Cameroun : Charles Ateba Eyéné était-il populiste? :: Cameroon

Le substantif « populaire » tiré de la racine de « populiste » renvoie en sociologie à l’idée de l’appartenance au peuple. Il fait appel à la statistique humaine dont la complexité dans la gestion peut aussi renvoyer à la notion de classe; notamment de classes populaires. Le terme populaire s’applique aux activités dont la notoriété et l’endogénéité sont établis et acceptés au près des masses humaines auxquelles elles s’adressent.
Ces activités peuvent se rapporter à l’économie ou à l’action citoyenne à travers le groupe. Or le discours économique dominant actuel et les différentes approches déterministes du développement qui ont droit de cité dans notre ère, entrevoient l’action des masses humaines sous un prisme peu laudatif. Chez Coraggio (1991), l’économie populaire n’a rien à voir avec l’accumulation du capital. Elle trouve son fondement dans la reproduction élargie de vie familiale. C’est un conglomérat d’activités tenues par des populations dans des secteurs où les rythmes de production et de reproduction sont questionnables du point de vue sociodémographique.

La participation populaire (action citoyenne) renvoie à la démocratie locale, à une sorte de juxtaposition collective des problèmes communautaires dont-on pourrait établir un lien avec les « besoins »; où les solutions résident dans le regroupement, où la consultation peut être synonyme de légitimation d’une décision où-même de manipulation de l’opinion public (Nunes, 2001). Le terme « populaire » pris sous les angles économique et politique pose le problème de la vulnérabilité qui impacte sérieusement le niveau de vie des gens, qui ont besoin d’encadrement pour se libérer des chaînes de la survie quotidienne.

Les concepts n’ont de valeur que par le contenu qu’on leur accorde. Ils sont fonctions de qui les manipule de qui détient le discours dominant et de qui contrôle la puissance publique. Tout discours qui prône le changement, pour peu qu’il s’inscrive dans la dialectique des classes, peut être taxé de populiste. La participation populaire est durable lorsqu’elle recherche la justice et l’équité. On peut donc à juste titre penser que, le contrôle du pouvoir soit le mobile expiatoire aux fins égoïstes.
Le populisme dans sa dynamique évolutive a épousé une approche péjorative notamment en politique. On a vu dans le paragraphe précédant que la participation populaire s’applique à des populations dont l’action publique est susceptible d’être systématisée comme caution à une programmation exogène. De ce point de vue, elle peut s’apparenter au populisme parce que déclenchée par une élite politico-économique qui a la puissance publique et qui agit dans l’intérêt du pouvoir central. Toute forme de participation instrumentale d’où qu’elle vienne peut s’apparenter au populisme.

Des « milieux populaires» où ont peut faire agir les gens aux grés des intérêts dans la construction de l’espace public, sont des milieux sensibles. Des milieux où se fait et se défait le jeu politique. Des milieux où on peut dire « allez voter pour le Roi… » on va voter pour le Roi. Et « revenez voter pour la République » on revient voter pour la République. C’est assurément ce pourquoi le commissaire Pierre Ela (2014) est un peu dubitatif sur le fait que la sous scolarisation qu’on observe dans le Grand-Nord depuis un demi siècle, ne soit pas une stratégie savamment pensée par le président Ahidjo pour mieux embrigader l’éclosion du savoir et conserver son pouvoir par la cooptation et la fabrication des élites.
C.A.E du haut de ses accointances avec les milieux de contrôle du jeu politique avait compris que tenir un discours centrifuge, pouvait prendre des connotations populistes, si on travaillait dans l’intérêt des préposés. C’est ce qui pourrait expliquer qu’il ait pris sur lui de toujours proclamer le pourrissement du reptile partout sauf par la tête. La grande haine était inévitable du moment où il avait reçu des codes de l’intérieur. Bien que ne pouvant prouver qu’il ait remis ses codes à l’ennemi, la problématique restait la même du moment où ces codes n’étaient plus essentiellement utilisés dans l’intérêt du groupe dominant.

…du Héros bergsonien au Héros « EYENIEN»

Le principe de la discipline du parti est un sacret-saint principe dans les associations à caractère politique. Il suppose pour espérer une carrière prometteuse, l’obligation de réserve et même de la compromission face à l’imposture et face à la transgression des lois que se sont dotés en toute liberté les membres. Le Cameroun vit une partie de son histoire où l’écart fait office pédagogique de loi. L’élite intellectuelle qui en de pareilles circonstances constitue la masse critique suffisante pour infléchir la courbe, a sombré dans une sorte d’envoûtement collectif, se limitant à accoler des qualificatifs à ceux qui osent au péril de leur vie.

C.A.E du haut de son altruisme s’est détaché de la masse moutonneuse, de ce que lui-même appelle « la trahison des griots » pour éclairer les lanterniers essentiellement issus du peuple d’en bas très cher à Jean Marc Ela. Il faut remonter à Pius Njawé pour voir en un Homme, un tel attachement à son peuple au point de banaliser sa propre vie et celle de son entourage.
Ceux qui ont véritablement pris cause et fait, sans calcul misanthrope ont eu un destin commun : exil endogène ou exogène, une mort foudroyante puis, récupération des obsèques. C’est peut-être pourquoi Pougala (2014), dans sa saine colère au cours de son hommage à C.A.E, parlait d’humilier par la brutalité dieu, à cause de son incompétence dans le choix des personnes à rappeler à lui, fût-il pour les détourner de la perversion.

