Cameroun – Godfroid Ondoua Ella: La guerre de la 4G relève plus du prestige

L’ingénieur principal des travaux des télécommunications dit tout le scepticisme que lui inspirent les sorties de Mtn et Orange.
Depuis quelques jours, il y a comme une sorte de guerre de la 4G entre Orange et Mtn. En tant qu’expert des travaux de Télécom, le Cameroun peut-il aujourd’hui se targuer d’être arrimé à cette nouvelle technologie ? Si oui qui de ces opérateurs a réellement effectué ce passage tant revendiqué ?
Je crois que la «guerre» à laquelle vous faites allusion est beaucoup plus une affaire de prestige qu’autre chose car, du moment où on ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un abonné se désabonne du réseau d’un des opérateurs concernés, pour aller s’abonner au réseau du concurrent, sous le seul prétexte que ce dernier aurait eu quelques minutes d’avance sur l’autre dans le lancement de la 4G, il n’y a pas de raison qu’on accorde beaucoup d’intérêt à ce qui en réalité s’avère n’être qu’un détail sans grande importance.
Le Cameroun peut-il se targuer d’être arrimé à cette technologie ? Pourquoi pas, répondrions-nous car, du moment où le gouvernement a apparemment décidé de leur en faire cadeau, en la leur attribuant au franc symbolique tel que l’a fait l’ex-ministre des Postes et Télécommunications Biyiti bi Essam, il est tout à fait normal que lesdits opérateurs qui, manifestement ne savent pas qu’en procédant tel qu’ils déclarent l’avoir fait, ils commettent une erreur monumentale qui, à l’avenir, pourrait s’avérer lourde de conséquences pour leur propre survie, étant entendu qu’il ne serait pas très avisé pour un opérateur, quel qu’il soit, de courir derrière la technologie, le déploiement à contretemps d’une technologie dans son réseau pouvant, tôt ou tard, se retourner contre lui.
Cela dit, si j’en crois les déclarations d’un haut responsable de Orange Cameroun sur la chaîne Équinoxe Tv, la performance de son réseau dépendra de la bande passante que le Régulateur voudra bien lui accorder, ce qui, il faut le dire, est tout à fait vrai.
Toutefois, au-delà de cet aspect purement technique, ce que nous retenons de ladite déclaration, c’est que ledit opérateur se sera contenté de ne déployer qu’une seule porteuse pour commencer – ce qui correspond à une largeur de spectre de 5 MHz – en attendant de savoir à quelle largeur de bande il a en réalité droit, à la suite de l’attribution tout aussi inopportune que contreproductive faite par le ministre Biyiti Bi Essam sus évoquée.
A noter que Mtn déclare avoir déjà enregistré ses 15.000 premiers abonnés 4G, pendant que Orange déclare que son réseau est, lui aussi, déjà opérationnel et ce, en dépit des dénégations du directeur technique de l’Agence de régulation des télécommunications (Art) dans Cameroon Tribune, ce qui peut laisser supposer que le Régulateur a été pris de court dans cette affaire. Dans tous les cas, just wait & see !

