Général Valsero: Je n’ai pas peur de venir au Cameroun

Après la sortie de « Motion de soutien » qui dénonce vivement les 33 ans de pouvoir de Paul Biya, le rappeur parle des réactions à son single, de son engagement et de ses projets.
Votre dernier single, « Motion de soutien », a suscité un nombre impressionnant de réactions. Cela vous a-t-il surpris ?
Non, pas vraiment. La nature des réactions ne m’a pas surpris. C’est vrai que le nombre de personnes que ça a touché de manière directe et émotionnelle, c’était assez surprenant. Je ne m’attendais pas à ça. J’ai vu que sur Internet ça avait fait pas mal de vues en très peu de temps.  
En dehors d’Internet et des médias, avez-vous eu un autre type de feedback ?
Déjà les feedbacks sociétaux sont énormes. Que ce soit dans la rue, que ce soit du point de vue familial. J’ai des parents qui marchent dans la rue et qui ont également des feedbacks en tant que parents. Ils ont leur part de coups qu’ils prennent évidemment dans cette affaire. Finalement j’ai pas mal de feedbacks qui viennent de manières tout à fait différentes.

Et du côté des politiques…
Je n’attends pas d’eux un quelconque feedback. C’était une réponse, un mécanisme de mise à nu qui n’attendait pas du tout un feedback de la part des politiques. J’ai lu dans la presse des réactions de quelques politiques. Bien sûr ceux de l’opposition sont d’accord. Ça fait le jeu de tout le monde, ça permet à tout le monde de sentir passer un message qu’on aimerait bien donner d’une manière ou d’une autre. Evidemment on peut bien admettre que ceux d’en face, ça ne peut pas les faire rire. De manière simple, on peut dire qu’il y en a que ça amuse et il y en a que ça n’amuse pas du tout.

Des menaces de la part de ceux que ça n’amuse pas ?
Ce serait faire l’apologie d’un système qui voudrait que nous vivions dans la peur. Moi je n’ai pas envie d’être un véhicule de peur, raconter que j’ai été menacé ou que je ne l’ai pas été. Je crois que c’est notre capacité à toujours rester debout. Les gens savent exactement quel type de musique je fais et à quel genre de représailles je peux avoir droit. C’est vouloir retourner le couteau dans la plaie en disant chaque fois : « Hey, Valsero, t’as pas été menacé ? » J’ai envie de répondre : « Tu crois qu’ils m’ont envoyé des fleurs ? » Vous croyez qu’après avoir fait ce genre de chanson on reçoit des félicitations du gouvernement ?

Les paroles de « Motion de soutien » sont particulièrement dures vis-à-vis du régime. Pourquoi une telle option ?
Les paroles ne sont pas dures c’est la réalité qui est dure. Les paroles ne sont qu’une peinture de notre triste réalité en terme de bilan. Cette chanson pour moi est comme un réveil. Quand on s’est lancé dans la vague de motions de soutien, cette énorme opération d’endormissement spirituel des mentalités et des masses, il a fallu que quelqu’un réveille un peu tout ça. Il a fallu leur souffler dans les narines et dise : « Stoppez, on n’est pas encore tous complètement zombifiés, il y en a qui ne dorment pas encore ! »

Ça fait un certain nombre d’années que vous dénoncez les tares du régime en place, mais rien n’a changé. N’estce pas un motif de découragement ?
Non. J’ai trop d’amour pour mon peuple, pour mon pays, pour moi-même. Je ne peux pas être découragé de faire mon travail. Parce que c’est ça mon travail. Ça ne rend pas riche, ça ne paie pas le loyer, mais il faut bien que quelqu’un fasse le travail. Avoir ce statut, celui de ne jamais être une star en fait et de subir des foudres qui sont très loin de l’art et de la culture, c’est difficile, ce n’est pas un manteau facile à porter. Mais j’ai appris à vivre avec, c’est ma responsabilité, c’est ma vie. Je crois avoir les épaules suffisamment larges pour tenir. Je ne peux pas être découragé parce que je suis quelqu’un qui a toujours en vision le Cameroun de demain. Comment nous pourrons bâtir autrement demain ? Ce que nous on fait aujourd’hui ce sont des étapes importantes qui vont nous permettre d’arriver au Cameroun de demain. Il m’arrive d’être fatigué des réactions de masse. Parfois ça fait comme une grosse boule. Il m’arrive de me dire « je suis crevé », quand je lis et entend des choses. J’ai dû faire un travail énorme sur moi pour ne plus avoir envie de plaire aux gens, mais de faire ce qui me semble juste. C’est peut-être ça qui fait la différence entre le Général et un artiste. Un artiste, tout ce qu’il fait c’est pour plaire, mais moi je fais une musique d’opinion. Que les gens qui ne sont pas d’accord n’aient pas peur de dire qu’ils ne sont pas d’accord, mais qu’ils respectent que je dise ce que je pense aussi. Quand je regarde dans les réseaux sociaux, je ne suis pas choqué de voir des gens me dire « tu te prends pour qui ? », ou d’entendre des gens dire « arrête tes conneries, tu as trop fumé ! »   

