvenir au consensus de 1991 préparatoire à la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996; même si celui-ci a été unilatéralement cassé par le pouvoir lors de la révision constitutionnelle d’avril 2008)», écrit-il.

Référendum
En 2008, les appels à un référendum n’avaient pas été entendus par le gouvernement. Mais, à ce moment-là la donne était différente, car le Cameroun n’avait pas encore signé la Cadeg. D’où la sentence d’Alain Fogue: «S’il initiait une telle modification de la Constitution et que le Parlement y procédait, ce serait ni plus ni moins une forfaiture».

Plus loin, il précise les raisons pour lesquelles il pense que le Chef de l’Etat devrait, s’il y a pensé, renoncer à cet autre projet de révision constitutionnelle: «On comprendrait mal que le Président de la République qui ne rate jamais une occasion de clamer son attachement à la démocratie, lui qui a ratifié la Cadeg: qui sait le haut degré de défiance créé au sein de son parti et parmi le peuple par la modification forcée de l’article 6 (2) en avril 2008 pour lui permettre de se représenter à l’élection présidentielle; qui est conscient du terrible sentiment d’injustice qui habite une partie de l’opinion sur l’opération «épervier» considérée comme une arme politique; qui sait combien le climat politique s’est dégradé dans le pays à cause de la profonde crise de légitimité que des résultats électoraux obtenus grâce à des fraudes massives prenne le risque de soumettre le pays à une nouvelle tension politique aux conséquences imprévisibles».

Alors, la question s’impose à nouveau: la rumeur persistante sur la révision constitutionnelle visant à instituer un poste de vice-président, vient-elle de sources bien informées qui ont éventé un projet qui est sur la table du Chef de l’Etat, ou émane-t-elle d’une volonté de tâter le terrain avant d’envisager cette opération qui peut être diversement appréciée dans l’opinion et même susciter des remous?

Au Sénégal, depuis 2009 un poste de vice-président est prévu dans la Constitution. Il est nommé par le Chef de l’Etat qui lui, délègue une partie de ses pouvoirs. En 2011, Abdoulaye Wade, en fin de mandat introduit un projet de loi constitutionnelle visant à créer un «ticket» présidentiel.

D’après ce projet le Président et le vice-président auraient été élus en même temps au suffrage universel. Les Sénégalais, voyant à travers cette initiative une tentative pour Abboulaye Wade, de faire de son fils Karim son successeur à la tête du pays, ont massivement protesté. Face à la colère de la rue, Abdoulaye Wade a renoncé à son projet.

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