Les enjeux du conflit en Ukraine pour les peuples africains : Le cas des pays de la Françafrique

La Guerre Ukraine Russie

L’histoire de l’humanité est émaillée de guerres, et celle qui se déroule en Ukraine en ce moment est, non seulement riche en enseignements, mais elle marque également un tournant décisif dans l’instauration d’un nouvel ordre mondial.

Le monde semble aujourd’hui suspendu momentanément dans un équilibre précaire, retenant son souffle entre l’ancien modèle, et son basculement vers une nouvelle organisation géopolitique à l’échelle planétaire. D’aucuns parlent de « grand reset » ou de « grande réinitialisation », à savoir la remise de toutes les pendules à zéro après le chaos qui succède à l’effondrement de l’ordre ancien, de ses principes, valeurs, us et coutumes devenus obsolètes, ayant perdu toute signification et toute crédibilité. L’Afrique est concernée au premier chef par les bouleversements idéologiques, militaires et économiques induits par cette guerre.

L’on note l’amorce d’un choc monétaire consécutif aux sanctions économiques, telles que le gel des avoirs infligé à la Fédération de Russie par des institutions bancaires occidentales, la plupart en violation flagrante des accords et traités internationaux. La conséquence directe de ces saisies abusives est la méfiance, la perte de confiance des investisseurs et des créanciers du reste du monde face à l’incertitude du sort réservé à leurs avoirs placés dans les pays occidentaux, lesquels sont susceptibles d’être saisis à tout moment. Résultat des courses, ces pays s’organisent pour échapper à cette éventualité et cherchent d’autres voient de financement. Les poids lourds économiques tels que les BRICS, à savoir, la Chine, la Fédération de Russie, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, ainsi que le Venezuela, l’Arabie Saoudite et le Qatar, projettent de se détacher de l’euro et du dollar comme monnaies de référence des échanges mondiaux, et optent de plus en plus pour le rouble, le yuan, la roupie ou le rand, adossés à l’or.

L’exigence de la Russie d’être payée en roubles pour la livraison de son pétrole, gaz et autres matières premières accentue et précipite la dédollarisation de l’économie mondiale, et partant, remet en cause la suprématie du bloc occidental avec à sa tête les Etats-Unis d’Amérique. C’est un fait inédit : par la résistance et le jeu des alliances dans le reste du monde, nous assistons à l’émergence d’un contre-pouvoir face à l’hégémonie mondiale sans partage du bloc occidental depuis la dislocation de l’ex-URSS en 1991. Ce contre-pouvoir est une aubaine pour les peuples africains, une opportunité qu’ils se doivent de saisir pour se libérer du joug de la domination du bloc occidental qu’ils subissent en ce moment, et se faire une place au soleil.

La guerre en Ukraine nous renvoie au sempiternel problème de la domination des peuples africains, qui a commencé pendant la période de l’esclavage, s’est poursuivie lors de la colonisation et continue jusqu’à nos jours sous la forme d’une néo-colonisation qui se cache sous les oripeaux de la Françafrique, entre autres. Les indépendances concédées aux pays africains se sont avérées factices, puisque ceux-ci ne sont pas autorisés à opérer librement leurs choix politiques et socio-économiques sans l’aval de leurs maîtres du bloc occidental, sous peine de sanctions comme celles infligées via la CEDEAO au Mali, ou au Centrafrique et au Burkina Faso, voire d’élimination physique de leurs dirigeants. Le bloc occidental coopte des personnes dociles qu’il place à la tête des Etats africains, et qui ont pour ordre de servir prioritairement les intérêts de leurs maîtres occidentaux, au détriment de ceux de leur pays et de leur peuple. Mais aujourd’hui, la donne a changé à cause d’un fait nouveau, à savoir le soutien apporté par le bloc de l’est avec à sa tête la Chine et la Fédération de Russie, aux peuples et aux Chefs d’Etat africains désireux de se libérer du joug de l’impérialisme occidental.

Les anciennes colonies françaises réunies au sein de la Françafrique paient un lourd tribut au système prédateur et destructeur du gouvernement transnational du monde utra-libéral occidental, qui a ceci de particulier qu’il s’appuie sur le pillage sauvage des ressources des pays africains, et sur des rapports économiques et socio-politiques inégalitaires. La misère reste endémique au sein des populations de ces pays, plus de 60 ans après les indépendances. A titre d’exemple : 5 des 14 pays de la Françafrique sont classés au peloton de tête des Etats les plus pauvres d’Afrique à savoir, ceux dont le PIB par habitant est inférieur ou égal à 1000 francs CFA, notamment le Centrafrique, le Burundi, la RDC, le Niger et le Togo. Ces derniers, paradoxalement, possèdent d’immenses richesses minières, lesquelles sont exploitées au profit des sociétés multinationales du bloc occidental et de leurs associés locaux, au détriment des États et de leurs populations. La monnaie, en l’occurrence le franc CFA, qui est un levier économique important, reste contrôlée par le Trésor français. Par ailleurs, l’arrogance, la menace, le chantage, le discours paternaliste des dirigeants des puissances occidentales, notamment de la France, vis-à-vis de leurs partenaires africains sont de moins en moins tolérés au sein de la jeunesse africaine.