Avant même de parler de la 4G, peut-on vraiment reconnaître que les Camerounais bénéficient des avantages supposés présentés par un réseau 3G digne de ce nom ? Si non comment expliquez cette supercherie ?
Oui, parce que les opérateurs ont tous effectivement déployé la 3G, en privilégiant toutefois les localités dans lesquelles ils estiment que la clientèle potentielle est suffisamment importante, pour leur permettre de réaliser le retour sur investissement dans des délais viables car, faut-il le préciser, il ne s’agit point ici de philanthropie. Non, parce que les avantages de la 3G auxquelles vous faites allusion dépendent étroitement de la version de la 3G qu’ils auront choisi de déployer.
A titre indicatif, il existe plusieurs versions de la 3G, dans la filière Gsm qui concerne les opérateurs Mtn, Orange et Nexttel. Il s’agit en réalité, pour celles ayant déjà fait l’objet d’une mise en œuvre ailleurs, des versions ci-après : WCDMA rel.99, qui permet de faire des téléchargements et des envois de fichiers en ligne d’une vitesse pouvant monter jusqu’à 384 kilobit/s ;HSDPA rel.5, qui permet de faire des téléchargements d’une vitesse pouvant monter jusqu’à 1,8 – 14,4 mégabit/s, et des envois de fichiers en ligne pouvant aller jusqu’à 384 kilobit/s ; HSUPA Rel.6, qui permet de faire des téléchargements d’une vitesse pouvant monter jusqu’à 1,8 – 14,4 mégabit/s, et des envois de fichiers en ligne pouvant aller jusqu’à 5,7 mégabit/s ; HSPA+ Rel.7, qui permet de faire des téléchargements d’une vitesse pouvant monter jusqu’à 21 – 28 mégabit/s, et des envois de fichiers en ligne pouvant aller jusqu’à 11 mégabit/s ; HSPA+ Rel.8, qui permet de faire des téléchargements d’une vitesse pouvant monter jusqu’à 42 mégabit/s en combinant deux (02) porteuses de 5 MHz chacune, et des envois de fichiers en ligne pouvant aller jusqu’à 11 mégabit/s.
A noter que les débits sus évoqués sont purement théoriques, aucun terminal (portable, tablette, modem, etc.) n’ayant réussi à les atteindre dans le monde réel. Cela n’empêche pour autant pas les opérateurs d’en user, et même d’en abuser, dans des publicités mensongères que seuls les désagréments constatés par la clientèle permettent de mettre en évidence.
Par ailleurs, la ressource étant partagée, non seulement le nombre d’abonnés pouvant se connecter simultanément sur une même porteuse/sectorielle est en réalité limité, mais en outre, les débits dont sont susceptibles de bénéficier les abonnés diminuent progressivement au fur et à mesure que de nouveaux abonnés se connectent, au point de leur donner la désagréable impression qu’ils ne sont pas réellement connectés sur un réseau 3G, alors qu’il s’agit tout simplement là des limites inhérentes à la technologie utilisée.
Cela dit, comme vous pouvez vous-mêmes le constater, les opérateurs Gsm nationaux ont peut-être déployé la version WCDMA rel.99 (débits descendants de 384 kbit/s), voire la version HSDPA Rel.5 (Débit descendant de 1,8 Mbit/s, et débit montant d’envoi de fichiers en ligne de 384 kbit/s), pour ceux qui prétendent avoir déployé la 3G+. Le gouvernement n’aurait pas commis la monumentale bévue qui consistait à leur attribuer prématurément la 4G, pour des raisons inavouées et même inavouables, qu’ils auraient été contraints de déployer les versions subséquentes de la 3G.
Ce faisant, tout le monde – à savoir l’Etat, les opérateurs et les consommateurs – aurait été gagnant, et l’économie de notre pays aurait pleinement profité des possibilités multiples offertes par la 3G qui, soit dit en passant, a toutefois de nombreuses limites que lesdits opérateurs tentent d’esquiver, en déployant à contretemps la 4G, à leurs risques et périls, car la possibilité pour eux de revenir ensuite déployer les versions subséquentes de la 3G, une fois la 4G déployée, peut être considérée comme marginale.
Il convient en effet de souligner que, jusqu’à une largeur de spectre de 10 MHz – ce qui correspond à deux (02) porteuses 3G – les performances de la 4G sont sensiblement identiques à celles de la 3G en version HSPA+ Rel.7. Alors, plutôt que de devoir parcourir toutes les étapes subséquentes de la 3G sus évoquées, les opérateurs préfèrent, pour minimiser l’ampleur des investissements, passer directement à la 4G, surtout quand la possibilité leur est gracieusement offerte comme dans le cas de notre pays. En réalité, à largeur de spectre inférieure ou égale à 10 MHz, le seul véritable avantage dont dispose la 4G sur la 3G, c’est la réduction du temps de latence, à savoir le temps que met le réseau pour répondre à la requête de l’abonné.

Est-il possible que ces deux opérateurs de téléphonie mobile aient la 4G alors même que Camtel, qui leur cède la fibre optique, ne répond pas encore à cette technologie ?
En réalité, la vitesse à laquelle ils déploient des technologies dans leurs réseaux respectifs n’est en rien tributaire de la vitesse d’évolution du réseau fixe ou mobile de Camtel, les capacités que leur cède cette dernière se limitant au niveau du réseau de transport, qui n’a rien à voir avec le réseau Mobile, hormis le fait de transporter, justement, la bande passante dont ce dernier a besoin pour desservir sa clientèle.
Cela dit, ce qui est valable pour les opérateurs Gsm, à savoir qu’il est contreproductif de procéder à un déploiement tout aussi précipité que prématuré de la 4G, l’est aussi pour des opérateurs Cdma tels que Camtel, même si cette dernière est aussi, à son corps défendant, en train de déployer la 4G dans son réseau depuis plusieurs mois déjà, une énième bourde de David Nkoto Emane qui ne manquera pas d’enfoncer davantage cette entreprise publique dont le pronostic vital est déjà sérieusement engagé dans l’abîme.  

