Cameroun – Opinion: Leader charismatique, fin politique, plutôt rassembleur que fédérateur, Sa Majesté Essaka Ekwalla Essaka aura été le Chef Deïdo, Mwanedi, par excellence

Il a su hisser son règne parmi les plus marquants depuis l’indépendance du lignage Deïdo (acquise en 1878; et qui fera des Bonebele, le 3ème lignage principal chez les dualas, auprès des Bonadoo -lignage Bell et des Bonambela -(lignage Akwa) et par la même occasion, consolider ce canton (dénomination administrative) dans son rôle de forteresse de l’identité culturelle duala.Il a su hisser son règne parmi les plus marquants depuis l’indépendance du lignage Deïdo (acquise en 1878; et qui fera des Bonebele, le 3ème lignage principal chez les dualas, auprès des Bonadoo -lignage Bell et des Bonambela -(lignage Akwa) et par la même occasion, consolider ce canton (dénomination administrative) dans son rôle de forteresse de l’identité culturelle duala.

S.M. Essaka Ekwalla Essaka, a aussi été le Chef par excellence, parce qu’il a su au cours de ses 36 ans de règne, capitaliser l’énergie de son peuple, et en retour, lui insuffler, à des fins de perpétuation, cet esprit qui a toujours caractérisé Deïdo et ses résidents… Tous ses résidents… Les natifs et les non-natifs. Une manière d’être et de vivre autour de trois fondements : une indépendance d’esprit, la quête permanente de liberté et le respect de soi et des autres.

La disparition du 6ème Chef Supérieur de Bonebele (*) marque, à n’en point douter, un tournant décisif dans l’historicité des Deïdo, tant l’homme, Essaka Ekwalla Essaka a incarné Deïdo.

Lorsque cet économiste, père de sept (7) enfants issus de deux (2) unions, prend la tête de Deïdo en 1977, alors âgé de 34 ans, il est loin de faire l’unanimité au sein de son lignage. Sa prétention à vouloir devenir Chef est jugé inappropriée et même illégitime au sein d’une partie de la notabilité. La réalité veut que, son père, Ekwalla Essaka, auquel il aspire à succéder, se verra confier les rênes de Deïdo en 1939, en qualité de régent. Après de multiples tractations, négociations, discussions âpres et rudes et au finish, interventions de l’administration … Claude Gaston Emmanuel Essaka Ekwalla finira par avoir gain de cause et occupera donc le fauteuil de Mwaned’a Bonebele. Durant 36 ans. Et c’est à 73 ans, en patriarche respecté par les deïdo, les sawa et ses pairs camerounais qu’il disparaîtra le 25 septembre 2013.

Mais que de chemin parcouru pour en arriver là. Le règne aura été long et parfois cahoteux, mais à la fin de sa vie, le satisfecit est général.

S.M. Essaka Ekwalla « Degaulle » aura vécu et accompagné de multiples mutations au sein de Deïdo et du Cameroun. Et c’est brique par brique qu’il va asseoir son autorité et sa légitimité au sein de son lignage, parmi les Chefs Sawa et camerounais, et enfin au sein du Conseil des rois d’Afrique dont il occupait jusqu’à sa disparition le poste de vice-président.

Au fil des années, S.M Essaka Ekwalla va rallier tout le monde, surtout ses détracteurs, et créer une dynamique nouvelle à Deïdo. Avec un réseau de renseignements hors-pair, il savait tout ce qui se disait en bien ou en mal dans « le village », était au courant de tout ce qui se passait, ce qui lui permettait d’anticiper et d’exploiter les humeurs des résidents. Opportuniste à souhait, il saura jouer de sa position pour obtenir maints privilèges et avantages de la part de l’administration et du pouvoir politique. La réciproque étant tout aussi vraie. Tout commence en 1983, avec la visite historique du jeune et nouveau président Biya à Douala. Les Chefs sawa vont emmener Paul Biya au Banya (lieu sacré sawa) pour « présenter Paul Biya aux ancêtres et intercéder auprès d’eux pour la bénédiction du nouveau président ».

Aux premières loges de cette cérémonie, on retrouve Essaka Ekwalla. Une proximité générationnelle et une complicité tacite vont naître entre les deux hommes, dit-on ! C’est ainsi qu’on attribue à Essaka Ekwalla d’avoir su manœuvrer et utiliser cette association d’intérêts pour redonner au Ngondo – avec l’aide d’autres Chefs Sawa – sa dimension politique d’antan; qui lui permet, aujourd’hui de peser dans le choix de certaines orientations politiques en rapport avec l’espace dit sawa. Il s’agit là d’un fait reconnu, notamment par l’ancien Secrétaire Général du Ngondo, Money Money Akwa, qui tout en nous déclarant que : « Essaka Ekwalla est kata kata (sic) » (1) admettait dans la foulée que la « … connaissance par Essaka Ekwalla des hommes et du système a été un atout dans les discussions entre le Ngondo et le pouvoir politique ».

Le chef Deïdo a encore manifesté cette capacité politique à dénouer les crises – signe d’une maturité politique et d’une autorité naturelle – lors de la crise des bend-skins à Deïdoe en 2012. La décision finale prise conjointement avec les autorités politiques – même si elle ne plaît pas à tout le monde – a sûrement « tué dans l’œuf » une situation que certains extrémistes des deux bords voulaient explosive.

Cette intelligence politique qui fut reconnue à Essaka Ekwalla n’a pour autant pas empêché que ce leader fasse des erreurs ou prenne des positions controversées. Lui arriva-t-il de regretter ? La réponse qu’il donna à l’auteur de ces lignes qui lui posa un jour la question, est à l’image de l’homme et de toute sa vie : « Je ne regarde pas en arrière. De surcroît en tant que Chef de Bonebele » (2). Que ce soit dans sa gestion d’honneur du mythique club de football, le Léopard Sportif de Douala ou encore dans la gestion de certaines acquisitions domaniales, le Chef Essaka Ekwalla n’était pas toujours « bien conseillé ». Autre illustration, son appréciation des luttes de positionnement et de leadership politique entre les natifs de Deïdo. Son implication directe ou indirecte dans la rivalité entre les acteurs politiques actuels est là à suffisance pour démontrer que la neutralité dévolue à sa fonction lui a parfois fait défaut. Les exemples de ce type là, il y en a à profusion.

Toutefois, au moment de lui dire adieu, définitivement, l’on retiendra surtout que, fier de ce qu’il était, S.M Essaka Ekwalla, se fera toujours et toujours, et tant que ses moyens le lui permettaient, d’aller encourager toute initiative prise par un fils ou une fille de Bonebele, guidé, à la limite de l’obsession par cet objectif : Ebele o boso ! Ebele en avant ! ».

Féru d’Histoire, imprégné de la culture sawa et au-delà, de culture africaine, Essaka Ekwalla laisse un grand vide dans le peuple sawa, surtout après la disparition il y a à peu près un an, d’un autre repère sawa, le défunt prince René Duala Manga Bell. C’est d’ailleurs cette affection, cet amour qui se manifeste partout à travers le monde où se trouve la diaspora Deïdo.

Ce sentiment de solitude et d’anxiété qui habite de nombreux deïdo saura- t-il être comblé par son successeur ?
Au moment où nous écrivons ces lignes, le terme des débats sur sa succession n’a pas encore été trouvé. Ne dit-on pas « qu’à grand Chef, grands problèmes » ?

Essaka Ekwalla Essaka, un homme complexe, aura eu une vie pleine de rebondissements et autres surprises. Et tel semble aussi être le cas avec sa succession. Les prétentions sont nombreuses : fils, conjointes, collatéraux et … « tireurs de ficelles » négocient, supputent, complotent… pour savoir qui sera le 7ème Chef Supérieur Deïdo. Qui succédera à Essaka Ekwalla Essaka. En attendant, le peuple Bonebele retient son souffle et attends un nom. Celui de son futur Chef et qui saura respecter leur devise : Ebele o boso. !

(1) complexe, « compliqué »
(2) Extrait de conversations que l’auteur a eu avec le Chef Essaka Ekwalla dans le cadre d’un projet de livre.

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