CAE dans la dialectique haut-bas, est un homme d’en bas qui avait atteint une certaine hauteur qui aurait pu lui garantir à terme un avenir politique certain pour peu qu’il eût choisi le mutisme comme mode de fonctionnement. Il s’est rappelé quand-même d’où il venait et a décidé de garder et parfois de rompre l’équilibre au profit du bas.

Voilà ce qui faisait la spécificité d’un homme qui, dans la construction de l’espace public a allié les approches épistolaire et tribunicienne (Owona Nguini, 2014). C’est un intellectuel accompli dont l’obtention du doctorat, il nous semble, ne pouvait correspondre qu’à l’obéissance du culte camerounais du diplôme suprême seul droit de cité.

La problématique de la production scientifique en Afrique et au Cameroun en particulier, s’exprime beaucoup moins en terme qualitatif que par les mécanismes de diffusion et les capabilités intellectuelles réceptives des destinataires. Le niveau de démocratisation des fruits des réflexions, est contemporain à l’évolution globale de nos sociétés et surtout du caractère originellement exogène de la production qui logiquement précède l’évaluation endogène des réalités locales et par voie de conséquence la rupture.

Il y a un problème de réelle valorisation de la production scientifique que les politiques manipulent au gré de leurs intérêts, puis convoquent les Hommes de sciences non pas pour critiquer les choix qu’ils font pour un mieux être des populations, mais souvent et essentiellement pour justifier et convaincre, dans le seul but de renforcer le pouvoir. Les modèles et les dynamiques de constructions sociales sont dépassés. Visiblement, le changement par le politique est rouillé et bloqué. Cependant, la stratégie pour y sortir ne consisterait pas à inverser l’ordre des différentes approches déterministes du développement, mais d’intervertir les éléments constitutifs sans en soustraire aucun.

CAE nous enseigne qu’on peut, sans se départir du centre, renforcer la participation de la périphérie. Qu’on peut-même y aller chercher des codes qui permettent de mieux entamer la dialectique haut-bas sans l’enrailler totalement. L’approche « Bottom-Meddle-Up » (vice-versa), suppose donc que l’intellectuel serve d’interface entre les deux entités.
Cela dit, il devient difficile de penser qu’un chef-d’œuvre comme « la crise du Muntu ou le Muntu problématique » aurait moins contribué à éveiller les consciences que « l’aventure ambiguë » si on l’avait eu au programme dans nos lycées et collèges. La diffusion de l’information doit être consubstantielle aux réalités endogènes de nos sociétés dont parle le savant Mbog Bassong. Il importe à nos penseurs de s’en accommoder s’ils souhaitent s’inscrire dans l’ordre des peuples plutôt que dans l’ordre des choses.

La recherche dans son étymologie vise le bien-être de tous et non de certains. Il devient illusoire, dans un environnement patrimonialiste comme le nôtre, de penser que nos politiques savent encore agir pour l’intérêt général. D’où l’urgence de tenir compte du niveau de réceptivité selon l’échelle sociale. Ceux qui n’ont pas de quoi s’acheter des livres seraient de façon associative les moins réceptifs aux diffusions universitaires de masse. Cependant, on aurait plus de chance de les retrouver devant un poste récepteur ou téléviseur. Tout simplement parce que c’est le seul acquis du moment.

Renforcer le niveau et la qualité de la participation de ces gens, exige surtout qu’on sache utiliser des codes communicationnels qu’ils reconnaitront. Le populisme ne peut plus dès cet instant être défini comme le fait de prendre fait et cause pour les « Hommes du sens commun », le fait de leur montrer où se trouvent les véritables enjeux du développement. Le populisme est plutôt, une construction politico-intellectuelle d’une certaine classe qui, dans sa logique conservatiste puise essentiellement ses ressources dans d’autres classes; notamment dans celles les plus vulnérables, sans s’en préoccuper réellement du devenir. C’est aussi une arme intellectuelle pour disqualifier de la construction de l’espace public tout ceux qui conscients des enjeux font le chemin inverse.

CAE est un intellectuel-citoyen qui, au-delà de se mêler de ce qui ne le regarde pas (comme disait J.P. Sartre définissant l’intellectuel) a décidé de ne pas réserver ses conclusions aux seules masses critiques savantes le temps d’une diffusion classique jugée inopérante au demeurant. C’est un intellectuel-citoyen qui a dépassé l’effort humain au profit de tous et de chacun. Son engagement citoyen est un humanisme, une philanthropie mieux un altruisme, seul trait caractéristique des hommes du sixième jour.

C’est le modèle du militant « sac au dos » qui fait oublier à tous ceux qui s’engagent en politique au Cameroun l’absence des « écoles des cadres », parce que lui-seul en constituait une. Par son action il a entretenu en chaque jeune Camerounais l’espoir d’un avenir meilleur, la vigilance et la prudence face aux comportements non-éthiques contemporains.

Correspondance de : Bangmo Narcis Ulrric

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *