Une analyse qui secoue le monde intellectuel africain. Maurice Simo Djom, penseur camerounais, vient de publier « L’Etat de l’Afrique 2024 » aux éditions Afrédit, un ouvrage qui théorise un concept aussi percutant que troublant : le « châtiment géopolitique ». Appliqué à Haïti, première république noire de l’histoire, ce concept dévoile deux siècles d’acharnement des puissances occidentales à détruire systématiquement ce pays. « Pour avoir humilié militairement la France en 1802, Haïti a été condamnée à payer éternellement », écrit l’auteur. Des chiffres glaçants : 560 millions de dollars versés à la France, 21 milliards de dollars de manque à gagner, vol des réserves d’or par les USA en 1914. Ce n’est vraiment pas du jeu ! Aujourd’hui, le Kenya dirige une force multinationale pour stabiliser Haïti. Coïncidence ou nouveau déguisement géopolitique ? L’analyse camerounaise fait mouche et interroge : le Mali, le Burkina Faso et le Niger risquent-ils le même sort ?
Un Camerounais décrypte 200 ans de tragédie haïtienne
Maurice Simo Djom, intellectuel camerounais, consacre deux chapitres entiers de son ouvrage « L’Etat de l’Afrique 2024 » à Haïti. Un choix qui peut surprendre pour un livre sur l’Afrique. Pourtant, l’auteur explique que ce territoire situé à plus de 6000 km des côtes atlantiques africaines reste « aussi proche de nous que l’est le nombril du ventre ».
La raison ? Haïti incarne le premier triomphe des peuples noirs contre l’oppression coloniale. En 1791, Toussaint Louverture mène la révolte. En 1802, les hommes de François Capois dit Capois-la-mort remportent la bataille de Vertières contre les troupes de Napoléon. Une victoire qui fait naître la première république noire indépendante.
Mais cette fierté coûtera cher. Très cher. L’analyse de Maurice Simo Djom révèle un système d’écrasement méthodique qu’il baptise « châtiment géopolitique ». « Blessée dans son orgueil national, la France décida de prendre sa revanche en paralysant pour toujours les bénéfices de la bataille de Vertières », écrit-il.
La double dette : 560 millions de dollars extorqués par la France
Le mécanisme est diabolique. Pour obtenir la reconnaissance internationale de son indépendance, Haïti doit payer une indemnité colossale à la France. Paris active la « diplomatie de la canonnière » – des navires de guerre qui menacent de bombarder Port-au-Prince. La jeune république, affaiblie, cède.
Première dette : l’indemnité imposée par la France. Deuxième dette : pour payer cette indemnité, Haïti emprunte auprès des banques françaises à des taux usuraires. Un piège parfait.
Les journalistes du New York Times ont mené une enquête de treize mois qui confirme l’analyse du penseur camerounais. Bilan : Haïti a versé l’équivalent de 560 millions de dollars en valeur actualisée. Pire encore, si cet argent était resté dans l’économie haïtienne et avait fructifié au rythme actuel de croissance, il représenterait aujourd’hui 21 milliards de dollars.
À Yaoundé comme à Douala, ces chiffres font froid dans le dos. Combien de routes, d’hôpitaux, d’écoles Haïti aurait-elle pu construire avec 21 milliards ?
Les États-Unis prennent le relais au XXe siècle
Quand Haïti termine enfin de payer la France, les États-Unis entrent en scène de façon encore plus brutale. Maurice Simo Djom documente cette nouvelle phase du châtiment géopolitique : « Au début du XXème siècle, à la demande de Wall Street, Washington organise un pivotage géopolitique. »
Le catalogue des crimes est accablant : vol des réserves d’or d’Haïti en 1914 et leur transfert à la National City Bank of New York (ancêtre de la Citibank), imposition de gouvernements fantoches, assassinats politiques, coups d’État contre les régimes anti-américains, création d’une branche locale de la CIA appelée SIN (Société d’Intelligence Nationale).
Plus tard, Washington crée le « Core Group » qui réunit l’Union européenne, le Canada et l’ONU. Une organisation qui poursuit aujourd’hui encore la déstabilisation systématique du pays. Le tremblement de terre qui a ravagé Haïti a vu les Clinton détourner 80% de la cagnotte internationale collectée pour la reconstruction.
Le Kenya à la rescousse : espoir ou nouveau piège ?
En octobre 2023, la résolution n°2699 du Conseil de sécurité des Nations unies institue une force multinationale d’intervention en Haïti. Particularité : elle est placée sous le commandement du Kenya, pays africain dirigé par William Ruto.
Maurice Simo Djom salue cette initiative africaine. « Voler au secours de la terre d’Afrique est en définitive un réflexe sain », écrit-il. Haïti reste une partie de l’Afrique, géographiquement lointaine mais sentimentalement proche.
Toutefois, l’auteur camerounais émet un bémol de taille : cette force multinationale est financée par les États-Unis et le Core Group. N’est-ce pas un « déguisement géopolitique » ? Le loup changerait-il simplement de peau sans changer de nature ?
L’ironie est cruelle : en 2012, sous la présidence de Michel Martely, Haïti a demandé à rejoindre l’Union africaine. Réponse ? Refus catégorique. L’UA préfère garder ses distances avec sa « fille aînée ».
Le Mali, le Burkina et le Niger dans le viseur ?
L’analyse ne s’arrête pas à Haïti. Maurice Simo Djom établit des parallèles troublants avec la Libye de Mouammar Kadhafi. La déclassification des emails d’Hillary Clinton a révélé que les services secrets français auraient organisé et financé la rébellion contre Kadhafi.
Pourquoi ? Parce que Kadhafi, comme Haïti en son temps, osait défier l’ordre occidental. Le châtiment géopolitique a frappé Tripoli avec la même férocité qu’il avait frappé Port-au-Prince deux siècles plus tôt.
La question devient brûlante pour le Cameroun et toute l’Afrique : « Tout dirigeant africain résolument révolutionnaire verra-t-il son pays soumis au traitement haïtien ? », interroge l’auteur. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui ont rompu leurs accords de défense avec Paris, risquent-ils le même sort ?
Maurice Simo Djom répond avec un espoir mesuré : la multipolarité mondiale change la donne. Plus la Chine, la Russie, l’Inde et d’autres pôles concurrents à l’Occident seront forts, moins le châtiment géopolitique aura pignon sur rue.
Un livre qui interpelle tout le continent
« L’Etat de l’Afrique 2024 » ne se complaît pas dans le cynisme. L’auteur camerounais appelle à une « complémentarité des perspectives qui est à la base de la richesse du monde ». Son analyse holistique embrasse l’Afrique transcontinentale avec ses souffrances mais aussi ses aspirations à la dignité.
Le livre publié aux éditions Afrédit circule déjà dans les cercles intellectuels de Yaoundé et s’impose comme une référence pour comprendre les dynamiques géopolitiques qui traversent le continent. Le concept de « châtiment géopolitique » offre une grille de lecture puissante pour décrypter les interventions occidentales en Afrique.
L’analyse camerounaise résonne particulièrement dans un contexte où plusieurs pays africains remettent en question leurs relations avec les anciennes puissances coloniales. Le Cameroun lui-même observe attentivement ces bouleversements régionaux.
Le destin d’Haïti nous rappelle une vérité dérangeante : oser défier l’ordre établi peut coûter deux siècles de souffrance. Mais faut-il pour autant renoncer à la dignité et à l’indépendance réelle ?



