Cameroun : Que veut-on à Samuel Eto’o ?

Samuel Eto'o dans son Jet privé

Porteur du rêve de redorer le blason du football camerounais, le capitaine du bateau Fécafoot navigue sur une mer agitée infestée de requins.

« La Fécafoot est au-dessus de ce que représente Samuel Eto’o (…) Tout ce qu’il a touché après da sortie des terrains s’est soldé par un échec… » Sans doute se trompent-ils de cible, les nombreux internautes qui s’en prennent à Félix Zogo. La sortie du secrétaire général du ministère de la Communication, contre le président de la Fédération camerounaise de football, sur le plateau de l’émission « Club d’Elites » de Vision 4, le dimanche 20 février 2022, ne saurait être une initiative personnelle. De grâce, ne tirez pas sur le messager ! Le devoir de réserve qu’observent généralement les fonctionnaires de carrière, au Cameroun, n’autorise pas de croire que le proche collaborateur du ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, fût à ce plateau par hasard. Le soldat Zogo était vraisemblablement en mission commandée, ce soir-là. Même si le panéliste doit porter seul l’opprobre de sa calomnie et la responsabilité d’un argumentaire puéril.

C’est chose inédite dans l’administration camerounaise. Qu’un haut responsable s’en prenne aussi ouvertement et violemment, en mondovision, à un autre haut responsable. La courtoise, principe sacro-saint de l’administration, le devoir de réserve auxquels sont astreints les serviteurs de l’Etat, imposent beaucoup de retenue dans les correspondances et le discours administratifs. D‘autant que, dans ce milieu, bien comportements n’honorent pas l’éthique et la déontologie, la bienséance impose la loi du silence. Comme dans une banale association de malfaiteurs. Aussi, dans l’administrations, les inimitiés s’expriment-elles bien plus, dans le secret des ténèbres, en termes de de coups bas : intrigues, peaux de bananes, délation, dénonciations, calomnie…Non sur la place publique. Que l’estocade soit portée sur un plateau de télévision montre que les lions sont lâchés dans l’arène et que tous les coups semblent désormais permis. Le Cameroun, soutenait Dakolé Daïssala – cité de mémoire – est devenu une savane dévastée qu’écument des bûcherons cherchant le dernier arbre à abattre. Le capitaine du bateau Fécafoot navigue sur une mer agitée infestée de requins.

Gâchis

Au-delà des tiraillements que l’on observe, comme d’habitude, entre la Fécafoot et sa tutelle, au-delà des critiques, somme toutes naturelles, s’agissant du sport qui fédère le plus les Camerounais, une sortie aussi musclée que celle de dimanche dernier, ajoutée au bouillonnement que l’on voit actuellement autour de la Fécafoot, contre son président, appelle à des interrogations. Que veut-on, à ce point, à Samuel Eto’o ? Qui en veut à ce point au joker de Paul Biya, lequel s’est défoncé jour et nuit, dépensé sans compter, pour sauver d’un énième report la Coupe d’Afrique des Nations 2021 ? Pourquoi ce gâchis au moment où un avenir radieux se dessine pour le football camerounais ? Pourquoi ne pas accorder cette chance à ce sport de bénéficier de l’auréole internationale de Samuel Eto’o ?

Le message, en filigrane, de toute agitation semble clair : Samuel Eto’o serait encombrant aux yeux de certains. La détermination à lui barrer le chemin est visible. On ne met plus les gants. Au point que des combats, jusqu’alors feutrés, engagés depuis son élection le 11 décembre dernier à la tête de l’instance faitière, se muent aujourd’hui en bagarre de rue.

