Cameroun: L’usine de transformation du manioc de Sangmelima en agonie

Construite en urgence sur fonds publics, l’usine de transformation de manioc de Sangmelima, avant de démarrer ses activités, suscite déjà inquiétudes et interrogations.[pagebreak] Non sans occasionner des luttes d’hégémonie au sein de l’élite locale et du gouvernement. Comment un projet de 2,5 milliards de Fcfa est entré en agonie avant de produire les premiers sacs d’amidon et de semoule.

Les faits
A Monavebe, localité située à 4 kilomètres de Sangmélima sure la route d’Ebolowa, se dresse, au milieu de la forêt, un complexe agro-industriel de petite taille. Dans la grande cour de cette concession, des gravats, des tas de sable, de gravier, des parpaings et d’autres matériaux qui ont certainement servis pendant la phase construction de l’usine de transformation de manioc de Sangmélima. Dehors, deux bâtiments climatisés servent de locaux administratifs. Des ouvriers meublent le temps en discutant des choses et d’autres.
A l’intérieur de l’usine construite en aluminium et béton sur un niveau, outre les tas de matériaux encore disposés ça et là, preuve que le chantier n’est pas totalement livré, plusieurs machines et équipements industriels occupent l’espace. Des chaînes d’assemblage, de triage, des tambours et autres tamis, achèvent de rouiller. Le cycle de vieillesse a déjà aussi attaqué plusieurs équipements posés à même le sol carrelé. Dans un coin, l’ensacheuse, jamais utilisée, est déjà sur cale. «Ce sont les effets de la manutention», renseigne un ouvrier. Les bras de cette machine sont tous hors d’usage, certains câbles sectionnés. Le château d’eau quant à lui ne sert pas encore.
Au départ, le projet de mise en œuvre de cette usine, pensé par le ministère de l’Economie, du plan et de l’aménagement du territoire (Minepat) en 2009, au lendemain des émeutes de la faim de février 2008, est confié au Minader. Dans ce département ministériel, après études, l’on pense alors aux zones de savane de la Lekie et du Mbam, très fertiles, et riches en manioc, pour sa construction. Pour le ministère de l’Economie, le projet n’a pas qu’une dimension agricole. Il y a également l’aspect industrie et planification du développement qu’il faut prendre en compte.
Chaque département ministériel tentera de mettre sur la table ses arguments. «Le manioc pèse et son transport sur des centaines de kilomètres coûte cher aux producteurs. Nous avons proposé, à défaut d’installer l’usine dans la zone de savane du Centre, propice à la culture du manioc, que de petites unités de transformation soient créées dans certains bassins de production», explique-t-on au ministère de l’Agriculture et du développement rural (Minader).
Malgré le solide argumentaire du Minader, c’est le ministère de l’Economie qui l’emporte et le marché de construction de l’usine est passé à une société indienne en 2013. Au bout de quelques mois, les Indiens, las d’attendre le paiement des décomptes, plient bagages et quittent le Cameroun laissant l’usine achevée à 90% selon les responsables. Mais la plupart des équipements sont déjà disposés et montés. Ce qui fait dire aux responsables de la Ccima que cette usine présente des défaillances notables. «Aucun test de fiabilité n’a été réalisée sur ces équipements lors de leur installation. Lorsqu’on a vu les équipements de cette usine, on s’est rendu compte qu’ils n’étaient pas neufs ; sinon qu’est-ce qui expliquer qu’en si peu de temps, la rouille ait tout envahi si ce n’était pas des équipements de seconde ou de troisième main», s’interroge un cadre de la Chambre consulaire.
Le gouvernement qui a injecté 2,5 milliards de Fcfa pour la construction de l’usine, crée la société de transformation du manioc de Sangmélima (Sotramas). La société anonyme avec pour actionnaires principaux la mairie de Sangmélima et la Chambre de commerce des mines, de l’industrie et de l’artisanat (Ccima), est détenue à 60% par la Commune et les 40% par la chambre consulaire. Mais entretemps, le ministre de l’Economie d’alors, Louis Paul Motaze, devenu secrétaire général des services du Premier ministre, emporte le projet avec lui dans ses valises à la primature.
En mars 2014, Timoléon Zo’onyaba est nommé directeur général de la société de transformation par le Premier ministre. Dans sa feuille de route, il doit en priorité procéder à la mise en place rapide de toutes les infrastructures et structures de la Sotramas et assurer un démarrage serein des activités de l’usine. Le gouvernement et les acteurs du projet lui confient également la mission de créer des partenariats avec les producteurs ou associations de producteurs de manioc, question de ravitailler les fourneaux en matière première.