Le changement de mentalité de la jeunesse africaine aujourd’hui, qui constitue les ¾ de la population des moins de 40 ans, résulte d’une fracture générationnelle consécutive à une évolution sociale inéluctable. Cette jeunesse a une tout autre vision du monde ; le taux de scolarisation est plus élevé ; grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication tels qu’Internet et les réseaux sociaux, cette jeunesse a accès d’un simple clic au monde entier, et est mieux informée de tout ce qui s’y passe. Grâce à la mondialisation, à l’émigration, les jeunes africains sont plus ouverts et mieux intégrés au reste du monde dans les milieux estudiantins, culturels et professionnels ; ils sont décomplexés, aussi performants et compétents (parfois plus) que leurs camarades ou collègues occidentaux, ne s’estiment pas inférieurs à ces derniers, contrairement à leurs parents et grands-parents des années 1960 : ils acceptent de moins en moins de devoir payer les pots cassés et d’être les laissés-pour-compte de ce système ; d’être obligés de se lancer, à leurs risques et périls, sur les chemins de l’émigration clandestine vers l’Occident pour survivre. Ils trouvent injustes le limogeage systématique ou l’assassinat de leurs leaders, dont le seul tort est de se battre pour la libération réelle, le développement et le mieux-être de l’Afrique, tels que les héros des indépendances, Ruben Um Nyobé, Roland Moumié, Castor Ossendé Afana, Patrice Lumumba, Amilcar Cabral, Thomas Sankara, Mouammar Kadhafi, Laurent Gbagbo, pour ne citer que ceux-là. Les dirigeants africains choisissent généralement de s’aligner sur les choix et les diktats des puissances extérieures par lâcheté face à la violence, aux intimidations et autres procédés hégémoniques insidieux, qui imposent la dictature du plus fort. Ces inégalités sont difficilement acceptées par la jeunesse africaine aujourd’hui, d’où sa défiance grandissante vis-à-vis du modèle occidental qui leur est imposé.

Les limites du modèle néo-libéral occidental en Afrique

Le sentiment anti-occidental (ou la défiance vis-à-vis du modèle néolibéral occidental) grandit de jour en jour auprès des populations africaines ; c’est un système déséquilibré et inégalitaire qui met l’accent sur l’avoir matériel au détriment de l’être, des valeurs morales et humaines, et qui favorise une minorité au grand dam de la majorité des populations. À cet effet, l’on est en face de deux groupes distincts, aux intérêts divergents : d’une part l’Afrique des élites, des dirigeants et des institutions connexes telles que l’Union Africaine, la CEMAC, la CEEAC, la CEDEAO, l’UDEAC, etc., qui entretiennent des relations d’entente cordiale et de complicité avec la France et les autres puissances occidentales ; d’autre part les Etats, les peuples africains, ainsi que toutes les personnes et les organisations soucieuses du sort desdites populations. Ce sentiment de défiance intervient également en réaction aux attitudes et déclarations hostiles, condescendantes, méprisantes, paternalistes faites publiquement et de manière décomplexée par des dirigeants occidentaux, tous bords politiques et idéologiques confondus. Les principaux griefs soulevés par les populations africaines vis-à-vis de leurs élites, de leurs dirigeants et des puissances occidentales sont les suivants :

1) Sur le plan économique et social
La misère reste endémique dans les États de la Françafrique plus de 60 ans après les indépendances : un endettement colossal à travers les « dons », les prêts et les « aides au développement », assortis de taux d’intérêt rédhibitoires et de pénalités pour retards de remboursement, qui pèsent lourdement sur les ressources financières de ces États. Le système de la dette imposé à ces États n’a pas permis à la majeure partie de ceux-ci de se développer, mais bénéficie essentiellement aux bailleurs de fonds étrangers, aux sociétés multinationales, aux institutions monétaires internationales (principalement le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale), ainsi qu’aux élites et aux dirigeants africains. Ces « aides » et « dons » constituent un moyen de pression et de chantage visant à garder ces pays sous la dépendance permanente des bailleurs de fonds, tout en les paupérisant davantage.

2) – Sur le plan politique
Contrairement aux anciennes colonies britanniques, les pays de la Françafrique sont ceux dans lesquels on trouve des Chefs d’État qui s’éternisent au pouvoir, bafouant de ce fait le sacro-saint principe de l’alternance démocratique. Il est reproché à la France de cautionner les révisions constitutionnelles visant à garantir le pouvoir à vie aux dirigeants des États de la Françafrique. Il leur est également reproché d’encourager l’installation de « démocraties monarchiques », dans lesquelles le pouvoir se passe de père en fils, ou au sein de la même famille, comme c’est le cas au Togo, au Gabon et au Tchad, bloquant ainsi le renouvellement des acteurs politiques au sommet des États et ouvrant la voie aux pouvoirs dictatoriaux, sous leur regard bienveillant.

La guerre en Ukraine interpelle tous les pays africains, notamment ceux de la Françafrique, conscients qu’ils tiennent là une chance, si minime soit-elle, de briser le monopole du système unipolaire actuel dominé par l’hégémonie dictatoriale du bloc occidental, qui impose sa loi au reste du monde. La jeunesse africaine souhaiterait qu’à la place des rapports de dominant/dominé, ou de maître à esclave, s’instaurent des relations de respect mutuel, d’égal à égal et gagnant-gagnant avec des partenaires librement choisis. Si le bloc occidental perd cette manche en Ukraine, cette déconvenue pourrait précipiter la chute de l’édifice déjà lézardé de leur impérialisme séculaire en Afrique. Le monde semble à l’aube d’un basculement historique des équilibres géopolitiques en faveur du bloc de l’est, mettant ainsi fin à des siècles d’une hégémonie occidentale prédatrice, inhumaine et destructrice pour l’Afrique des peuples.

Caroline Meva.

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