Certains pensent que ta musique c’est du déjà entendu et qu’il faudrait passer à autre chose…
On n’a pas les mêmes objectifs. Changer une société n’est jamais un sujet dépassé. C’est pas du déjà entendu. On parle de développement de manière perpétuelle. Les gens qui disent qu’il faut passer à autre chose se sont trompés sur le personnage. Moi je fais une musique contextuelle. Je ne crois pas que depuis « Lettre au président » en 2008, le premier album, à ce dernier single « Motion de soutien », il y a quelque chose qui a changé au point où il faille passer à autre chose.
Vous semblez suivre avec beaucoup d’attention ce qui se dit sur vous sur les réseaux sociaux…
Pas seulement dans les réseaux sociaux, même dans les radios. On est dans un système de conservation du pouvoir où l’un des mécanismes les plus importants consiste à faire du citoyen l’acteur de sa propre destruction. Quoi que vous fassiez de bon, il y aura toujours quelqu’un qui viendra dire « bof, il se prend pour qui ? ». Ce sont des forces qui s’annulent et qui rendent improductifs tous les mécanismes qu’on peut mettre sur pied pour essayer de réveiller les mentalités. Ce système justement a créé ce genre de zombies qui en fait sont des adeptes de l’immobilisme. Chaque idée nouvelle, chaque individu qui s’approprie lé développement collectif a toujours ce petit sentiment du Camerounais qui vient pour essayer de banaliser en disant « il veut aussi sa part, s’il était là est-ce qu’il allait faire mieux ? » Il y a toujours des gens qui cultivent le stress, le découragement, qui sont la marque indélébile de la zombification. Ils sont la propre force qui les empêche de bouger.  

Rangez-vous dans le même registre de la zombification les bruits selon lesquels votre tête serait mise à prix ? Avez-vous peur ?
Je range également ça dans le mécanisme de zombification. Je n’ai pas eu jusqu’) présent une notification officielle disant que je ne pouvais pas être au Cameroun, que j’étais interdit ou poursuivi pour quoi que ce soit au Cameroun. Après, il y a l’entendement populaire. On construit une société sur la base de l’entendement populaire. C’est juste la preuve de comment les populations perçoivent le régime qui nous dirige. Ils le perçoivent comme un régime dictatorial, tortionnaire, de conservation profonde du pouvoir, qui n’aime pas la vérité. Ils sont sûrs qu’avec une chanson comme celle-là, tu vas direct en prison. Je ne suis pas obligé de le dire, parce que les autres le vivent et le sentent. Là ils le matérialisent d’une manière ou d’une autre. Au lieu de tomber dans le sensationnel, demandons- nous un petit moment quelle est la peinture que le peuple fait de son administration, de ses gouvernants.  

