La secte islamiste a libéré le 10 octobre 2014, 10 Chinois et 17 Camerounais.
La matérialisation le 10 octobre 2014, de l’accord portant sur la libération par la secte Boko Haram de 27 otages enlevés au Cameroun dont 10 Chinois à Waza dans la nuit du 16 au 17 mai 2014, et 17 Camerounais lors de l’attaque de Kolofata le 27 juillet 2014, est d’abord et avant tout un sacrifice consenti par le chef de l’Etat, Paul Biya.[pagebreak] En effet, le prix payé par le Cameroun pour parvenir à ce résultat est sans précédent. Il a fallu relâcher des membres de Boko Haram emprisonnés sur son territoire. Et pas n’importe lesquels : des responsables de sa branche approvisionnement et ravitaillement.
«Les forces de sécurité camerounaises étaient parvenues à foudre le bordel dans le ravitaillement de la secte en mettant la main sur un certain nombre de ses membres qui traitaient directement avec les marchands de la mort, déstructurant ainsi son réseau d’approvisionnement. Elles ont aussi démantelé de nombreuses infrastructures dans le Logone et Chari et dans le Mayo-Sava. Certes, la secte dispose d’importants fonds, mais ceux qui disposaient de l’expertise pour acheter et convoyer les armes étaient désormais derrière les barreaux au Cameroun.
Avec ces libérations, le Cameroun et le Nigeria doivent s’attendre à une montée en puissance de la secte en saison sèche», regrette déjà une source introduite au State Security Service (SSS) à Maiduguri. Outre des membres de Boko Haram (voir encadré) lourdement condamnés par le tribunal militaire à Maroua le 24 juillet 2014 dans le cadre de l’affaire des saisies d’armes de Goulfey, le chef de la cellule de Kousseri, Abakar Ali, et ses compagnons interpellés le 23 septembre 2014 ont été libérés. A ceuxlà, s’ajoutent d’autres logisticiens de la secte à l’instar de Moustapha Goni Maïra et Ousmanou. Soit au total, selon de sources concordantes, une trentaine de membres de la secte détenus à Mora, Maroua, Garoua et Yaoundé qui ont été relâchés.
Ce prix élévé, payé par le Cameroun, survient au lendemain de la rencontre de Niamey, le 07 octobre 2014, qui exhortait pourtant les pays riverains du lac Tchad et le Benin à faire preuve de plus d’audace contre les velléités déstabilisatrices de la secte islamiste. Avec la remise en liberté de ces précieux membres de la secte, il va sans dire que le Cameroun a privilégié ses intérêts.
Et que les circonstances l’obligeaient au sacrifice s’il tenait à sortir de la tourmente son vice-Premier ministre, Amadou Ali, dont l’épouse avait été enlevée dans l’attaque de Kolofata. De sources introduites, ces négociations furent de toutes, les plus difficiles. Elles sont intervenues dans un climat de grande méfiance entre les deux parties, due au non respect par les négociateurs camerounais, des engagements pris lors de la libération des trois religieux enlevés à Tcheré dans la nuit du 4 au 5 avril 2014 et relâchés le 31 mai 2014. «Il avait été convenu qu’une vingtaine de membres de la secte soient libérés au même moment dans une sorte de troc. La nuit de la libération des religieux, les négociateurs camerounais ont allégué des lenteurs administratives pour promettre à leurs interlocuteurs qu’ils ne seraient relâchés que le 02 juin 2014.
Boko Haram a fini par relâcher les otages. Mais le Cameroun n’a pas tenu à sa promesse», explique une source introduite. En réalité, il était difficile de tenir cet engagement. «Certains n’étaient plus en vie, morts probablement au combat», sussure une source proche des négociateurs. La direction de la secte, qui avait engagé son autorité et son honneur dans ces négociations, s’est retrouvée non seulement ridicule, mais sans aucun outil de pression sur le gouvernement camerounais pour le contraindre à relaxer ses membres dont l’absence se fait cruellement ressentir au moment où le Cameroun, le Nigeria, le Tchad et le Niger tentent de l’éradiquer sur le terrain.
Certes, elle détenait des otages chinois, mais ceux-ci n’avaient manifestement pas de réelle valeur marchande, aussi bien pour le gouvernement camerounais que pour la secte elle-même. Et pourtant, les Chinois seront utilisés pour «endormir» le gouvernement camerounais quand la secte fera semblant d’oublier l’épisode de la libération des religieux et acceptera des discussions sur leur sort. «Un accord a été trouvé au mois de juin 2014, prévoyant le versement de 1,5 milliard Fcfa et la libération d’une petite poignée de prisonniers.
