Cameroun – Interview – Venant Mboua: Guerandi a été assassiné

Journaliste camerounais exilé au Canada, ayant interviewé à plusieurs reprises l’ancien putschiste, il livre son analyse de la situation.Qu’est-ce que vous pensez des informations publiées par Jeune Afrique sur l’enlèvement et la disparition de Guerandi Mbara ?
J’ai parlé à Guerandi pour la dernière fois le 24 décembre 2012. Il m’a envoyé des vœux de bonnes fêtes de Noël par e-mail, puis il m’a appelé. C’est toujours lui qui appelait, je n’avais pas ses numéros de téléphone. Je lui ai envoyé plusieurs courriels en début d’année 2013, qui sont restés sans réponse. Il avait l’habitude de disparaître pendant de longs mois pour réapparaître après, mais il m’appelait toujours en commençant la conversation par un gros fou rire, puisque je le chambrais souvent en disant : « Tu préparais encore quel putsch ? ». Si jusqu’à présent, personne n’a de ses nouvelles, alors je suis convaincu que quelque chose est arrivé. Toutefois, j’ai quelques doutes sur le déroulement de l’opération telle que racontée par le mercenaire portugais. Guerandi n’avait pas d’argent pour acheter des armes, il n’en avait pas non plus pour entretenir une rébellion et enfin, il n’avait aucun allié (multinationales, puissances étrangères, lobby camerounais, etc.) riche pour financer ce genre d’opération.

Pensez-vous que la réaction du gouvernement est suffisante pour éteindre toutes les rumeurs sur un présumé assassinat ?
Le ministre de Communication déclare publiquement que le gouvernement ne sait pas de quoi parle Jeune Afrique. Ensuite, le même gouvernement préfère distiller des rumeurs qui laissent entendre que Guerandi est gardé au secret. D’abord à travers le journal L’Œil du Sahel qui cite une source anonyme, ensuite par Michel Michaut Moussala qui ne cite aucune source et enfin, par le journaliste Dominique Mbassi de Repères. Le gouvernement a donc opté pour la stratégie du silence génitrice des rumeurs, mais qui peut laisser voir son embarras devant une information aussi dangereuse pour sa réputation. Il faut toutefois dire qu’ils ont mal communiqué, car dans une société démocratique, le fait répondre aux interpellations du public et des médias ne dépend pas de l’agenda des gouvernants. Lorsque c’est le cas, on est dans une dictature qui méprise l’opinion publique. Je crois que c’est le cas au Cameroun. Moi, je n’ai aucun doute sur l’affaire, le chef de l’État et ses sécurocrates savent ce qu’ils ont fait de Guerandi Mbara.

Guerandi Mbara constituait-il un véritable danger pour le régime de Yaoundé ?
Guerandi constituait un danger politique pour le système, puisqu’il prônait ouvertement sa fin. Mais, Guerandi n’était pas un chef rebelle. Il n’en a avait pas les moyens matériels et humains. Il ne le voulait pas vraiment. Il m’a fait des confidences sur des propositions que lui faisaient certains lobbies occidentaux dont il ne voulait pas entendre parler. Mais, beaucoup de gens fantasmaient sur ses capacités à chasser Paul Biya du pouvoir. Un jour, il m’a dit : « Les Camerounais pensent que changer le système à Yaoundé dépend d’un seul individu. C’est faux. Même si on me donnait toutes les armes du monde, je ne ferais aucune action sans l’adhésion des Camerounais. C’est une affaire qui nous concerne tous ».

Quatre mois après les révélations de Jeune Afrique, toujours rien. Que doit-on penser ?
Si Guerandi est vivant dans une prison et si le gouvernement voudrait le juger, qu’il se prépare à juger au moins la moitié des Camerounais de la diaspora activiste et une bonne partie de son élite politico-administrative et militaire. Guerandi rassemblait beaucoup. Les services de renseignement doivent avoir les agendas de Guerandi, ils y ont certainement trouvé tous ses contacts. À mon avis, si on n’a pas encore un procès Guerandi, c’est tout simplement parce qu’ils l’ont assassiné.

Est-ce à dire que vous mettez personnellement en cause le régime de Yaoundé ?
Qui d’autre voulez-vous qu’on accuse ? En dehors des révélations du mercenaire et des fanfaronnades enregistrées de certains sbires ayant pris part à l’opération, il y a le fait que Guerandi était traqué depuis 1984. Sans répit. Il s’est confié plusieurs fois à certains d’entre nous sur les missions (bien souvent, il avait les noms des sicaires commis à l’action) dépêchées depuis Yaoundé. C’est pour cela que je ne crois pas à la thèse selon laquelle il a été enlevé parce qu’il voulait acheter des armes. On a tout simplement réussi à lui mettre la main dessus, après trente ans de traque infructueuse, mais férocement haineuse.

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