Procès kafkaïen

Si les amoureux du beau foot entrevoient une aube d’espoir, en l’arrivée de Samuel Eto’o, à la tête de la Fédération, pour les autres, les enjeux se trouvent ailleurs. L’hostilité à l’encontre du goléador se joue sur un autre terrain. Dans un procès kafkaïen. Comme dans un tribunal de sorciers, en l’absence du prévenu, comme aux temps bibliques, dans l’assemblée des potentats rétifs aux changements, la sentence est implacable : « Crucifiez- le ! Curieuse est en effet la plaidoirie de Félis Zogo sur la capacité de Samuel Eto’o à gérer la Fécafoot, sans référence à un bilan sur deux mois que les communicateurs l’instance faîtière présentent comme colossal. Chacun pourra s’en faire une opinion : un retour instantané de partenaires économiques qui s’étaient détournés de la maison ; l’arrivée massive de nouveaux autres, comme gage d’un regain de crédibilité. Des offres multiples pour la construction des villes régionales, un intérêt manifeste de multinationales de la télévision pour la diffusion de matches du championnat local, une transparence dans la gestion des primes des joueurs, l‘arrivée annoncée au Cameroun d’une sélection sud-américaine plusieurs fois championne du monde, ainsi que celle de grands clubs de foot européens. Des vedettes planétaires à l’instar de Messi, Xavi Hernandez, Usain Bolt, Beyonce, Rihana, etc. Avec en perspective, le remplissage et de surcroit, une plus-value pour les stades. Une cure de jouvence pour le championnat national, avec à la clef, la revalorisation des salaires des joueurs et une impulsion du football jeunes…

Alléchant pour les amoureux du ballon rond, ce mets ne semble pas du goût des adversaires du pitchichi. Le problème ne serait ni son programme, ni sa capacité à le gérer, comme le déclare le panéliste. Mais bien plus Eto’o lui-même. La récrimination serait qu’il voudrait se faire roi. Peut-être. En plus de l’envie de personnes ténébreuses ennemies de la lumière, l’adversité viendrait davantage, selon certains analystes, de ce qu’avec l’arrivée de Samuel Eto’o, l’étang s’assèche pour nombre de gros poissons réduits aujourd’hui à brouter du planton. « Les hommes oublient plus facilement la mort de leur père que la perte de leurs privilèges », écrivait, il y a plus de cinq cents ans, Nicolas Machiavel. Dans une jungle administrative où le levier d’action est le « mapartisme », néologisme que l’on doit au philosophe Hubert Mono Ndzana, pour relever le penchant du fonctionnaire véreux à ne traiter les dossiers « juteux ». Un des biographes d’Eto’o a donné à son ouvrage le titre «Un ange et des démons ». Un ange ? Certainement pas ! Fils serait peut-être bien plus, une pintade parmi des vautours : un picoreur de graines au milieu de carnassiers.

Limites

Si volontariste et charismatique soit-il, Samuel Eto’o, comme tout humain, a des limites dont la moindre n’est pas la méconnaissance des arcanes et des procédures administratives. Le contraire eût été un atout, même si cela n’entre pas dans le job description du président de la Fécafoot. Ses détracteurs lui prêtent un égo démesuré, sous des apparences pourtant d’une courtoisie à la limite obséquieuse. Sa jeunesse, son tempérament de fonceur, sa fougue de sanglier qui semblent l’amener à n’éluder aucun combat, comme lorsqu’adolescent, il se battait pour la survie dans les ruelles de New-Bell à Douala ou de Mvog-Ada à Yaoundé, pourront à certains moments apparaitre comme un handicap. Avec le risque de tomber dans le piège tendu par des provocateurs voulant le détourner de l’essentiel, comme le faisait si bien remarquer dans une récente tribune, le sociologue Claude Abé.

Dans un contexte où ses moindres faits et gestes sont épiés, les éventuels dérapages amplifiés, Samuel Eto’o a tout intérêt à écouter et à densifier son équipe de conseillers, mais aussi à renforcer les capacités du personnel dédié à la rédaction de ses correspondances. Sa grande popularité constitue un grand atout. C’est un rempart que ses adversaires chercheront à éroder. Un exercice risqué pour les apprentis-sorciers, dans ce volcan national où la moindre étincelle pourrait provoquer un incontrôlable incendie. Cette onction populaire, s’il n’y prend garde, pourrait également faire défaut à Samuel Eto’o, à un moment décisif. Les héros sont souvent seuls…

Monda Bakoa, Journaliste principal hors échelle.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *