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Cameroun : l’armée peut-elle prendre le pouvoir après Biya ?

Le contre-amiral Joseph Fouda

« Cameroun : les scénarios de la succession » (3/4). Que se passerait-il si, dans un an, Paul Biya n’était plus président ? Cette armée, dont une faction a manqué de le renverser en 1984, qu’il surveille avec attention et dont il nomme les chefs, pourrait-elle intervenir au prétexte d’assurer l’ordre et la continuité ?

Pendant plus de deux décennies, il a résisté aux intrigues et querelles intestines qui minent l’entourage présidentiel. Il a évité les chausse-trappe et esquivé les coups bas. Le contre-amiral Joseph Fouda, aide de camp de Paul Biya, est l’un des collaborateurs les plus anciens et les plus proches du chef de l’État. Un lien unique qui s’est forgé dans les coulisses du pouvoir et qui fait de lui l’un des militaires les plus influents du Cameroun, quand bien même il ne dirige aucune unité.

Fouda, dans l’ombre de Biya

Quel est le secret de la longévité de ce taiseux, originaire du Centre ? Un dévouement quasi religieux au chef de l’État, c’est certain. Une exceptionnelle discrétion, cela va sans dire. Mais aussi – et cela ne gâche rien – une vie monacale, loin des mondanités de la capitale. Paul Biya, qui sait pouvoir compter sur sa fidélité, lui a octroyé il a quelques années le titre de conseiller spécial.

Autrement dit, il a consenti à déroger pour cet homme qui le suit comme son ombre au sacro-saint principe de la cloison étanche entre carrières militaire et politiques. Aujourd’hui encore, à Etoudi, Joseph Fouda compte parmi les rares à avoir accès tant au bureau présidentiel qu’à la résidence du « patron », la fameuse Annexe C.

Si l’armée peut se targuer de disposer d’un homme au cœur du pouvoir, c’est bien parce que cet officier de marine à l’uniforme immaculé est aux premières loges de la conduite du pays. C’est par lui que passent les courriers confidentiels échappant au circuit officiel. Les notes de renseignement aussi. Rien de ce qui se trame à Yaoundé ne lui échappe.

Que Paul Biya accorde sa confiance à un officier n’allait pas de soi. Il n’a jamais oublié qu’une partie de la Garde républicaine a tenté de le renverser, un 6 avril 1984 – c’est le grand traumatisme du début de sa présidence.

Politicien madré et rancunier, il s’applique depuis des années à asseoir son contrôle sur l’armée et le contre-amiral est, à cet égard, un maillon essentiel de la stratégie de conservation du pouvoir qu’il a mise en place. Et même si les Camerounais n’osent en débattre ouvertement, tous savent que, si Paul Biya venait à être empêché, l’armée pourrait décider de jouer un rôle dans cette succession qui, inévitablement, se profile.

Tentation des militaires ?

Bien sûr, la Constitution camerounaise est claire. En cas de décès du chef de l’État par exemple, il reviendrait au président du Conseil constitutionnel (en l’occurrence à Clément Atangana) de publier une déclaration de vacance en procédure d’urgence et de l’insérer au journal officiel, en français et en anglais.

Mais pour cela, il devrait lui-même avoir au préalable réuni les deux tiers des membres dudit Conseil, à la demande du président de l’Assemblée nationale (en l’occurrence, Cavaye Yeguie Djibril). Charge ensuite au président du Sénat d’organiser des élections dans un délai maximal de 120 jours.

En cas d’indisponibilité définitive du président, les états-majors seront parmi les premiers informés

Voilà pour la théorie. Mais reste à savoir dans quels délais ce dernier sera lui-même informé de l’indisponibilité définitive du président. « Grâce aux médecins militaires de la présidence et à ces collaborateurs issus des forces de défense placés dans l’entourage du chef de l’État, l’armée a la haute main sur l’enclenchement du processus.

Les états-majors seront parmi les premiers informés, affirme un fin connaisseur de la scène politique camerounaise, sous le couvert de l’anonymat. Ce moment est crucial. Il ne doit y avoir aucun flottement. L’incertitude est propice au risque d’instabilité. Risque qui tend lui-même à légitimer une interruption du processus par les militaires. »

Les militaires camerounais pourraient-ils être tentés ? « Ils observent d’autres armées africaines succomber à la tentation, prenant prétexte des désordres pour s’emparer du pouvoir. Ils écoutent les putschistes de pays voisins dénoncer le flou dans le scénario de succession, le peu de visibilité de l’avenir, la corruption des politiques, l’embourgeoisement des élites, énumèrent un officier à la retraite. Ces fléaux minent aussi le Cameroun et dans d’autres pays, ils font partie des raisons qui ont poussé des militaires à prendre le pouvoir. »

Notre interlocuteur rappelle que bien souvent, les putschistes justifient leur passage à l’acte par le souci de « sauvegarder les intérêts de la nation », selon la formule consacrée. Et dans un pays où le président de l’Assemblée nationale, en poste depuis près de trente ans, a dépassé les 82 ans et où son homologue au Sénat (Marcel Niat Njifendji) flirte avec les 88 ans et multiplie les séjours médicaux en Europe, il n’est pas déraisonnable d’imaginer que l’un ou l’autre préfèrerait décliner la responsabilité qui leur incomberait. Et que des militaires pourraient y voir l’occasion rêvée de se présenter en gardiens de l’ordre et de la continuité.

Pas de chef charismatique et populaire

Mais encore faudrait-il que l’armée, dans l’ensemble de ses composantes, soit en mesure de partager cette vision et surtout de se regrouper derrière un ou plusieurs de ses chefs. Quid de Joseph Fouda ? Il joue, en l’état actuel des choses, un rôle plus important que le chef d’état-major particulier du président, le général Emmanuel Amougou.

Ce dernier demeure peu connu du grand public et il n’a pas l’influence d’un Blaise Bénaé Mpéké, son lointain prédécesseur mort en janvier 2007. « Toutefois, le contre-amiral Joseph Fouda n’est pas une figure populaire au sein de la troupe, analyse un observateur. Il n’est pas susceptible de rassembler les 50 000 hommes et femmes qui composent les forces de défense sur un projet, quel qu’il soit. »

Chargée de la sécurité rapprochée du président, Ivo Desancio Yenwo ne peut pas davantage se poser en rassembleur. Ce général anglophone qui doit toute sa carrière au chef de l’État et qui occupe un poste habituellement attribué à un policier, n’a qu’une influence relative sur la troupe.

Et le colonel Jean-Charles Beko’o Abondo, qui commande la Garde présidentielle ? Il n’était pas le premier choix de Paul Biya, qui lui avait initialement préféré le général Joseph Nouma, avant de se raviser. Bulu originaire de la région Sud (à l’instar du chef de l’État), Beko’o Abondo veille à n’afficher aucune accointance avec les politiques de tous bords et à se tenir loin des intrigues de palais. Peu connu avant sa nomination, en 2014, il ne l’est pas davantage aujourd’hui.

La popularité d’un militaire est perçue par le pouvoir civil comme une menace à sa stabilité.

Reste René Claude Meka, le chef d’état-major des armées. Ce saint-cyrien de 83 ans est un militaire blasé, mal voyant et à l’activité désormais réduite. Déjà d’un tempérament discret lorsqu’il était en pleine possession de ses capacités, il n’envisage pas de prendre la lumière, et personne n’y songe pour lui non plus.

Il faut dire que, mis à part le « chef suprême » qu’est Paul Biya, cette armée-là n’a pas de véritable chef militaire charismatique et populaire. « Aucune tête ne dépasse dans les rangs », poursuit notre interlocuteur. Alors qu’elle mène deux guerres, l’une contre le terrorisme islamiste dans l’Extrême-Nord et l’autre contre les sécessionnistes anglophones dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, l’armée évite soigneusement de mettre en avant ses « héros ». Aucun militaire n’est présenté à l’opinion pour ses hauts faits d’armes.

La popularité est perçue par le pouvoir civil comme une menace à sa stabilité. L’establishment politique se méfie autant des ambitieux qui grandissent en son sein que des soldats, fussent-ils gradés, qui montrent des capacités à penser global, voire qui se laissent aller à écrire (et faire publier !) des essais avec ou sans autorisation de leur hiérarchie.

Rivalités et injustices

Les différents états-majors coexistent dans un climat de méfiance. Tout est fait pour éviter des rapprochements potentiellement périlleux pour la stabilité du pouvoir civil. « Si quatre officiers ayant le grade de général se retrouvent en un seul et même lieu pour une raison qui n’a rien à voir avec le service, une fête, par exemple, ils sont tenus de s’en expliquer par écrit auprès du haut commandement », raconte un ancien militaire.

Du haut en bas de l’échelle, les militaires sont loin de penser comme un seul homme. À l’instar des civils auprès desquels ils vivent, ils sont influencés par les opinions politiques et courants de pensée qui traversent la société. En interne, l’armée est fractionnée en clans. Ceux-ci peuvent avoir des contours ethniques, lesquels se superposent aux clivages de structure.

En effet, chacune de ses composantes est imprégnée d’une « sous-culture militaire » différente qui dispute à ses rivales à la fois la meilleure part du budget et la meilleure manière d’assurer la sécurité du pays. La cohabitation entre la gendarmerie, les armées de terre et de l’air et la marine n’est pas toujours harmonieuse.

Garde présidentielle et Bataillon d’intervention rapide sont en quelque sorte les assurances-vie du pouvoir

L’autre pomme de discorde tient de l’injuste répartition des privilèges, accordés à certains mais refusés à d’autres. Certes, l’armée camerounaise est traditionnellement bien dotée. Cette année par exemple, l’État prévoit de dépenser 348,9 milliards de F CFA pour les questions de défense et de sécurité – une enveloppe qui représente 10,8 % de son budget total, selon la loi de finances 2022.

Mais toutes les unités ne sont pas logées à la même enseigne. Les éléments de la Garde présidentielle sont ainsi les mieux lotis en termes de rémunération, d’équipement et de formation. Cette formation inter-armée (gendarmerie, armée de terre, air, marine), créée en 1985 en lieu et place de la Garde républicaine, est entraînée et encadrée par des contractuels israéliens – et notamment par Eran Moas, un colonel à la retraite dont le nom n’apparait dans aucun organigramme officiel – qui échappent à l’autorité du ministre de la Défense, Joseph Beti Assomo, et à celle du commandement militaire.

Ces mêmes contractuels israéliens assurent également le contrôle du Bataillon d’intervention rapide (BIR). Doté de 5000 hommes, d’un matériel de guerre polyvalent (terre, mer et air) ainsi que d’un entrainement spécial, il joue un rôle de premier plan dans la défense du territoire. Dans les faits, le BIR est financé par la Société nationale des hydrocarbures (SNH), dont le puissant Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence, dirige le conseil d’administration. Le BIR, comme la Garde présidentielle, a développé des capacités de surveillance électronique qui leur confère un avantage stratégique sur le reste de l’armée.

Ces deux unités sont en quelque sorte les assurances-vie du pouvoir. Ce sont elles aussi qui, à l’heure de la succession, seront les premières à se poser en rempart de la Constitution ou, au contraire, en protagonistes incontournables d’un intermède militaire.

Jeune Afrique

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