Joseph Vincent Ntuda Ebode: « Le Cameroun a déjà anticipé des attaques kamikazes »

Ce spécialiste des questions de défense et enseignant à l’université de Yaoundé II-soa explique la résurgence des attaques de boko Haram qui mise désormais sur les attentats à la bombe.
Les autorités tchadiennes voient la main de boko Haram derrière les attaques kamikazes qui ont récemment ensanglanté la ville de ndjamena. Partagez-vous cet avis ?
L’identité des personnes qui ont frappé les commissariats de sécurité publique de Ndjamena, le mode opératoire de ces derniers, leurs vêtements sont autant de trait qui les rapprochent de l’identité de Boko Haram. Depuis un certain temps, cette secte ne revendique pas toutes ses actions parce que l’accès aux moyens d’informations pouvant leur servir de propagandes s’amenuise.
Je suis donc du même avis que les autorités tchadiennes. C’est d’ailleurs le même type d’attaques qu’on a vu au Nigeria et au Niger. En fait, pendant au moins six à sept mois, Boko Haram a bénéficié d’un territoire et d’une logistique qui le rendait capable de manœuvrer comme un Etat. La situation n’est plus la même depuis que Boko Haram est l’objet d’un encerclement et que la secte subit des attaques simultanées du Tchad, du Niger et du Nigeria.
Les membres de Boko Haram sont donc devenus de vulgaires bandits, qui se séparent et se réunissent pour agir. Il leur est difficile de se constituer comme une unité véritable pour revendiquer une action car le risque de se faire identifier est grand.

Poussé dans ses retranchements comme vous l’expliquez, doit-on comprendre que Abubakar shekau, le leader de boko Haram, est obligé d’avoir recours aux attaques kamikazes comme à ndjamena ?
La première chose qu’il faut comprendre c’est que nous sommes en guerre. Nous ne devons donc pas être surpris des offensives de l’ennemi et de ses incursions dans nos frontières. C’est naturel à partir du moment où la guerre a été déclenchée. La capacité de nuisance conventionnelle de Abubakar Shekau a été réduite à néant en raison du fait qu’ il n’a plus de capacité territoriale pour stocker son matériel, pour s’entrainer et pour lancer des assauts. Ce qui lui reste actuellement c’est des moyens de faire des incursions ou de faire exploser des kamikazes par des bombes.

il y a donc lieu de craindre une action à la bombe sur le territoire camerounais ?
Lorsqu’un pays déclare la guerre, il passe en alerte maximale. La question de savoir s’il doit rester en alerte ne se pose même pas. Le Cameroun, qui est au front avec le Tchad, le Nigeria, le Niger, dans une moindre mesure le Benin et les pays du Copax (Conseil de sécurité de l’Afrique centrale, ndlr), doit rester en alerte maximale. En situation de guerre, l’armée a tous les moyens à sa disposition pour faire le travail qui est le sien. Cela signifie que les armes ne servent plus seulement à la dissuasion. Cette guerre n’est pas à sa fin. Elle a changé de modèle parce que Boko Haram a essuyé une défaite dans sa forme conventionnelle.

Quelles dispositions prendre en termes de sécurité, pour pallier à ces attaques kamikazes, surtout dans les villes de yaoundé et Douala ?
Toutes les précautions et dispositions ont été prises. Vous comprendrez que je ne dois pas les élucider ici pour les raisons que vous savez parce que Boko Haram nous écoute aussi. La population doit substantiellement collaborer, être en éveil pour le renseignement prévisionnel et opérationnel. Pour le reste, les forces de sécurité et de défense ont les moyens qui leur permettent d’anticiper et de réagir à toute action.

Toutes les dispositions sécuritaires que l’on observe ces jours auprès des commissariats de police, brigades de gendarmerie, ambassades et autres prouvent-elles que la menace est préoccupante ?
La menace est préoccupante depuis le début. Il ne faut pas imaginer que parce que vous n’avez pas vu ces forces réagir qu’il n’y a pas de menace. Vous ne pouvez pas savoir combien d’interpellations il y a eu de nuit comme de jour. C’est parce qu’on a anticipé certaines actions qu’on n’a pas eu le genre d’actes qu’on a vu à Ndjamena. Vous savez que le second acte qui a été perpétré au Tchad, les soldats étaient en train de vouloir anticiper, mais en retard parce que les kamikazes étaient déjà équipés des bombes pour se faire exploser. Si les forces de sécurité tchadienne avaient pu arriver une heure avant, on n’aurait pas su qu’une telle attaque était en train de se préparer. Quand il y a menace, il y a alerte. Et lorsqu’il y a montée de l’alerte, il y a plusieurs types de dispositifs. Même si vous ne voyez pas les gendarmes, les militaires ou les policiers postés, il y a d’autres instruments qui permettent de monter l’alerte au stade actuel, la guerre n’étant plus conventionnelle mais asymétrique, les forces les plus utiles ne sont plus les forces de défense mais les forces de sécurité. Ces dernières sont capables de travailler avec la population sur le plan du renseignement en utilisant d’autres méthodes. Je crois qu’on ne doit pas avoir peur de circuler à Yaoundé et à Douala. Mais il faut rester vigilent.

L’armée camerounaise est-elle mieux outillée pour faire face aux attaques kamikazes dans les grands centres urbains ?
Il faut faire une différence entre les forces de défense qu’on appelle l’armée et les forces de sécurité, c’est à dire la gendarmerie et la police.
Lorsqu’on parle d’attaques kamikazes, dans la plupart des cas, ceux qui sont majoritairement les mieux outillés ce sont les forces de sécurité, parce qu’elles n’utilisent pas les armes de gros calibres. L’armée est faite pour attaquer les chars.

En quoi boko Haram constitue une menace pour l’Afrique et pour le monde ?
Ce mouvement a des rapports avec d’autres groupuscules à travers le monde, dont le plus récent semble être l’organisation de l’Etat islamique (EI). Il y a une coalition des forces de l’insécurité, une multinationale de l’insécurité à travers la région africaine et au-delà. C’est donc une préoccupation fondamentale actuellement. A partir du moment où Boko Haram et d’autres mouvements jihadistes sont en alliance, ils peuvent obtenir de l’expertise, de la nourriture et des moyens financiers. Si ce schéma en vient à se dessiner, c’est la menace globale. Et une menace globale implique une sécurité globale.

Jacques Badjang Ndjoi

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