Cameroun – Alerte à l’huile végétale : un poison de table nommé Jadida

L’Agence des normes de la qualité (Anor) est accusée d’avoir délivré un certificat de conformité à ce produit de grande consommation, présentant des paramètres physico-chimiques non conformes à la norme d’application obligatoire, depuis 2011.Depuis décembre dernier, l’Association des raffineurs des oléagineux du Cameroun (Asroc) signale la présence, sur le marché, d’une huile végétale raffinée de soja estampillée «Jadida», non conforme à la norme NC 77 2002-03 Rev.1 (2011) relative aux huiles végétales portant un nom spécifique enrichies à la vitamine A. Ce qui est, selon l’organisme professionnel, en violation totale de l’arrêté conjoint n°2366 Minsante/Minimidt/Mincommerce du 24 août 2011 rendant cette norme d’application obligatoire, et sur la base d’un faux certificat de conformité visant la norme sur la margarine et la mayonnaise (cf. certificat de conformité n°00078/2014/DG/DAC/MSP du 06 juin 2014). Il est à noter que cette huile végétale, jugée impropre à la consommation, est importée par la société Coppeq Sarl qui, curieusement, a reçu un certificat de conformité (n°00078 en date du 06 juin 2014) de l’Anor, dirigée par Charles Booto à Ngon.
Manifestement, pour appâter les consommateurs, Coppeq Sarl a fait monter un spot publicitaire qui met en exergue – image à l’appui une dame faisant de la friture avec ladite huile – le fait que cette huile est adaptée à la cuisson, à la friture et aux assaisonnements. En revanche, à travers un éclairage sur l’utilisation des huiles végétales au cours des nombreux points de presse tenus les 27 décembre 2014 et 10 février 2015 à Yaoundé, Jacquis Kemleu Tchabgou, secrétaire général de l’Asroc, balaie d’un revers de la main les informations contenues dans ce spot distillé à travers des médias locaux. «Cette publicité est mensongère d’autant plus que l’huile de soja a une teneur en acide α-linolénique ≥ 2% et ne peut, par conséquent, être qu’une huile d’assaisonnement et cette dernière mention doit être portée sur l’étiquette du conditionnement conformément à l’article 9-1-5 de la Norme NC 77 2002-03, Rev.1 (2011)», précise-t-il.

Plus loin, le Sg explique : «L’huile de soja, à cause de cette teneur en acide α-linolénique ≥ 2%, et en l’absence de la mention ‘’huile d’assaisonnement’’ sur l’étiquette de son conditionnement, ne doit donc pas être utilisée pour la cuisson et la friture, car lorsqu’elle monte en température, elle devient cancérigène et met en danger la santé des consommateurs.» En d’autres termes, et selon le responsable de l’Asroc, l’huile présentée à grand ramdam de publicité dans les médias depuis quelques mois est «destinée uniquement à l’assaisonnement». Par contre, peuvent servir à l’assaisonnement, la friture et la cuisson, «les huiles de palme raffinées, de coton, d’arachide, de tournesol, etc.» qui, selon les experts, «peuvent supporter des températures allant jusqu’à 360° C».
Dans une déclaration faite à la presse en janvier dernier, M. Kemleu Tchabgou précise que «le certificat de conformité qui est brandi fait référence à la norme NC 77 2002-03 sans l’extension Rév 1 (2011), donc non révisée et ne faisant pas allusion à l’enrichissement à la vitamine A, rendu d’application obligatoire par l’arrêté conjoint n° 2366/Minsante/Minimidt/Mincommerce du 24 mars 2011».

Dédouanement et revirement coupables
Face à l’interpellation instante de l’Asroc, le Dg de l’Anor est obligé de capituler, d’avouer le crime. À la lecture de la décision n°000120 Anor/Dg/Dc du 05 février dernier adressée au président directeur général de la Société Coppeq Sarl à Douala, et lui exigeant la suspension immédiate de toutes les publicités sur l’huile incriminée dans les médias, Charles Booto à Ngon fait enfin profil bas : «En date du 06 juin 2014, l’Anor vous a délivré le certificat de conformité n°00078 corrigé le 01 août 2014 sous le numéro 00107 suite à une erreur qui s’y était glissée et ceci malgré les résultats des analyses effectuées.»
Quelle mouche a donc bien pu piquer le Dg de l’Anor ? A travers une correspondance datée du 13 janvier 2013 et adressée aux ministres du Commerce et de la Santé publique, M. Booto à Ngon trouvait pourtant encore que cette huile était conforme à la norme en cause. Et il allait plus, en indiquant que seul le Conseil national de la publicité avait compétence pour arrêter la publicité mensongère répandue à longueur de journée dans les médias et qui prêtait à confusion.

