Cameroun: Elle a eu lieu, La grande marche patriotique. C’était samedi 28 février 2015

Elle s’est déroulée du rond point de la Poste centrale à celui des Services du Premier ministre à Yaoundé. Cette marche était officiellement une initiative des journalistes réunis au sein d’un collectif au slogan patriotique: « Unis pour le Cameroun ». Le collectif était emmené par des confrères bien connus: Guibaï Gatama, Polycarpe Essomba, Parfait Siki, Éric-Benjamim Lamère, Thierry Ngongang. Son but avoué est de « condamner Boko Haram; de soutenir nos vaillants soldats qui se battent au front; de condamner et de dénoncer toute velléité d’où qu’elle vienne d’atteinte à l’intégralité territoriale du Cameroun ».
Cette marche annoncée depuis plus de deux semaines dans la quasi totalité des médias du pays, se voulait un acte exclusivement réservé aux hommes des médias. Hors, samedi dernier à 8h, lorsque les marcheurs entament la remontée du boulevard du 20 Mai vers le rond point des Services du Premier ministre, on est face à un tout-venant: environ douze membres du gouvernement, le président de la l’Assemblée nationale et certains députés, des militants du Rdpc (parti au pouvoir), certains partis de l’opposition, des élèves de l’Institut national de la jeunesse et des sports, (Injs), de certains directeurs généraux des entreprises publiques, et même certains chefs des missions diplomatiques accrédités à Yaoundé se sont joints à la marche. Nous n’étions plus dans une marche des hommes des médias!
Au départ, le collectif organisateur de la marche avait recommandé exclusivement le port de la casquette et du tee short prévus pour la circonstance. Peine perdue: des militants du parti au pouvoir ont ostensiblement arboré les tenues de leur parti, tout comme certains marcheurs incontrôlés, avaient scandé des slogans anti français, sans en justifier les raisons!
Lorsque la « Grande marche patriotique » nous fut annoncée par ses organisateurs, nous en avons pris acte, simplement. Nous avons ouvert les colonnes de Mutations aux articles de mobilisation, tout comme nous avons inséré à titre gracieux les bandeaux incitatifs pour l’événement. Aucune consigne ne fut donnée aux journalistes de notre rédaction pour ou contre la »Grande marche patriotique ». Chacun devait agir en son âme et conscience.
D’un autre côté, nous avons estimé sans influencer personne, que cet appel à marcher pour soutenir nos soldats au front était contre nature pour les journalistes camerounais notamment.
Dans une situation comme celle que traverse notre pays, chacun devrait affuter logiquement l’arme de son métier pour aller en guerre. De cette posture, personne ne saurait dire un seul instant que la presse camerounaise présente un déficit de patriotisme, au contraire. Tous les jours, munis de nos plumes, de nos micros ou de nos caméras, nous informons les opinions. Nos reporters se rendent parfois sur les champs de guerre, en ramènent les échos.
De nos positions éditoriales, nous soutenons nos soldats, les encourageons et dénonçons Boko Haram. Quand nos soldats au front ont un moment de répit, ils lisent, écoutent ce que nous écrivons et disons d’eux et pour eux. Voilà en quoi et comment se manifeste le patriotisme du journaliste. Il n’a pas à le prouver seulement pour avoir martelé 700 mètres le macadam d’un boulevard, ou pour s’être juché théâtralement sur un char, à mille lieux des chutes des douilles.
La marche de soutien ou de protestation est un comportement démocratique inattaquable. Nous marcherons en tête si notre profession était attaquée, ou si les libertés étaient menacées. Nous n’en sommes pas là au Cameroun. Heureusement!
Au cours des jours qui ont précédé « La grande marche patriotique », nous avons ouvert simultanément nos colonnes aux organisateurs de la marche, et à ceux qui la trouvaient inadaptée aux journalistes. Nous étions pourtant très proches des derniers, pour une raison de logique, plutôt que pour des considérations partisanes ou de révérence comme cela est fréquent dans notre milieu. De quelle logique voulons-nous parler? Etayons cette logique par une métaphore.
Les pères fondateurs de l’économie politique, notamment Adam Smith et David Ricardo, défendaient tous les deux, en commerce international, le principe de la « spécialisation ». Ils convenaient que, quand plusieurs biens sont produits dans un pays, même quand vous savez produire tous ces biens, il serait toujours préférable d’avoir une spécialité pour être très performant, et laisser aux autres développer leurs arguments sur d’autres produits. Le résultat global serait qu’il y aurait plusieurs experts sur plusieurs produits, pour le bonheur de tous.
En nous servant de cette métaphore, on pose la question suivante: « Les journalistes camerounais devaient-ils marcher ? » Nous répondons par la négation. Si une marche était absolument nécessaire, les journalistes devraient l’insuffler aux partis politique, à la société civile ou aux syndicats. Ceux-ci seraient alors pleinement dans leur rôle.
En passant aux avant-postes de cette manifestation, les journalistes ont ouvert les flancs à toutes sortes de critiques qui leur seront difficiles à contrer. Ils ont créé une belle opportunité aux politiques de parader et de récupérer cette manifestation à leur compte. Nos confrères ont contribué volontairement ou par ignorance, à détourner sur « leur » marche, l’attention des médias, au détriment des actions revendicatives d’un autre collectif qui commémore lui, chaque année, la mémoire des Camerounais morts pendant les émeutes dites « de la faim » en février 2008.
Sur un autre plan, les Français comprendraient mal que, malgré de solides liens historiques d’amitié et de culture entre nos deux pays, au-delà des régimes politiques qui changent, que ce soient des journalistes camerounais qui organisent une marche au cours de laquelle la France est conspuée !
Voilà des raisons pour lesquelles nous avons estimé que le collectif organisateur de la « Grande marche patriotique, pour un Cameroun uni » avait manqué au principe de la « spécialisation ». Ces confrères doivent reprendre leurs plumes, et retirer rapidement leurs chaussures de marcheurs.

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