Cameroun – Enseignement supérieur: Les doctorats professionnels de la discorde

Université de Soa

Jamais sujet n’aura cristallisé autant l’attention de la communauté universitaire nationale depuis l’adoption du système Lmd en mars 2006, et sa mise en œuvre progressive les années suivantes, comme ces doctorats professionnels ouverts à la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’université de Yaoundé II-Soa, depuis le début de l’année académique en cours). Sur le banc des accusés, le ministre de l’Enseignement supérieur (Minesup) et le doyen de la Fsjp de cette université, sont soupçonnés d’avoir institué un diplôme qui n’aurait « pas de fondement juridique », « aucune pertinence sociale dans le contexte camerounais », et pire, d’un mercantilisme dont la conséquence serait la dévaluation du doctorat. Mutations a tenté dans la présente somme de faire la lumière sur cette affaire.

Les faits
Lorsqu’il se rend début janvier dernier au Palais des congrès pour participer au lancement officiel des doctorats professionnels ouverts depuis peu à la Faculté des sciences juridiques et politiques (Fsjp) de l’université de Yaoundé II-Soa, le ministre de l’Enseignement supérieur, Jacques Fame Ndongo, est tout sourire. « Le Cameroun est avant-gardiste à l’échelle de la sous-région, dans la mise en œuvre des doctorats professionnels ! », se vante alors le chancelier des ordres académiques. Le Minesup qui n’hésite d’ailleurs pas à inviter les Camerounais à s’y inscrire massivement, ignore t-il seulement qu’au sein du microcosme des universitaires, l’avènement des doctorats professionnels est loin de faire l’unanimité ? Rien n’est moins sûr.
De fait, les 18 et 19 mars dernier, le même Jacques Fame Ndongo va convoquer des « assises nationales sur le cadrage académique de la professionnalisation des enseignements universitaires au Cameroun ». Un prétexte en réalité, pour discuter notamment des bases juridiques des fameux doctorats professionnels à l’origine des passes d’armes et autres dithyrambes à peine feutrées entre enseignants, voire entre chefs d’institutions universitaires. De nombreux témoignages concordants attestent d’ailleurs qu’au cours de la plénière d’ouverture de ce conclave scientifique, le recteur, Oumarou Bouba et le doyen de la Fsjp de l’université de Yaoundé II, Magloire Ondoa, se sont invectivés sous le regard médusé du Minesup.
C’est que le sujet passionne autant qu’il divise. « Ces doctorats professionnels n’ont aucune base juridique », s’insurgent certains universitaires désormais étiquetés « conservateurs », par les défenseurs de ce diplôme. L’illégalité ainsi dénoncée découlerait des directives Cemac du 11 mars 2006. Selon l’article 20 de ce texte communautaire, « les études doctorales sont une formation à et par la recherche qui conduisent, après l’obtention préalable d’un master recherche ou d’un diplôme d’études approfondies (Dea), au diplôme de doctorat délivré à la suite de la soutenance d’une thèse ». L’article 21 des mêmes directrices Cemac, dispose en outre que « sont autorisés à s’inscrire à la préparation du doctorat, les candidats titulaires d’un master recherche, ou d’un Dea, ou de tout autre titre reconnu équivalent et correspondant à la filière et à l’option envisagées.». En clair, clament les pourfendeurs de ce sésame, en l’état actuel de la législation en vigueur, « ces diplômes n’ont pas de fondement juridique ».
« Faux ! », rétorquent les défenseurs du doctorat professionnel à la sauce camerounaise. Ces derniers invoquent la loi du 16 avril 2001, portant orientation de l’enseignement supérieur. L’article 15 dudit texte précise que « le troisième cycle est un niveau de formation à la recherche et par la recherche, qui comporte la réalisation individuelle ou collective de travaux scientifiques originaux. Il comprend des formations professionnelles de haut niveau intégrant en permanence les innovations scientifiques et techniques ». Insuffisant, avancent les adversaires qui convoquent le sacro-saint principe de « la hiérarchie des normes juridiques. Les directives Cemac de 2006 étant supranationales, la loi d’orientation de 2001, ne peut justifier une telle imposture académique et légale », fulmine sous cape un enseignant de l’université de Yaoundé II.
Pour cet universitaire, « le problème de fond n’est pas tant la raison d’être de ces doctorats professionnels, mais qu’ils aient été institués au mépris du débat académique préalable », ajoute t-il. Et de poursuivre : « Savez-vous que l’avis du conseil d’université qui est l’instance suprême concernant tout ce qui est académique, n’a même pas été requis ? », regrette notre interlocuteur qui renseigne au passage que « le doyen a géré directement ce dossier avec ministre ».
Approché par votre journal le 06 avril dernier, le Minesup après moult relances, accepte dans un premier temps (samedi dernier) de répondre à nos questions, avant de se débiner le lendemain. Son chef de service de la communication, Jean-Paul Mbia, nous expliquera avec une courtoisie teintée de gêne, que « le patron a marqué son accord, mais qu’il a chargé le doyen de répondre à vos préoccupations ». Fort bien. On s’en contentera. Il n’est néanmoins pas superfétatoire de noter que l’attitude du Minesup – dilatoire à souhait – trahit un embarras pour le moins manifeste au sujet de ces doctorats professionnels de la discorde. Dommage. Car les explications du chancelier des ordres académiques auraient peut-être permis aux Camerounais de mieux comprendre la portée socio-économique de ce diplôme dans un contexte national, où les titulaires des licences et masters professionnels peinent déjà à trouver un emploi. Faut-il rappeler que selon des statistiques glanées auprès du Minesup, le taux d’insertion des étudiants dans le monde professionnel est de 4,3% ?
Entre-temps, généraux, commissaires et autres hauts cadres de l’administration camerounaise trouvent en ces doctorats dits professionnels une aubaine pour esperer se voir servir le titre ronflant de Docteur…

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