Du coup, selon des observateurs, pour un manager censé être entouré d’experts qui éclairent sa lanterne, du début à la fin dans le processus d’attribution des certificats de conformité, la gaffe est trop grosse pour rester impunie. Selon les experts ayant parcouru le document produit par le Laboratoire Paléologos, l’analyse agro-alimentaire effectué présente quelques incongruités, notamment en ce qui concerne les paramètres physico-chimiques. Au regard de ces incuries, des interrogations fusent de partout : comment peut-on prendre à la légère le processus conduisant à l’octroi du certificat de conformité à un produit de grande consommation tel que l’huile végétale raffinée ? Quel crédit accorder aujourd’hui au processus de certification de conformité à la norme de l’Anor ? Comment le processus de normalisation, en vue de la modernisation de l’économie camerounaise, mis en œuvre depuis 2011, va-t-il pouvoir connaître une accélération significative si les responsables de l’Anor affichent pareille complaisance et une telle duplicité ?
Pourtant, le gouvernement, par l’entremise de l’Anor, entend poursuivre la politique de normalisation de son tissu industriel. L’objectif, à long terme, étant de faire du Cameroun un pays émergent où les normes ont un réel impact sur la croissance économique. Et dans cette perspective, depuis 2011, le gouvernement, après concertation avec les différents acteurs et administrations du secteur d’activité, a décidé que seules les huiles végétales raffinées conformes à la norme NC 77 2002-03, Rev.1 (2011) peuvent être commercialisées sur le marché national.

La santé du consommateur en danger. Le Sg de l’Asroc se veut catégorique quant à l’aspect nocif, pour la santé des consommateurs, des produits certifiés par l’Anor : «Toutes les mentions mettant en danger la santé des consommateurs (huile pour assaisonnement, friture et cuisson) figurent sur les étiques apposées sur les différents conditionnements de cette huile.» Et M. Kemleu Tchabgou d’ajouter : «La margarine ‘’Jadida’’ produite à base du soja ne doit pas être utilisée pour la pâtisserie (croissant, pain au chocolat, gâteau tout court) ou toute autre cuisson, car elle devient, à haute température autant que l’huile de soja, cancérigène.»
Plus grave, ajoute-t-il, «des études récentes ont montré qu’à haute température, l’huile de soja, en plus de présenter des risques cardiaques, de diabète et de cancer, pourrait également conduire à la stérilité de l’homme». D’ailleurs, les résultats de la contre-expertise commise par les services du Premier ministre, suite à sa saisie par les responsables de l’Asroc, ont relevé sur un échantillonnage de l’huile incriminée des indices d’acide et peroxyde largement supérieurs à ceux prescrits par la norme en vigueur. Bien plus, dans sa campagne de sensibilisation des consommateurs actuelle sur la qualité des huiles végétales raffinées présentes sur le marché, l’Asroc déconseille la consommation de trois autres marques d’huiles végétales : Collina d’Oro (huile de maïs), Olitalia (huile de tournesol) et Tanty (huile d’arachide vierge extra). Il est à relever que la plupart de ces produits oléagineux sans logo d’enrichissement en vitamine A sont issus de la contrebande.

Autre forfaiture
Les raffineurs camerounais, regroupés au sein de l’Asroc signalent, pour le stigmatiser, qu’ils ont accepté d’apporter un appui multiforme à l’Anor afin de faciliter l’installation de leur antenne de Douala, principale porte d’entrée du pays, dans l’objectif de jouer efficacement leur rôle et accomplir pleinement leurs missions de protecteur de la qualité des huiles végétales raffinées, mises à la disposition du consommateur. Dans cette logique, l’Asroc affirme avoir «alloué 10 millions de francs Cfa par chèque à l’Anor» au titre d’un soutien citoyen pour l’installation de son antenne de la métropole économique. Jusque-là, rien n’a été entrepris dans ce sens par cet établissement public administratif. Allez donc savoir pourquoi le Dg de l’Anor ne voudrait pas voir réaliser le projet initié par l’Asroc !
En rappel, créée par décret présidentiel du 17 septembre 2009, l’Anor est en charge de l’élaboration et de l’homologation des normes, de l’évaluation de la conformité et de la certification, de la promotion des normes et de la qualité, du suivi de la coopération avec les organismes internationaux et les Comités spécialisés.

Pierre Amougou

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