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L'ouverture sur le Cameroun

Cameroun: Me Harissou dans le rouleau compresseur des militaires





Près de deux mois après son arrestation, Me Harissou, qui trimballe toujours le statut d’un gardé à vue, n’a droit à aucune visite bien qu’il ne sait pas toujours ce qui lui est exactement reproché.[pagebreak] Ses droits sont toujours systématiquement violés.
La forteresse de la prison principale est vraiment inaccessible aux visiteurs depuis le placement en garde à vue de Me Harissou et d’Aboubakar Sidiki le 6 octobre dernier par l’accusation militaire. C’est dire qu’il faut montrer patte blanche pour lorgner l’intérieur de cet univers carcéral logé dans les locaux de l’ancienne Brigade mixte mobile, plus connue sous l’acronyme « BMM », qui a pendant longtemps abrité certains services de la Direction générale de la Recherche extérieure pour broyer les opposants politiques au régime de Yaoundé.

Situées en face de l’Ecole publique de Kondengui, les structures du pénitencier, dont la mise en place se fait toujours de façon progressive, étaient destinées uniquement à accueillir les condamnés. Dans l’optique de décongestionner les 4000 pensionnaires de la prison centrale de Yaoundé, située non loin de là. Tant le rêve des pouvoirs publics s’adossait sur l’aménagement et l’adaptation desdits locaux d’une capacité de 300 places aux standards d’une prison moderne. Malheureusement le quotidien de ses quelques 180 pensionnaires est très loin d’être rose.

Isolement total
Vendredi 10 septembre. Il est 14h25mn, sous une chaleur de plomb. A l’entrée principale du pénitencier, un gardien de prison veille au grain, avec dédain. En l’absence du régisseur, Richard Owona et de son adjoint, aucun accès n’est possible. Toutes les démarches du reporter sot vouées à l’échec. « Si c’est pour les deux (Ndlr, Me Harissou et Sidiki) que vous êtes venus, vous avez totalement frappé à coté », lance, d’un air furieux, le gardien qui assure la sentinelle. Transportés du Tribunal militaire de Yaoundé pour cette prison par des gendarmes du Groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie nationale (Gpign) du Sed, les deux prisonniers ont été interdits de toutes visites depuis le 6 octobre. C’est à nouveau l’isolement total pour le notaire.

« Il y a quelques minutes, avant vous, un homme qui s’est présenté comme son avocat n’a pas pu avoir accès. Le régisseur adjoint a joint au téléphone le patron des lieux, mais il a été catégorique et l’avocat a dû rebrousser chemin », explique un gardien chef des prisons. Et d’ajouter, « hier, un proche de Me Harissou est venu avec un permis de communiquer délivré par l’adjoint au commissaire du gouvernement mais le régisseur s’est farouchement opposé et a même recommandé au commissaire du gouvernement de l’annuler. C’est qui a été fait. Nous tenons aux instructions».

A la prison centrale de Kodengui, située à un jet de pierre de là, où nous nous sommes rendus, les hauts responsables approchés dans l’optique d’intercéder en notre faveur, soulignent d’emblée que les deux univers carcéraux sont autonomes avant d’indiquer tous, avec fermeté, que le commissaire au gouvernement leur a déjà lancé « une sévère mise en garde pour qui tenterait de ne pas respecter à lettre ses instructions ». Une situation qu’il prend au sérieux dans la mesure où un gardien de prison qui a tenté de contourner l’interdiction en amenant un membre de famille à Me Harissou et à Aboubakar Siddiki a été sévèrement sanctionné par le régisseur. « Chez les militaires, nous avons l’impression qu’il n’y a pas d’humanitaire car les faveurs que le procureur accorde aux visiteurs ici sont ignorées des militaires », explique un administrateur principal des prisons.

Au parquet tribunal militaire de Yaoundé où nous sommes rendus, on refuse de dire le moindre mot sur l’affaire d’atteinte à la sureté de l’Etat. Le commissaire du gouvernement est intransigeant. « Il est inutile pour vous de chercher à obtenir un permis de communiquer car on ne va jamais vous en délivrer », souligne un magistrat militaire. Plusieurs avocats du barreau au Cameroun approchés dans le cadre de cette affaire restent inquiets. « Je ne connais aucun conseil de ces accusés, il y a lieu de craindre pour leur instruction », souligne Me Sihm, avocat. Avant de déplorer que « Lorsque ces personnes arrêtées et mises au cachot, il y a forcement un problème d’atteinte à la défense, en général aux droits de l’homme parce qu’elle a toujours besoin d’assistance ou de la visite des proches de la famille. Dans le cas contraire, il y a forcément atteinte aux droits de la défense et des droits de l’homme ». Même inquiétude pour Me Abdoul Bagui Kari, avocat de Marafa qui dénonce ces atteintes aux droits de la défense.

