Cameroun – BOKO HARAM: Quelle stratégie pour l’armée ?





La secte intensifie ses activités dans l’Extrême-nord du pays.
Les évènements se sont brusquement accélérés ces derniers jours dans la région de l’Extrême-Nord. Ici où l’armée est désormais aux prises avec la secte Boko Haram sur plusieurs fronts.[pagebreak] Une situation résulte qui en grande partie de la destruction de plusieurs verrous clés de l’armée nigériane en des points de la frontière. En deux jours – 25 et 26 août 2014 – ce ne sont pas moins de 1000 soldats nigérians qui ont trouvé refuge au Cameroun. La première vague, évaluée à quelque 700 hommes environ, est entrée au Cameroun le 25 août 2014, via la bourgade de Kerawa dans le Mayo-Sava.
«Les soldats étaient à bord de 26 véhicules et 06 blindés. Ils avaient du bon matériel et je crains que cela ait un impact sur le moral de nos troupes», indique un responsable sécuritaire à Maroua. Après avoir été convoyés à Maroua, les militaires nigérians ont regagné leur pays le même jour par un couloir sécurisé via Bourha, dans le Mayo-Tsanaga. La seconde vague de militaires nigérians, qui a abandonné ses positions à Gambaru, est toujours cantonnée à Kolofata. Quelque 300 hommes qui attendent donc d’être également évacués vers leur pays.

La perte de ces positions nigérianes a eu un impact immédiat sur la situation sécuritaire de l’Extrême-Nord en ce sens qu’elle a étiré le territoire contrôlé par Boko Haram. Rendant du coup ses forces encore plus mobiles le long de la frontière dans les départements du Mayo-Sava, du Mayo-Tsanaga et du Logone et Chari. Conséquences : une activité intense de la secte a été enregistrée dès le lendemain, 26 août 2014. Dans le Mayo-Tsanaga, des éléments de la secte venus en grand nombre ont pris position dans la bourgade d’Achigachia dans l’arrondissement de Mozogo.

Ils ont brûlé le domicile du commandant de brigade, incendié le poste de gendarmerie puis la mosquée du village. Un jeune homme dénommé Tchamaya Thountakou et un vieillard du nom de Dogongui Albert qui officiait comme gardien de l’église catholique, ont été tués pas les assaillants. Les éléments de Boko Haram ont également pénétré dans plusieurs villages frontaliers dont Zeneme, Nguetchewé… où ils se sont accaparés du bétail avant de se retirer. Le même phénomène a été enregistré dans le département du Mayo-Sava où de nombreux villages de l’arrondissement de Kolofata ont totalement été désertés par les populations. Kerawa a été occupé quelques heures avant que les assaillants ne soient délogés dans la nuit à la suite d’une contre offensive de l’armée.

Dans le Logone et Chari, la situation est tendue dans les arrondissements de Darak et de Fotokol. Résultat, la ville frontalière de Fotokol se vide peu à peu de ses habitants, notamment depuis la prise de la ville nigériane de Gambaru par les éléments de Boko Haram d’où ils tirent régulièrement en direction du Cameroun. «L’armée camerounaise défend avec beaucoup de succès le pont sur le fleuve El beid qui sépare les deux pays et qui est crucial pour la circulation des populations. L’armée est bien en place mais que peut-elle faire contre les roquettes qui sont tirées de temps à autre sur la ville», explique Mahamat.

Dans la localité de Mamani, à 7 km de Waza, des membres de Boko Haram ont effectué une incursion toujours dans la nuit du 26 août 2014 et ont tué deux personnes avant de se replier… En une seule journée donc, la secte a mené de nombreuses opérations en divers points de la frontière. «Elle a l’initiative parce qu’elle opère à la frontière, et nous ne pouvons malheureusement pas garantir tous les points de la frontière. Et quand elle pénètre en profondeur, c’est qu’elle a concentré de forces suffisantes pour mener ses opérations », regrette un officier supérieur.

L’effondrement des positions de l’armée nigériane à la frontière avec le Cameroun dans la région de l’Extrême-Nord met l’armée camerounaise directement en face de la secte. Handicapée par une frontière qu’elle ne peut juridiquement franchir alors que son adversaire la traverse allégrement pour porter des coups et bousculer ses positions. La problématique pour l’armée camerounaise n’est plus seulement celle de protéger l’intégrité du territoire, mais comment y parvenir avec efficacité dans les conditions actuelles. «Nous sommes dans une situation complexe. Hier, c’était les Nigérians qui imploraient les camerounais de se décarcasser afin de détruire la logistique de la secte sur son territoire.

Aujourd’hui, c’est le Cameroun qui réclame plus de vigueur à l’armée nigériane dans l’espoir d’endiguer la progression de la secte sur son propre territoire », explique une source militaire. Or ce n’est pas demain que l’armée nigériane va reconquérir les territoires perdus. Sur cette base prévisionnelle, l’armée camerounaise doit nécessairement reconsidérer sa stratégie, en prenant à son compte l’initiative de la guerre. En étant d’attaque au lieu d’abord de subir avant de riposter ou contreattaquer. «Nous devons nous doter de moyens humains et matériels pour aller les chercher, leur porter des coups durs, les mettre en insécurité permanente.

Nous ne pouvons plus attendre qu’ils se renforcent, concentrent des troupes et attaquent nos positions les plus vulnérables avant de se replier. La problématique du franchissement de la frontière et donc du droit de poursuite doit être examiné dans notre propre intérêt. Les lignes ne sont plus celles qui étaient en place il y a quelques mois», analyse un spécialiste de Boko Haram. En clair : l’armée doit prendre l’initiative d’attaquer Boko Haram, y compris au-delà de la frontière. Et s’il le faut, traverser la frontière. «Mon opinion est que, sur un large pan de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, notre voisin est Boko Haram. Ce n’est plus l’Etat du Nigéria. Il faut considérer cela ainsi et prendre les dispositions qui s’imposent.

Il faut une unité spéciale qui se fond dans l’environnement et les traquent de l’autre côté de la frontière afin qu’ils soient toujours en insécurité. Si nous restons sur le schéma ancien, comme s’il n’y avait eu aucune évolution ces derniers mois, nous marchons vers de grosses difficultés. J’ai envie de voir dans la récente réorganisation de notre dispositif par le chef de l’Etat, la quête d’une nouvelle stratégie», explique un officier supérieur à la retraite. Des voix demandent également l’adoption d’une ligne claire contre la secte. «Certains hommes politiques affirment que la secte n’a aucun objectif au Cameroun et que son champ de définition et de délimitation se trouve être le Nigeria.

Cette posture est un mauvais calcul, cette secte avance masquée et elle a de l’appétit. C’est un adversaire malin, robuste, qu’il faut traiter durement quel que soit le prix à payer. Autrement, quand elle sera suffisamment forte, qui nous dis qu’elle ne voudra pas venir s’installer ici, au Cameroun ?», explique un élu du Logone et Chari.

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