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Cameroun – Affaire Guerandi: Le plan secret de l’ancien putschiste

Au moment où les doutes sur son décès semblent progressivement s’évaporer, de nouvelles révélations apparaissent sur le personnage qui rêvait d’un scénario à la burkinabé pour le Cameroun, avec pour point de départ Abidjan.[pagebreak] Des officiers supérieurs, de hauts fonctionnaires de l’administration, des cadres du Rdpc auraient été mis dans la confidence.

Une enquête de Boris Bertolt
Les faits
Qu’est-il arrivé à Guerandi Mbara Moulongo ? Quatre mois après les révélations de l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique sur son interpellation, puis son décès au moment où il devait être remis aux autorités camerounaises, les zones d’ombres persistent et le flou reste entretenu par le gouvernement de la République du Cameroun. Le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, au cours d’une conférence de presse donnée à Yaoundé le 3 septembre 2014, balayait la question d’un revers de la main, en soulignant : « Le gouvernement ne commente pas les rumeurs ».
A la suite de cela, plus rien n’a filtré. Pourtant, Guerandi Mbara n’a été aperçu nulle part. A Ouagadougou, où il vivait dans une résidence du Conseil de l’entente en compagnie de sa première compagne avec laquelle il n’a pas eu d’enfant, résidence qui lui avait été octroyée par son ami Blaise Compaoré, aucun signe de lui. A Paris, silence radio également. Depuis plus d’un an, il n’a pas été aperçu. Pas de conférences, réunions amicales et autres. L’appartement qu’il avait pu se procurer et où résidait sa seconde compagne, avec laquelle il a eu une fille, a été abandonné par cette dernière. Les amis de Guerandi à Paris ne retrouvent plus sa trace.
Aux Etats-Unis, où il se rendait souvent sur invitation des Camerounais, aucun signe de sa présence depuis plus d’un an. Où est-il donc passé ? « Guerandi est mort », soutiennent des sources à Paris. Une information confirmée par des responsables de l’ambassade du Cameroun en France, qui attestent que l’opération a été effectivement menée dans le plus grand secret. « Vous n’entendrez plus jamais parler de Guerandi », lance un responsable de cette chancellerie, en toute assurance.
Sans doute une manière pour lui de confirmer les révélations de Jeune Afrique, qui dit détenir d’autres éléments sur le « scandale ». Lesquels sont « tenus en lieu sûr ». Visiblement, l’opération a été menée sur deux continents, en Europe où Guerandi a été enlevé et en Afrique où il est décédé, lorsque ses convoyeurs s’apprêtaient à le livrer aux autorités camerounaises. La Direction générale de la recherche extérieure (Dgre), la police de l’aéroport international de Douala et la sécurité militaire seraient vraisemblablement intervenues dans cette opération clandestine qui aurait pu s’achever dans le plus grand secret.

Transition systémique
En effet, l’information a été ébruitée par l’un des acteurs de la chaîne, notamment le portugais José Alberto Fernandes Abrantes, recruté par la Dgre, et ancien colonel des forces spéciales, reconverti dans la sécurité et le négoce des armes. Bien connu dans certains milieux d’acquisition des armes, c’est lui qui, depuis deux ans, préparait minutieusement la capture de l’opposant camerounais et sa remise aux autorités. Bien que l’éventualité de la mort n’ait pas été exclue, ce n’était pas la première option. Mais, le portugais ne rentrera pas en possession de l’intégralité des sommes allouées pour cette opération. Une partie de l’argent, plus de 150 000 euros (97 500 000 Fcfa) a été détournée.
Pendant des mois, après plusieurs tentatives de se faire rembourser, il décide de passer à l’offensive. Il espionne ses anciens employeurs qu’il accuse d’avoir utilisé son argent pour leur enrichissement personnel. Après moult négociations, il décide de divulguer le scandale. Un média de la presse écrite privée au Cameroun est contacté, mais opte pour un « embargo » sur le dossier. Tout comme Jeune Afrique qui prendra minutieusement le soin de vérifier les allégations du portugais avant de révéler l’affaire.
Depuis le putsch du 6 avril 1984, Guerandi Mbara Goulongo craignait déjà pour sa vie. Il menait ainsi une vie en toute discrétion entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique. Déjà, au début des années 2000, il avait échappé à une tentative d’assassinat à Lagos au Nigeria. Il préparait minutieusement un plan de renversement du régime de Yaoundé. Il souhaitait une insurrection populaire, « ne s’étalant pas sur plus de deux jours », confiait-il à un ami.
Pour lui, « Paul Biya n’était pas son problème. C’est le système qu’il combattait », relate une source. A cet effet, un premier document, qui devait constituer le fondement idéologique de ce qui se préparait, avait été élaboré. Il s’intitule : « Transition systémique pour une alternance démocratique au Cameroun ». Un texte, auquel nous avons accédé, qui comporte vingt-sept signataires, dont des personnalités bien connues au Cameroun.

Laurent Gbagbo
Pour lui, « il tenait à ne plus répéter les erreurs du 6 avril 1984 », souligne l’un de ses principaux contacts à Paris. Il poursuit : « En fait, le putsch du 6 avril dont il est le cerveau échoue parce que les communistes de l’armée ne communiquent pas leurs véritables intentions aux ahidjoistes de la Garde républicaine qui, eux, en voulaient à Biya. Guerandi et certains militaires communistes ont utilisé le mécontentement des gars de la Garde Républicaine pour les associer au putsch de 84. Ils ont su la veille, le 5, qu’un des leurs en service au palais, les avait vendus. Les autres les attendaient donc le 6, ils ont tenté le tout pour le tout. Lui, il a passé encore deux mois à Yaoundé, après le putsch, hébergé par un ami (star du foot dont je ne te donne pas le nom, il est encore vivant), avant de s’enfuir pour le Burkina. Ce qu’il préparait en réalité ce n’est pas une rébellion, mais une insurrection ».
Guerandi Mbara construisait progressivement son plan. Il bénéficiait au sein de la haute administration camerounaise d’importants relais et dans l’armée, ce qu’il appelait des « cellules dormantes » qui devaient intervenir lorsque le plan devait entrer dans sa phase opérationnelle. Des noms de code avaient été attribués à des fonctionnaires avec qui il discutait à certaines occasions sur des sujets précis. Des hauts responsables du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) étaient parfaitement informés de ce qui se tramait.
En rupture de ban avec Blaise Compaoré, son ancien mentor, il avait refusé de soutenir Alassane Ouattara. Préférant porter ses faveurs sur Laurent Gbagbo. Il détestait le milliardaire américain George Soros, qu’il accusait d’avoir financé la rébellion en Côte d’Ivoire. Devenu proche de Laurent Gbagbo au fil des années, il espérait même une victoire de ce dernier à la présidentielle de 2010, dans le dessein d’aller lancer son mouvement politique à partir d’Abidjan.

Boris Bertolt, à Paris

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