Figure incontournable de l’histoire politique du Cameroun, André-Marie Mbida demeure pourtant méconnu par de nombreux Camerounais. Premier Chef de l’État, Premier Ministre et artisan des emblèmes nationaux, cet homme d’exception a posé les jalons d’un Cameroun indépendant malgré un destin tragique. Entre leadership visionnaire et persécution politique, son histoire incarne la naissance douloureuse d’une nation. Plongée dans le parcours extraordinaire d’une figure historique dont l’héritage continue de façonner l’identité camerounaise.
Père des emblèmes nationaux : l’architecte de l’identité camerounaise révélé
André-Marie Mbida accède au pouvoir dans un contexte politique délicat. Le 16 avril 1957, le Cameroun devient un État autonome et le 10 mai de la même année, il est désigné premier président du Conseil, premier chef de gouvernement et chef de l’État de facto du Cameroun sous tutelle française. Son investiture officielle intervient le 15 mai 1957, approuvée par 56 voix contre 10 et 4 abstentions à l’Assemblée législative.
« Sa vision et son leadership ont été cruciaux dans la formation de l’identité nationale du pays, marquant une étape décisive vers l’indépendance », souligne Noah Omgba Léopold, expert en communication politique et institutionnelle. Sous son leadership, les emblèmes qui forgent aujourd’hui l’identité camerounaise prennent forme : le drapeau tricolore vert-rouge-jaune, la devise « Paix-Travail-Patrie », les armoiries et l’hymne national.
Le drapeau camerounais, avec ses couleurs symboliques, incarne parfaitement la vision du pays selon Mbida : le vert représente l’espoir et les ressources naturelles, le rouge évoque la lutte pour l’indépendance, tandis que le jaune symbolise la richesse du territoire national. Ces symboles, créés sous son impulsion, continuent de rassembler les Camerounais au-delà des clivages ethniques et linguistiques.
Du séminaire à la prison : l’ascension et la chute d’un homme d’État
Le parcours d’André-Marie Mbida est aussi fascinant qu’atypique. Né en 1917 dans une famille aristocratique Essele du clan Eton, il est le fils du notable Siméon Mombele Ongolo Nanga, qui avait lui-même mené une rébellion contre les occupants allemands. Cette résistance familiale semble avoir forgé le caractère indépendant du futur chef d’État.
Sa formation intellectuelle commence au petit séminaire d’Akono (1929-1935), où il côtoie les futurs présidents Fulbert Youlou du Congo-Brazzaville et Barthélémy Boganda de la République Centrafricaine. Après des études de philosophie et de théologie au grand séminaire de Mvolye (1935-1943), il est évincé de la formation sacerdotale suite à la disparition de Mgr Vogt.
Ce tournant le mène vers une carrière administrative puis juridique. « Ses revenus mensuels comme agent d’affaires à Ebolowa varient entre 500 000 et 800 000 FCFA entre 1946 et 1952, une fortune considérable à l’époque », précise un historien spécialiste de cette période. Cette aisance financière lui permet d’abandonner sa carrière juridique pour se lancer en politique.
Le destin tragique de Mbida commence avec sa démission forcée le 16 février 1958, suite à un désaccord avec le haut-commissaire français Jean Ramadier. Son opposition au régime d’Ahmadou Ahidjo lui vaut d’être emprisonné le 23 juin 1962, après avoir signé un manifeste contre le parti unique. Les conditions de détention sont particulièrement cruelles : « Victime de supplices et de sévices corporels parmi les plus infâmes, il perd progressivement la vue », témoigne un proche de la famille.
Libéré en 1965 mais placé en résidence surveillée dès son retour de soins en France, André-Marie Mbida reste prisonnier de fait jusqu’à sa mort le 2 mai 1980, incarnant jusqu’au bout le prix payé par ceux qui osèrent défier le pouvoir établi.
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