La concrétisation de ce deal devait avoir lieu autour du 15 juillet 2014. Pour le Cameroun qui ne proposait aucune compensation pour le non respect des accords sur la libération des religieux, l’affaire était à prendre ou à laisser», indique un fin connaisseur de Boko Haram. Pendant que le Cameroun pensait avoir décroché un accord, heureux de solder cette affaire à si bon compte, la secte, elle, mijotait son coup. Pour se venger. Et davantage pour disposer des otages bien plus précieux que les Chinois, afin d’obtenir la libération de ses cadres. Et si possible faire payer au Cameroun sa «filouterie». Le vice-Premier ministre Amadou Ali est alors la cible toute désignée. «Il s’était, au nom du gouvernement camerounais, porté garant de l’accord sur l’échange des prisonniers. Un membre du gouvernement a même donné assurance aux ravisseurs, au téléphone, le soir du 31 mai 2014. Il espérait le cueillir, le punir et le marchander », explique une source introduite. Lors de l’attaque qu’elle lancera sur Kolofata le 27 juillet 2014, ses combattants trouveront son épouse qu’ils emmèneront avec eux, laissant derrière plusieurs cadavres.
Avec Mme Amadou Ali, la secte disposait désormais d’un important levier pour faire chanter le Cameroun. Elle va prendre de son temps, repoussant les nombreuses tentatives de prise de contact pour aborder le sujet. Elle se fera désirer, torturant les nerfs des autorités camerounaises d’autant que celles-ci n’ignoraient pas que le drame qui a touché Amadou Ali est la conséquence de sa tentative de flouer la secte. Jusqu’à la fin, elle gardera donc l’initiative. C’est elle qui donnera le tempo des discussions en «invitant» en août 2014 le député Abba Malla à aller rencontrer dans l’Etat de Borno, son leader Aboubakar Shekau. Il lui sera remis les preuves de vie des otages. L’élu du peuple, érigé en négociateur principal, retournera une seconde fois, quelques jours plus tard pour conclure discrètement avec le leader de la secte les termes de l’accord qui conduiront au dénouement du 10 octobre 2014. «C’est le leader de la secte qui a personnellement piloté ce dossier.
Il ne voulait plus se faire avoir une seconde fois car son honneur était en jeu. Je crois qu’il a tiré le maximum de l’accord sachant qu’une telle opportunité ne se représenterait plus de si tôt», commente une source proche des négociateurs.
LIBÉRATION
La suspicion qui s’est instaurée entre les deux parties justifie sans aucun doute les multiples changements observés dans le rituel jusqu’ici établi lors des libérations. D’abord la forme : le secretaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, arrivé le 09 octobre 2014 à Maroua, y a installé son quartier général alors qu’habituellement, c’est au domicile du député Abba Malla à Djemakiya qu’il prenait ses aises, loin des regards indiscrets.
Autant dire qu’il a privilégié sa sécurité, quitte à sacrifier la discrétion. On n’est jamais trop prudent. Dans le fond, l’on a assisté à une sorte de troc. Un convoi d’une dizaine de véhicules du Bataillon d’intervention rapide (BIR) transportant des membres de Boko Haram, a quitté Maroua le 10 octobre 2014 en début de soirée. Direction : les environs d’Amchidé, après avoir ramassé en chemin des prisonniers incarcérés à Mora. L’échange se fera peut avant minuit.
Cette fois, les négociateurs camerounais n’ont pas eu à patienter de longues heures avant de se voir fixer le point de contact. Maîtresse de la frontière avec l’Extrême-Nord dans l’Etat de Borno, la secte s’est montrée à son avantage, communiquant le lieu de rencontre bien à l’avance. «Au moment de la libération des religieux, il a fallu se rendre au troisième point de rendez-vous pour que l’affaire se conclue. Cette fois, personne n’a perdu du temps», explique une source proche des négociateurs. Quid du paiement d’une rançon ? «Le gros de l’accord a porté sur la libération des prisonniers.
Des frais de bouche ont aussi été versés. 1,5 milliards avait déjà été arrêté de longue dates pour les Chinois. Pour les otages de Kolofata, il a fallu faire un petit effort supplémentaire, autour de 1,7 milliards. Mais dans cette affaire, ce sont les prisonniers qui importaient plus pour la secte», informe une source introduite. Au finish, 3,2 milliards et une trentaine de membres libérés selon des sources proches de la secte. «Les membres libérés valent plus. L’argent n’a jamais été le problème dans cette affaire. Avec cet accord, le leader de la secte conforte son autorité. Et il a rétabli son honneur», analyse une source à Maiduguri au sein du SSS.