Mais, le 30 décembre 2014, soit neuf mois après sa nomination, le directeur général est remplacé au cours d’une session ordinaire conseil d’administration présidée par André Noël Essiane, édile de la ville. Il désigne Ferdinand Ella Ella, ingénieur des travaux agricoles. «Je ne peux pas commenter les actes que j’ai posés ; j’ai signé une résolution du conseil et je m’en tiens à cela. Pour le reste je ne fais aucun commentaire», indique André Noël Essiane, maire et président du conseil d’administration. En fait, selon des sources crédibles à la mairie de Sangmélima qui assure la présidence du conseil d’administration de Sotramas, le problème naît du refus du Dg de contresigner les sorties de fonds avec le receveur municipal de la mairie de Sangmélima.
«Il voulait une double signature sur les documents financiers afin de décaisser l’argent et j’ai refusé parce que je suis seul responsable juridiquement de l’entreprise. Voilà pourquoi il m’accuse d’avoir détourné de l’argent», se défend le Dg limogé. A la mairie, l’on ne voit pas les choses de cette façon. «Dans tous les établissements publics administratifs, le Dg ne signe pas seul les sorties d’argent ; c’est un la réglementation qui l’exige ainsi. Une résolution du conseil lui a demandé, en attendant que sa société se mette en place, de contresigner les sorties d’argent avec le receveur municipal. Et il a refusé. Nous avons pris acte de son refus d’obéir aux patrons que nous sommes et l’avons démis de ses fonctions», souffle un membre du conseil d’administration.
Remplacé par Ferdinand Ella Ella, Timoléon Zo’onyaba, ne l’entend pas de cette oreille. «Ce n’est pas lui le maire qui m’a nommé. C’est le Premier ministre ; il y a un problème de procédure et de réglementation». Pourtant, affirme-t-on à Sangmélima, les statuts de la société prévoient et disent autre chose. «Selon les statuts de la Sotramas, le Dg est nommé par le conseil d’administration aux deux tiers des membres présents. Ce n’est pas nous qui les avons rédigés, c’est le gouvernement et ce dernier n’a rien à voir avec la Sotramas dans laquelle la commune est en préfinancement à hauteur de 400 millions de Fcfa, après avoir mis 150 millions de Fcfa dans son capital et la Ccima 100 millions de Fcfa», explique un membre du conseil sous anonymat.
Ce dernier ajoute : «ce Dg nous a été proposé par le secrétaire général des services du Premier ministre Louis Paul Motaze. On l’a accepté mais on s’est rendu compte qu’il est un incompétent. Tout ce qu’il a fait c’est sortir 130 millions de Fcfa sans qu’on ne voie à quoi l’argent a servi. Tout ce que nous avons fait est légal et on a expliqué cela au Sg/Pm», renseigne un autre membre du conseil.
Le 2 janvier 2015, Louis Paul Motaze, secrétaire général des services du Pm, dans une correspondances aux allures de rappel à l’ordre, a saisi le maire de Sangmélima à l’effet de lui demander de rapporter sa décision et d’observer les procédures et la réglementation en matière de désignation du directeur général de la Sotramas. «Lorsque le président du conseil écarte l’Etat de cette affaire aujourd’hui, est-ce qu’il ignore que c’est l’Etat qui a mis l’argent pour construire l’usine de manioc, et que celle-ci est l’activité principale de la Sotramas. Il ne peut pas dire que l’Etat n’ait rien à voir là-dedans», souffle-t-on à la primature.
Mais pour la Ccima, l’autre actionnaire, le limogeage de Timoloéon Zo’onyaba serait intervenu en violation des textes en vigueur, notamment l’article 33 des statuts de la Sotramas. Et pourtant, des sources dignes de foi font observer que lors de la constitution de la société, les administrateurs de la mairie ont insisté pour que la société soit appelée société d’Etat. Au final, c’est d’une société anonyme à capitaux publics qui sera montée par le gouvernement.
Au-delà de cette situation exceptionnelle sur le plan managérial, l’usine traîne une tare congénitale qui plombe son démarrage selon les experts en agro-industrie. «Une usine comme celle-là ne peut pas fonctionner si on n’a pas identifié les sources d’approvisionnement en manioc. Or, dans l’esprit des concepteurs, on devait commencer avec le manioc vendu au marché. Ce qui est impensable et impossible parce qu’il faut tous les jours arracher 10 hectares de manioc pour la faire tourner à plein régime», explique Bernard Njonga, ingénieur agronome et homme politique.
Pour la matière première, selon des sources proches du dossier dans les services du Premier ministre, le ministère de l’Agriculture a exigé la somme de 400 millions pour fournir les semences de manioc. Pour les essais à l’usine et ensuite le démarrage des activités, 25 millions de Fcfa ont été remis au représentant des coopératives au conseil d’administration pour l’achat des premières tonnes de manioc devant servir à produire les premiers kilogrammes d’amidon et de semoule. Des questions sans réponse demeurent sur le compte d’emploi de ces fonds.
Avant même que l’usine ne commence à fonctionner, des frais de mission de l’ordre de plus de 80 millions de Fcfa ont déjà été décaissés au profit des administrateurs de la Ccima, plus de 80 millions de Fcfa servis comme perdiems aux membres du comité de pilotage et de suivi logé à la primature.

Pierre Célestin Atangana

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