Ce que dit la loi
Me Harissou a été présenté au commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire de Yaoundé sous forte escorte, le 7 octobre à 10h35. Accusé d’ «atteinte à la sûreté de l’Etat », sur la base d’ « indices », il a été placé en « garde à vue militaire » de 10 jours par ce haut gradé de l’armée. Une expression étrangère au Code pénal camerounais qui ne connait que la garde à vue civile et la garde à vue administrative. « Le commissaire du gouvernement recours le plus souvent à ce terme pour justifier une garde à vue excessive», tranche un avocat au barreau.

Quoi qu’il en soit, le ministre de la Défense n’a plus que 12 jours pour décider de poursuivre le notaire devant le Tribunal militaire ou pas. Placé le 6 octobre dernier en garde à vue militaire de 10 jours, le sort de Me Abdoulaye Harissou dépend désormais du bon vouloir du ministre de la Défense, Edgar Alain Mebe Ngo’o. D’après l’article 12 de la Loi N° 2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation judiciaire militaire et fixant des règles de procédure applicables devant les tribunaux militaires, et étale l’omniprésence de l’exécutif dans le judiciaire, c’est le ministre de la Défense qui «met l’action publique en mouvement ». En d’autres termes, c’est lui qui est habilité à décider si Me Harissou sera poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » ou pas.

Cependant l’alinéa (4) de l’art susvisé donne un délai de 20 jours au Mindef pour se prononcer. Si au terme des 10 premiers jours, le ministre n’a pas réagi, la garde à vue peut alors être prorogée de 10 jours supplémentaires. A ce sujet, la loi précise : « 10 jours renouvelable une seule fois ». Si cette garde à vue militaire relève de la seule appréciation du commissaire du gouvernement qui officie comme procureur de la République au Tribunal militaire, sa prorogation ne peut être expressément décidée que par le Mindef.

Dans l’un ou l’autre des cas, le Mindef a l’obligation de se prononcer sur la suite à donner aux accusations portées contre Abdoulaye Harissou et de Aboubakar Siddiki dans 12 jours au plus tard à compter de cette date du 14 octobre 2014. En décidant d’ouvrir les poursuites contre ces personnes, le Mindef va délivrer un « ordre d’informer ». Cet acte du Mindef donne lieu à la désignation d’un juge d’instruction du Tribunal militaire. Ce n’est qu’à ce moment là qu’une information judiciaire contre Me Harissou et son codétenu, Aboubakar Siddiki pourra être effectivement ouverte. Mais, à ce stade de la procédure, Me Harissou et Aboubakar Siddiki ne sont encore que des « suspects » au terme de l’enquête préliminaire.

Présomption d’innocence
Selon des magistrats du tribunal militaire, ils continuent de clamer, à tout vent, leur innocence, bénéficiant des dispositions de l’article 8 de la loi N°2005/007 portant Code de procédure pénale au Cameroun stipulant que « Toute personne suspectée d’avoir commis une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui seront assurées ». Ce que semblent oublier les militaires. D’après nos informations, Me Harissou et Aboubakar Siddiki sont présentés comme étant « des amis de Michel Djotodia », le patron de la Séléka». Il est reproché à Me Harissou d’avoir été en contact téléphonique avec ce chef rebelle centrafricain par l’entremise de Aboubakar Siddik.

Dans le cadre du respect des lois en matière de libertés individuelles, quels que soient les faits pour lesquels ils ont été interpellés, leurs droits doivent être respectés. Le Cameroun est et doit demeurer un Etat de droit. Les autorités camerounaises se doivent de rester républicaines en toutes circonstances. D’ailleurs Paul Biya a toujours voulu être légaliste à toute épreuve. C’est pourquoi il ne faut pas que les « atteintes à la sûreté de l’Etat » débouchent sur un Etat de non droit, illustratif des abus de tous genres qui plongent chacun des citoyens dans une situation insécure.

« Les personnes arrêtées ont les mêmes droits que les autres personnes car ces infractions sont de droit commun. Aussi les personnes en question sont jugées avec les droits des personnes justiciables prévus par le code de procédure pénale. Elles ont le droit d’être assisté par un conseil et un médecin de leur choix, à des repas réguliers. Bref, à tous les droits prévus par le droit pour ceux qui sont poursuivis pour des infractions de droit communs », tranche Me Sihm, avocat.
Le Cameroun a ratifié les dix principaux traités internationaux relatifs aux droits humains. Chacun de ces traités a créé un comité d’experts chargé de surveiller l’application des dispositions du traité par les États parties. Certains des traités sont complétés par des protocoles facultatifs touchant à des préoccupations spécifiques.

C’est ainsi que notre pays se doit d’observer strictement ces traités dont la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 et le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 18 décembre 2002.

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