Parvenus à la moitié de l’année scolaire, de très nombreux établissements publics du secondaire attendent toujours le décaissement des fonds versés au Trésor. Et ce, dans une cacophonie indicible et la mort programmée de l’école.
La colère est désormais visible sur le visage de nombreux chefs d’établissements secondaires. Ils n’en peuvent plus du jeu de ping-pong qui se joue depuis décembre entre les services du Trésor et les délégations des Enseignements secondaires, lequel les a transformés en dindons d’une farce financière dont les contours étonnent tout le monde. Accablés par les créanciers, ils ne peuvent rembourser aucune dette, faute d’argent. « Je suis vraiment fâché cette fois. Imaginez bien que je ne peux plus passer une journée sans qu’un fournisseur m’appelle pour me demander de payer sa dette. Ils ne nous croient pas. La formule est à chaque fois : ‘’n’est-ce pas on a débloqué vos fonds ? Tout le monde en parle pourtant’’ », déroule un proviseur de la région de l’Ouest, visiblement dépassé par les événements. Au lendemain de la rentrée du second trimestre, un message de son Délégué départemental instruisait aux chefs d’établissements de passer le lundi, 14 janvier 2019, à leurs postes comptables de rattachement, avec les agents financiers, pour décaisser les fonds. Enfin, pensèrent-ils.
« Une fois rendue à la perception, nous avons été surpris de voir le percepteur faire des calculs incompréhensibles puis nous informer que nous devons signer et déposer des ordres de retrait de fonds, qu’il doit à son tour aller déposer à la Trésorerie générale pour entrer en possession desdits montants », rapporte-t-il.
Les plus éloignés fabriqueront ledit document à partir de leurs ordinateurs portables et certains autres dans les bureautiques à l’entour, pour gagner en temps et économiser un autre déplacement. Alors qu’ils attendent les fonds, ils sont rappelés quatre jours après, pour être informés que les ordres de retrait dont personne n’a produit un modèle de formulaire, ont été rejetés au motif que les agents financiers n’avaient pas produit la photocopie de leurs cartes d’identité et mis les empreintes digitales sur lesdites fiches. Ce dernier détail fait problème : dans la tradition financière au Cameroun, le fait de mettre ses empreintes digitales sur une fiche de décaissement signifie qu’on a perçu de l’argent. Certains agents financiers, par crainte du piège ou d’une escroquerie, refusent encore de le faire. Et « si c’était une manoeuvre supplémentaire pour retarder le paiement, en l’absence des liquidités ?», interroge un autre proviseur.
Annonce trompeuse
Le fait est que le 13 décembre 2018, le Pr. Nalova Lyonga, Ministre des Enseignements secondaires (Minesec), avait émis un communiqué radio-presse qui semblait mettre fin à l’imbroglio, qui avait trop duré de l’avis des observateurs. Ledit communiqué intervenait au lendemain de la signature d’une « instruction ministérielle … d’application immédiate » par le Ministre des Finances (Minfi) le 22 novembre 2018, qui balisait clairement les conditions d’opérationnalisation de cette activité. « Le Ministre des Enseignements secondaires porte à la connaissance de la communauté éducative que les contributions exigibles et les frais d’examens officiels collectés par les opérateurs partenaires (Campost, Express Union, MTN Cameroon, Orange Cameroun) sont disponibles dans tous les postes comptables de la République depuis ce 12 décembre 2018. Les Délégués régionaux, les Délégués départementaux et les chefs d’établissements sont invités à se rapprocher de leurs postes comptables respectifs afin d’entrer en possession desdits fonds », informait la Minesec. Dans la foulée, elle expliquait que « les comptes des différentes structures seront alimentés au fur et à mesure des paiements ». Dès lors, elle pouvait logiquement saisir « cette occasion pour réitérer l’option « clean schools » dans la gestion des différents fonds destinés au fonctionnement des unités scolaires.
Par ailleurs, Madame le Ministre félicite tous ceux qui ont œuvré à l’aboutissement de cet important projet ». La messe semblait dite. Pourtant si l’on excepte les circonscriptions financières de Yaoundé et Douala où les établissements scolaires ont reçu des fonds dans une relative quiétude, l’annonce du Minesec a plutôt ouvert la boîte de Pandore. Et inauguré pour certains un véritable chemin de croix. Dans la région de l’Ouest par exemple, le Délégué régional a instruit le 21 décembre 2018 ses collaborateurs de lui produire, sous 24h, la totalité des listings de leurs élèves ayant payé, faute de quoi ils ne seront pas payés. « Cette procédure qui intervient alors que certains sont en déplacement pour les congés de Noël est inutile puisque chaque structure a un compte au Trésor. Les sommes versées doivent automatiquement s’y retrouver, sans qu’on n’ait besoin de prouver quoi que ce soit. A qui la faute si des opérateurs ne nous produisent pas les listings attendus ? », relativise le directeur d’un Cetic peu fréquenté. Au final de cette course contre le temps, certaines structures se retrouvent avec des effectifs très inférieurs aux paiements effectivement réalisés par leurs élèves et pour lesquels ils disposent de reçus.
