Cameroun – Décryptage: L’envers du huis clos Biya-Hollande

Après leur rencontre visiblement tendue, le président français demande plus de démocratie quand son homologue camerounais reste flou sur son avenir politique.
La nuit est tombée sur Yaoundé quand le président français, François Hollande, suit son homologue camerounais au troisième étage du palais de l’Unité.
L’étage est presqu’une zone interdite où se trouvent le bureau de Paul Biya et celui de son aide de camp. Mais ce 3 juillet 2015, on n’apercevra pas la silhouette de cet aide de camp dans la suite des deux hommes d’Etat et encore moins le secrétaire général de la présidence de la République et le ministre en charge des Relations extérieures. Seuls Martin Bélinga Eboutou, le directeur du cabinet civil, et Simon Pierre Bikélé, chef du protocole d’Etat, sont admis dans le couloir de ce troisième étage. Mais les deux proches collaborateurs du chef de l’Etat camerounais n’iront pas plus loin. Car la porte du bureau se referme derrière Biya et Hollande pour un tête-à-tête comme annoncé dans le programme. Pareil procédé avait déjà été vu il y a quelques mois avec Michaëlle Jean, secrétaire général de la Francophonie, en visite officielle au Cameroun.
Plus d’une heure après, l’agitation observée aux étages en dessous annonce la fin du huis clos. Les deux hommes prennent place dans une autre salle. A leurs côtés, Michel Sapin, ministre français des Finances et des comptes publics, Anne Paugam, la directrice générale de l’Agence française de développement (AFD) et Emmanuel Nganou Djoumessi, le ministre camerounais de l’Economie. Ce sont ces derniers qui paraphent quatre conventions d’un montant estimé à 76 milliards de francs CFA. « Contrairement à ce que certains ont laissé prospérer, cette somme dérisoire comparée aux accords signés par Hollande et son armada d’hommes d’affaires qu’il traine partout, ne peut pas justifier le déplacement de tout un chef d’Etat français », commente une source crédible.

Les sujets qui fâchent
Pour cette dernière, la visite de Hollande s’est jouée pendant le huis clos.
Et quand on considère les traits du visage tirés de l’un et l’autre, tout laisse penser que les deux chefs d’Etat ont discuté des questions qui fâchent.
D’ailleurs, dans la salle où se signait les conventions, François Hollande est obligé de décrisper l’atmosphère en complimentant la qualité des fleurs disposée sur la table. Et d’un geste, Paul Biya touche des doigts lesdites fleurs et devise avec son homologue. Dans l’entourage des deux chefs d’Etat, on est bien curieux de savoir ce qui s’est dit pendant le fameux huis clos.
D’un côté comme de l’autre, il est clair que la guerre que le Cameroun a déclarée à Boko Haram allait meubler les échanges entre Biya et Hollande.
Sur cette question, le président français n’a pas fait de mystère. Pendant le point de presse conjoint, il a tenu à souligner que la France est partie prenante de cette guerre aux côtés du Cameroun. La France, à en croire Hollande, apporte des renseignements stratégiques, des photographies aériennes et des formations à l’armée camerounaise. Cette implication de la France aux côtés du Cameroun est visiblement l’un des seuls dossiers de consensus de la visite éclair (six heures) de François Hollande au Cameroun. Christophe Boisbouvier, de RFI, affirmait qu’avant de quitter Luanda (Angola) pour le Cameroun, François Hollande a confié à un de ses proches qu’il parlerait du cas de Lydienne Yen Eyoum, l’avocate franco-camerounaise condamnée en appel à la Cour suprême à 25 ans de prison.
En conférence de presse, François Hollande a effectivement fait savoir qu’il a plaidé la cause de sa compatriote auprès de son homologue camerounais, et qu’il revenait à ce dernier de prendre une décision. A son tour, Paul Biya choisi de faire un petit résumé de l’affaire en expliquant que Lydienne Yen Eyoum était chargée de récupérer des créances de l’Etat de 2 milliards de francs CFA pour les déposer dans les caisses du trésor public. Sauf que l’avocate a gardé par devers elle la somme d’un milliard…
Pour le président camerounais, les faits incriminent bien l’avocate. Il a par la suite invoqué sa rhétorique habituelle : l’exécutif n’interfère pas dans les affaires de justice, mais qu’il verrait ce qu’il peut faire. Des propos qui rappellent le cas Thierry Michel Atangana, l’homme d’affaires franco-camerounais libéré en 2014 par une remise totale de peine après 17 ans de prison. « Je ne doute plus que Lydienne Yen Eyoum soit libérée dans les semaines ou les mois à venir », commente notre source.

Le Canard enchainé
En conférence de presse, François Hollande se surprend à serrer le poing quand il aborde les questions de démocratie et de lutte contre la corruption. Un geste loin d’être anodin car la France est visiblement très préoccupée par la transition au Cameroun. On se souvient qu’après la chute de Laurent Gbagbo, Le Canard enchaîné, souvent très bien renseigné, rapportait les propos de Nicolas Sarkozy pendant un conseil de ministre : « après Gbagbo, il faut maintenant voir le cas de notre ami Blaise Compaoré et celui de Paul Biya. »
A la question d’un journaliste de France 2 qui voulait savoir quel est son état d’esprit alors que 2018 n’est plus loin et surtout après 32 ans de règne et en étant le président le plus ancien de la planète. S’il allait consentir à céder sa place à quelqu’un d’autre. Paul Biya, visiblement énervé, perd ses moyens en oblitérant le langage diplomatique et répond : « ne met pas long au pouvoir qui veut mais qui peut. » Le président camerounais poursuit :
« l’élection de 2018 est certaine mais encore lointaine. Le moment venu, le peuple camerounais et les amis du Cameroun sauront si je vais me représenter ou si je prendrais ma retraite. » Un observateur averti de la scène politique est formel : « c’est la première fois que Paul Biya prononce officiellement le mot « retraite ». » Pour ce dernier, c’est certainement ce sujet qui a le plus fâché les deux hommes pendant le huis clos…

Michel Ange Nga

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