Cameroun – Opinion: Le Cameroun est-il bamiphobe ?

En dépit du silence assourdissant que beaucoup voudraient créer autour d’elle, la question du tribalisme est l’un des principaux problèmes de notre pays.[pagebreak]Persuadées d’être plus patriotes que tout le monde, des ineptes tirent à boulets rouges sur quiconque évoque ce sujet. Le foisonnement d’ethnies qui constituent notre pays est devenu une menace réelle pour ce dernier. Les symptômes du tribalisme sont visibles partout mais pas par tous malheureusement. S’il est vrai qu’au Cameroun, il existe des clichés collés à chaque groupe ethnique, force est de constater que les Bamiléké détiennent le record absolu du nombre de stéréotypes, négatifs pour la plupart. Inutile de chercher à savoir si ces clichés sont fondés ou pas, je vous laisse le soin de juger vous-mêmes de leur ridiculité. Les Bamilékés seraient sales, méchants, égoïstes, solidaires uniquement entre eux, hypocrites, tribalistes, malhonnêtes, voleurs, népotistes, fraudeurs, âpres au gain, sorciers… Certains vont jusqu’à nier le dynamisme des « Bamis ». Leur « pseudo-puissance » économique n’est, selon eux, que le fruit de leurs pratiques mystiques tel le « mukuagne » dont ils sont les maitres incontestés. Ils seraient nuls en musique, nuls en politique, mais excellents en corruption ; ils se marieraient exclusivement entre eux. Aussi, les « Bamis » ne sauraient-ils « pak-ler » français. Ne vous étonnez donc pas de ce que les journalistes ressortissants de l’Ouest soient moins présents sur les plateaux de la CRTV que sur celles des « chaines d’opposition ». La « treizième tribu d’Israël » (Exode 1 : 9-10) est indéniablement victime de haine et de jalousie. Tous les prétextes sont bons pour justifier le fiel contre les « Bams », « car dans le cœur des envieux et dans les yeux des incapables, la réussite te rend coupable » ! Je ne vais pas m’enfermer dans l’opposition Bami/Béti qui est, parait-il, très à la mode, vu que la bamiphobie dépasse bel et bien les frontières du « pays organisateur ». Ainsi, toute la littérature de haine contre les Bamiléké se résume en ceci : le bien, les Bamiléké le font mal, mais le mal ils le font bien.

Pour ce qui est de la gestion du pays en général, je pense que les Bamiléké ne sont pas les seuls frustrés. Les ressortissants du Grand Sud ont confisqué la gestion du pays et bénéficient d’une interminable série de privilèges ; lesquels sont paradoxalement révélés dans Les paradoxes du pays organisateur. Les Bamiléké constituent de par leur nombre, le plus grand groupe ethnique du Cameroun, et leur hégémonie économique et intellectuelle est incontestable et reconnue au-delà de notre pays. Cette triple puissance aurait-elle entrainé une phobie chez les autres Camerounais ? Cette question mérite bien d’être posée, car aucun autre groupe ethnique ne subit autant de haine. Ce serait archi faux de dire que les Bamiléké sont les seules victimes du tribalisme ou de laisser croire qu’aucun Bamiléké n’est tribaliste. De même, je ne saurais nier l’amour que nous porte bon nombre de compatriotes, bien qu’originaires d’autres ethnies, ceux-là qui te saluent en abhorrant un sourire sincère, car contents de rencontrer un autre compatriote, un frère, et non un « envahisseur » menaçant leur « espace vital ». Ils constituent la preuve que nous pouvons vivre dans une paix et une harmonie véritables. Tous les groupes ethniques du Cameroun sont victimes, dans une certaine mesure, du tribalisme. Cependant, en regardant avec un iota d’objectivité, il est évident que le cas des « ngrafi » est spécial ; d’où la pertinence, à mon sens, du concept « problème bamiléké ».