On vous a vu engagé dans diverses causes sociales et même un peu en politique. Considérez-vous finalement votre musique comme un acte politique ?
Je crois que ma musique en premier est un acte social, parce que je ne sais pas ce qu’on appelle un acte politique. Jusqu’à présent, à force d’essayer de dissocier la politique et la société, on a fini par les opposer, on a fini par créer à nouveau le mécanisme qui annule toute chance d’évolution. Cette petite guéguerre qui oppose les soi-disant non politiciens et les soi-disant hommes politiques, s’ils ont un tant soit peu le besoin de changement et d’alternance, ils doivent savoir qu’il faut qu’ils travaillent ensemble. C’est un acte d’un citoyen. C’est la première chose que je suis. Je suis un citoyen qui se sert de son art pour poser des questions liées à la gestion de sa société, qui peut à un moment essayer d’arrêter pour interpeller les mentalités sur la réalité. Pour moi c’est très important. Je ne le fais pas qu’en politique, je le fais dans plusieurs cadres. Je suis un super gros rêveur. Mon Cameroun je le vois beau, c’est pour ça que je n’ai pas peur de venir au Cameroun. Je veux bien dire aux gens que je n’ai pas l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. Ce n’est pas de l’arrogance, j’ai juste l’impression d’avoir libéré mon âme du poids et des chaînes du mensonge. Ce n’est pas quelque chose de mal. Pour ça je ne peux pas vivre comme quelqu’un qui aurait peur de venir dans son pays. Si c’est pour ça que je devrais me faire arrêter, que les gens qui vont accomplir cette sale besogne sachent que je ne courrai pas, je ne vais pas fuir pour aller quelque part. je ne vais pas marcher dans la rue avec des gardes du corps. Je vais toujours marcher tranquille dans la rue. Je ne me sens pas en insécurité. Pour moi ce sera une surprise.  

Jusqu’où ira le Général ?
Jusqu’au bout. Le bout c’est le non-stop. Ce que je mène c’est une attitude de développement, ça n’a rien de politique, c’est vraiment un combat de développement sociétal. Et aujourd’hui ça passe par l’alternance, ça passe par le questionnement des politiques, ça passe aussi par le questionnement de l’engagement citoyen des populations à leur propre développement. On ira jusqu’au bout quand chaque Camerounais se sera approprié sa part de responsabilité pour ce qui de faire du Cameroun un pays développé. Il faut que les Camerounais comprennent qu’ils font partie de la solution. S’ils ne s’impliquent pas, il n’y aura pas de solution. Sans leur soutien, aucun politique ne leur apportera la solution.  

Après la sortie de « Motion de soutien », quels sont les projets immédiats de Valsero ?
On est en perpétuel travail. Il y a toujours le projet « Bâtir autrement demain » avec le projet « Jeune et fort » sur lequel on est en train de travailler en ce moment. On est en train de créer des contenus, on est en train de créer un studio capable d’abriter un mécanisme pareil, parce que le plus important avec « Bâtir autrement demain » c’est de doter notre société des outils capables d’exprimer le génie, d’exprimer le talent, d’exprimer la créativité.
On a mis sur pied le Studio 4, capable d’accueillir les jeunes Camerounais qui peuvent, qui veulent montrer leur génie dans tous les métiers connexes à l’art et à la culture. Le projet c’est de mettre vraiment l’art et la culture au service du développement. Il faut qu’on arrête de croire qu’en Afrique l’art n’est qu’un objet pour divertir. L’art peut développer un pays. L’art ne peut même pas être mis en troisième ou quatrième plan, c’est la base du développement d’un pays. Aujourd’hui je me sers de la musique, dont de l’art, pour passer des messages qui pour moi doivent avoir des portées qui peuvent développer un pays. Ce projet c’est un projet permanent sur lequel on travaille au quotidien avec toute l’équipe. Et bien sûr, il y a le Crac (Croire au Cameroun, parti politique créé et dirigé par Bernard Njonga, Ndlr).
Mais comme je dis, la société n’est pas dissociable de la politique. Ce que Bernard Njonga fait aujourd’hui par rapport à la lutte contre la grippe aviaire, c’est d’abord un engagement sociétal. C’est un homme sur le terrain qui travaille. Il faut qu’on arrête de faire cette politique ostentatoire qui divise les Camerounais au lieu de les réunir. On est des citoyens camerounais et jusqu’à présent on a un projet, c’est celui de montrer qu’on peut croire au Cameroun, croire en notre propre développement, croire qu’on a les hommes, croire qu’on a la terre, le contexte, l’intelligence pour pouvoir développer nousmêmes notre pays.

C’est toute une philosophie. Si c’est ça faire la politique, alors je vous invite tous à croire au Cameroun. Mais je voulais expliquer que c’est quelque chose qui part plus loin. C’est un concept, c’est un appel à une mobilisation pour le développement du Cameroun. Il faut que les gens apprennent à aimer ce pays, qu’ils arrêtent de croire qu’à chaque fois ils vont se servir du pays pour s’en sortir eux-mêmes, parce ce qui peut faire qu’un pays vous rend riche c’est que vous le développiez. Les obstacles ne sont pas une raison pour s’arrêter.

Propos Recueillis Par Jules Romuald Nkonlak

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