Qu’est-ce qui, selon vous, justifie les interminables perturbations de réseau qu’endurent au quotidien les Camerounais dans leurs communications téléphoniques ?
Les perturbations relatives aux connexions à Internet ont déjà été expliquées plus haut. En ce qui concerne les communications vocales, les désagréments enregistrés à ce niveau proviennent aussi des limites inhérentes à la technologie 2G/Gsm utilisée principalement pour les communications vocales, et aussi à celles des capacités additionnelles que les opérateurs rendent disponibles en matière de communications vocales à travers la 3G, et qui ont pour conséquences d’être insuffisantes pour compenser les manquements du Gsm, tout en minimisant davantage les capacités offertes par la 3G en termes de connexions data (Internet, vidéo-à-la-demande, etc.).

Pour nombre de Camerounais, notre pays n’est même pas encore arrimé à la 3G. Et que parler de la 3G à l’état actuel est une véritable mascarade. Qu’en dites-vous ?
La réponse à cette question a déjà été donnée plus haut. La 3G est bel et bien là, mais seulement dans ses versions les plus rudimentaires. Et le fait pour les opérateurs de lancer prématurément la 4G n’est pas de nature à les encourager à déployer les versions subséquentes de la 3G. Les premiers perdants, dans cette affaire, ce sont l’Etat et les consommateurs.

Quelles sont, d’après vous, les impertinences contenues dans le processus du renouvellement des licences des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun ?
Je ne suis pas sûr que le terme impertinence soit celui qui convient pour décrire ce que le ministre Biyiti Bi Essam a réalisé dans cette affaire, en prenant sur lui de sacrifier les intérêts vitaux de notre pays sur l’autel de quelques intérêts égoïstes. A noter que cette affaire extrêmement grave a déjà été, par mes soins, portée à l’attention du Tcs, auprès duquel j’ai formellement dénoncé monsieur Biyiti et ses complices, entres autres pour violations récurrentes de la loi régissant les communications électroniques au Cameroun, bradage des licences de téléphonie mobile, etc.
Dans un pays comme le nôtre, où le rythme d’endettement de l’Etat est on ne peut inquiétant, il est tout simplement inconcevable que quelques individus sans scrupules se permettent de brader le patrimoine national qui, ailleurs, constitue une source essentielle de recettes pour l’Etat, pour qu’en contrepartie, ce dernier continue de paupériser davantage les pauvres populations à travers toutes sortes de taxes, tout en continuant de s’endetter de manière totalement hallucinante, toutes choses de nature à exposer notre pauvre pays à un sort similaire à celui actuel de la Grèce.
En réalité, ce que l’on peut en tirer en termes de bénéfices de divers ordres dépend essentiellement de l’implémentation qu’en font les opérateurs, tel qu’expliqué plus haut.
Dans la pratique, les pays avisés ont tous attendu que les opérateurs déploient la 3G jusqu’à la version HSPA+ Rel.7, avant de leur céder la 4G qui, dans ce cas, vient uniquement en complément de la 3G et ce, principalement dans les zones urbaines denses, là où l’on peut raisonnablement estimer que les capacités offertes par cette dernière technologie sont devenues insuffisantes, pour pouvoir satisfaire toutes les demandes en matières de connexions data.
Cela dit, jusqu’à une largeur de spectre de 10 MHz par opérateur, le principal avantage de la 4G sur la 3G réside au niveau de la minimisation du temps de latence, tel qu’expliqué plus haut, un avantage qui permet d’élargir le nombre d’applications que l’on peut utiliser sur un réseau 4G, tout comme d’augmenter le volume des fichiers que l’on peut transmettre en ligne dans des délais relativement courts.
À noter, pour terminer, que la 4G, tout au moins pour l’instant, se comporte comme un réseau indépendant, que l’opérateur vient superposer au réseau 2G/3G existant, contrairement à l’interfonctionnement que l’on pourrait considérer comme harmonieux entre la 2G et la 3G. En outre, pour le moment, la 4G ne permet que de faire des connexions data, les appels vocaux étant uniquement gérés par les sous-réseaux 2G et 3G.

Pierre Amougou

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