Pis encore, les paiements étaient annoncés pour la semaine qui suivait. Un mois après, il n’en est rien. Encore qu’ils disent ne rien comprendre des montants pour lesquels il leur a été demandé de faire des ordres de retrait. Seul un pourcentage non expliqué (apparemment 35% du montant des listings déposés et sur lesquels des prélèvements de quotes-parts ont été effectués) sera décaissé le moment venu. « Pourquoi l’Ouest doit être le laboratoire d’expérimentation des pratiques surréalistes ? », s’interrogent presque en choeur les chefs d’établissements secondaires, même si personne n’ose parler à découvert. En effet, les curiosités sont nombreuses. D’abord, cette manière de procéder est contraire à l’instruction du Minfi sus-évoquée, elle ne correspond pas non plus aux termes du communiqué du Minesec du 13 décembre 2018. Alors, qu’en est-il des comptes ouverts au Trésor et de leur approvisionnement ? Pourquoi ne laisse-t-on pas chaque établissement connaître ce qu’il y a et en disposer comme énoncé ? Ensuite, dans certains cas, les montants sont si ridicules qu’on se demande comment ça fonctionne. Sur un état en circulation, que le reporter a pu consulter, des établissements scolaires attendent moins de 50.000F. « Je vois que je dois percevoir 13175F. Sans compter les mouvements antérieurs, mon déplacement de ce jour avec mon agent financier a coûté 4000F. En demandant de revenir à la perception, il faut encore 4000F. Le jour où on viendra décaisser, il faudra encore 4000F. De qui se moque-ton ? », regrettait le 14 janvier dernier un responsable rencontré dans une perception. Plus loin, se demande un autre, rien n’est dit sur les rubriques concernées par ce décaissement attendu et la raison de leur choix plutôt que d’autres.
Bricolages
Par ailleurs, les crédits délégués du deuxième semestre 2018 n’ont pas été payés, chez beaucoup. « Depuis le mois de septembre que j’ai retiré mes cartons au contrôle des finances, personne ne veut les prendre. Tous ceux que j’ai sollicités me disent qu’ils ont de nombreux impayés auprès du Trésor », témoignait un proviseur à quelques jours de l’entrée en forclusion de ces autorisations de dépenses données par le Minfi, fin novembre 2018. Il attend à ce jour « que le fournisseur l’appelle ». Ils sont nombreux aujourd’hui les proviseurs qui regrettent d’avoir parfois utilisé des moyens personnels pour faire fonctionner les lycées dont ils ont la charge. « On a mal fait de ne pas bloquer le service. Cet argent n’arrivera pas », prophétisent certains. Qui s’étonnent que dans ces conditions, le ministère ait eu le courage d’envoyer des missionnaires sur le terrain pour vérifier l’effectivité de certaines activités comme l’informatique ou la bibliothèque. Les confiits entre proviseurs et présidents des associations des parents d’élèves pour le contrôle des recettes refont surface.
Certains, ayant entendu parler de décaissement, veulent aussi que leurs remboursements commencent. Lors du lancement de la rentrée scolaire 2018/2019, le Ministère des Enseignements secondaires, à travers son chef de la division des affaires juridiques, Léopold Djomnang Tchatchouang, avait expliqué que l’opération de paiement en ligne des frais d’inscription devait permettre la maîtrise des effectifs et de la carte scolaire ainsi que la sécurisation des fonds, pour lesquels de nombreux intendants et économes allaient en prison. Bien malin qui pourrait faire le bilan à mi-parcours. La plupart des acteurs n’étaient pas prêts. Au point où il a fallu attendre trois mois après la rentrée pour imposer des assureurs aux structures. Le reste, c’est la débrouillardise. Il a fallu enfreindre les textes et recourir aux Associations de parents d’élèves pour avoir de la craie et du petit matériel, les frais de séminaires, etc. Même les responsables les plus rigoureux ont modifié leurs projets ainsi que leurs programmations budgétaires. Autrefois décrié, on supporte de plus en plus que des enseignants demandent aux élèves de cotiser pour multiplier les épreuves, ou qu’ils recopient de longs devoirs remplis de schémas complexes au tableau.
Pour se tirer d’affaire, certains continuent d’imprimer les devoirs séquentiels sur des papiers brouillons. Que dire des travaux pratiques dans l’enseignement technique et professionnel ou les disciplines scientifiques ? A quelques semaines des « journées portes ouvertes » dans l’enseignement technique, c’est l’expectative. « Je n’ai même pas la totalité du montant pour lequel on m’a demandé de faire un mandat. Avec les 800.000F reçus sur plus de 5 millions en compte, j’ai payé les primes de rendement du premier trimestre et une tranche de salaire. Les enseignants sont contents », blague le proviseur d’un lycée technique. Les primes de rendement du personnel pour le compte du premier trimestre, là où elles ont été payées, l’ont été sur emprunts. Les plus courageux ont refusé de payer de l’ « argent virtuel » à leurs collègues, malgré les menaces de la hiérarchie. Et l’école continue.