Le régime « Mbiya » est foncièrement bamiphobe et cette bamiphobie se manifeste tant dans l’infinitésimale représentativité des « westerns » au gouvernement, que par des politiques de plus en plus discriminatoires que le régime met sur pied. En réalité, on ne saurait parler de bamiphobie sans mentionner la fameuse politique de l’équilibre régional que « Mbiya » a bien fait d’appliquer partout, excepté dans son propre gouvernement. Cette politique est tellement juste et efficace qu’on devrait peut-être l’appliquer dans le sport, notamment lors des sélections de nos Lions indomptables. Imaginez que, pour chaque match à livrer, on ait dix représentants des dix régions parmi les onze entrants, le onzième joueur et le coach pourraient être des expatriés pour qu’il n’y ait pas la moindre injustice. Ce serait formidable, n’est-ce pas ? Personne n’oserait se plaindre, et le Cameroun remporterait certainement la coupe du monde ! Pour ce qui est des concours d’entrée dans les grandes écoles, la politique de l’équilibre régional viserait, dit-on, une discrimination positive en faveur des ressortissants du Grand Nord, sans doute plus « idiots » que ceux des autres régions. Cependant, on a de bonnes raisons de penser que cette politique vise surtout à « remédier » au succès spectaculaire des « westerns » dont la flagrante domination, aussi bien lors des examens nationaux que lors des concours, inquiète plus d’un. L’équilibre régional est certainement l’un des plus grands dangers pour notre pays, car une telle politique renforce l’identité ethnique ou régionale, aux dépens de l’identité nationale. Cette politique nous rappelle sans cesse que nous sommes d’abord Bassa ou Bulu avant d’être Camerounais et, par conséquent, elle promeut le tribalisme qu’elle est censée contrer. Aujourd’hui, on est reçu à un concours d’entrée dans une grande école, pas parce que on le mérite, mais parce qu’on est Bassa ou Eton.

La bamiphobie transparait dans les thèses du Professeur Hubert MONO NDJANA sur l’ethnofacisme. Celles-ci brillent tant par leur manque de cohérence et de pertinence que par la haine à peine voilée qu’elles véhiculent contre une communauté dont le seul crime est de disposer d’une supériorité; notamment numérique, intellectuelle et économique. En outre, les propos de M. Amadou Ali, alors Vice-Premier ministre, ministre de la Justice et Garde des Sceaux, révélés par Wikileaks auraient dû lui coûter au moins son poste dans le gouvernement, mais au Cameroun, punition rime avec promotion. Aujourd’hui, cet individu est, en toute quiétude, Vice Premier ministre, ministre chargé des Relations avec les Assemblées. Par ailleurs, lorsqu’on a appris que Mgr TONYE BAKOT, Grand Chancelier de l’UCAC (l’Université Catholique d’Afrique Centrale), avait, dans une lettre adressée au Doyen de la faculté des sciences sociales et de gestion de cette institution, exprimé son inquiétude quant au nombre « trop élevé » d’étudiants et d’enseignants Bamiléké, on s’attendait à ce que la condamnation de cet acte soit unanime. Hélas! la vive polémique suscitée s’est très vite recentrée autour de la question de savoir si le Doyen aurait dû rendre publique une correspondance interne. Personne n’a oublié les circonstances troubles du décès de Mgr André WOUKING dont la nomination à la tête de l’Archidiocèse de Yaoundé avait suscité des actions et des réactions extrêmement et manifestement bamiphobes. Comment oublier un message comme « Pas d’archevêque Bamiléké à Yaoundé », lu sur les plaques des haineux qui avaient très mal accueilli le fait que la gestion de « leur archidiocèse » soit confiée à un « ngrafi ». On n’oublie non plus le fameux « les Bamiléké ont tout et volent tout » du Général Asso’o. Qui nierait le caractère interethnique des émeutes qui ont suivi le meurtre d’Éric MONEY à Deïdo en décembre 2012. Certains Sawa de ce quartier avaient cru trouver une brèche pour assouvir leur haine en perpétrant un lynchage de Bamiléké. Partager des origines avec un meurtrier fait-il de toi son complice ? Des boutiques appartenant aux « ngrafi » ont été pillées. De tels évènements auraient dû tirer la sonnette d’alarme.

Personne n’est dupe. Le sentiment de rejet est réel. Je n’ai pas besoin de lire Sindjoun POKAM pour savoir que le nom que je porte me portera peut-être préjudice demain. Je n’ai non plus besoin de lire M. NGANANG pour me rendre compte de ce que très peu de « westerns » occupent les postes stratégiques tant dans le gouvernement que dans entreprises publiques et les unités administratives. Ce n’est pas en lisant Les bamiléké au Cameroun: Ostracisme et sous-développement de Thomas TCHATCHOUA que l’on découvre que la région de l’Ouest est ignorée dans les principaux projets infrastructurels, ou que Bafoussam a beaucoup à envier aux autres capitales régionales. En général, au Cameroun, tes origines déterminent ton destin. Elles expliquent certaines promotions sociales. Sinon, comment expliquer qu’un « Tchoffo » décide de devenir « Owona » ou « Awono » ? Combien sont partis du pays parce que le nom qu’ils portaient avait bloqué l’ascenseur social ? Combien changent de nom pour débloquer cet ascenseur ?

Le choix des Bamiléké à propulser au-devant de la scène politique camerounaise est curieux. Le Rdpc refuse de servir de tremplin aux « ngrafi » : rdpcistes le jour, opposants la nuit. De toute évidence, ceux des « bams » qui sont mis en avant servent à entretenir l’idée reçue selon laquelle les Bamiléké sont nuls en politique et par conséquent, ils ne sauraient accéder à la magistrature suprême. Les politiciens « westerns » du Rdpc, les plus en vue sont des gens sur qui ont aurait du mal à parier pour une brillante carrière politique. Je ne mentionnerai pas maman Fogning, papa Kuete ou paa Niat, que beaucoup attendaient plus à Nkondengui qu’à la tête du Sénat. De même, beaucoup n’ont pas digéré que l’UdM (Université des Montagnes) de Bangangté ravisse la vedette aux autres institutions de formation médicale au Cameroun, et acquière, en si peu de temps, une si grande renommée nationale et internationale. En effet, depuis quelques années, l’État camerounais dresse des montagnes pour freiner l’épanouissement de l’Université des Montagnes qui a commis le même crime que l’UCAC : disposer de plus de Bamiléké au sein de ses effectifs. L’institut a beau dire que ses critères de recrutement sont objectifs et fondés sur le mérite, rien n’y est fait, les autorités sont décidées à pousser l’UdM à mettre la clé sous le paillasson. S’il est vrai que les coûts de formation sont au-dessus des moyens d’une famille camerounaise moyenne, force est de reconnaitre que le rapport qualité /prix est très bien équilibré en ce qui concerne la formation. Le Cameroun est sans doute le seul pays « démocratique » au monde où l’État fixe les frais de scolarité des institutions privées et leur impose des quotas ethniques. Allez savoir combien coûte une année à Harvard ou Oxford, même pour la moins prisée des filières. L’État américain impose-t-il des quotas raciaux pour créer un équilibre racial dans les universités comme Harvard où les Blancs dominent largement ? Logiquement une institution de formation privée dont les frais de scolarité sont exorbitants devrait tout simplement avoir de salles de classe vides. Pourquoi l’État s’acharne contre l’UdM ?

Mes origines vont peut-être trahir ma bonne foi, mais la bamiphobie est en plein essor au Cameroun. Il est fort regrettable de constater que certains « westerns » capitulent et cachent ou renient leur « bamilékétude ». L’objectif de ce billet n’est pas d’encourager les ressortissants de l’Ouest à combattre la haine par la haine, mais de faire comprendre qu’une guerre tribale menace notre pays et assombrit un peu plus notre avenir chaque jour qui passe. Il est inconcevable de penser que le Cameroun va émerger en excluant certaines de ses ethnies, à fortiori les Bamiléké. Il est irréaliste de croire que les Bamiléké seront éternellement mis de côté, car ceux qui ont une petite idée de la véritable puissance de ce groupe ethnique vous diront que le pouvoir politique finira par lui revenir. Qui peut combattre le naturel ? Rebuter les Bamiléké, ou tout autre groupe ethnique n’aidera personne. Au Cameroun, on confond très facilement pyromane et pompier. Aussi surprenant que cela soit, dénoncer le tribalisme dans notre pays fait de toi le pire des tribalistes. Quand on reviendra sur terre, peut-être il sera tard. Il est essentiel de repenser notre vivre ensemble, car si rien n’est fait, nous filons tout droit vers un conflit interethnique. La dénonciation de la bamiphobie ne saurait plus être casus belli que sa promotion. Notre pays n’est pas vacciné contre la guerre civile, et du jour au lendemain une MisCam (Mission des Nations unies au Cameroun) pourrait être déployée sur notre territoire pour mettre fin à un génocide longtemps programmé, tant les « Radio des Mille Collines » sont nombreuses dans notre pays. N’oublions pas, virtus Unita Fortior !

Correspondance: Innocent MEKUKO

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