Cameroun: Journée internationale de la démocratie, sans démocratie !

C’est le Pr Maurice KAMTO  qui disait à la soixante-dixième page de son ouvrage bien connu publié en 1999 et intitulé, l’urgence de la pensée, réflexion sur une pré-condition du développement en Afrique que,  la démocratie est d’abord un problème avant d’être une réponse.
En effet, disait Jacques BAGUENARD dans un petit ouvrage intitulé démocratie une utopie courtisée,   « s’il existait un panthéon des termes magiques, en voilà un qui y trouverait naturellement une place de choix ; il pourrait même en être le fleuron ». Car dans l’immense maquis des idées sur la démocratie, il s’avère difficile, je l’ai souvent dit,  de dégager une synthèse unanimiste. Winston CHURCHILL ancien Premier Ministre anglais, la définissait comme « la pire forme de gouvernement mises à part toutes les autres formes qui ont déjà été essayées » A cette définition on peut juxtaposer celle d’Abraham LINCOLN, 16ème Président des Etats unis, 1er Président républicain de l’histoire de ce pays qui  gouverna de 1860 à 1864. Ces précisions sont faites pour les plus jeunes qui viennent de reprendre le chemin de l’école.  Sa définition, il l’a donnée le 19 novembre 1863 à Gettysburg : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Définition qui se rapproche de l’étymologie « demos » peuple et « kratos » pouvoir, qui elle, renvoie à un système de gouvernement dans lequel le peuple est souverain.
Le moins qu’on puisse dire, est que la démocratie est une notion « rebelle » qui a un parcours historique « sinueux ». Rebelle d’une part à cause de son ambivalence conceptuelle – tantôt ensemble d’idéaux, tantôt système politique- et d’autre part, à cause de sa perception équivoque et de la confusion dont elle fait l’objet en rapport avec la république. Perception équivoque parce que tout au long de l’histoire, la démocratie a été à la fois critiquée notamment par PLATON et ARISTOTE qui y voyaient le gouvernement des « pauvres » et des « médiocres », mais également adulée notamment par les auteurs des « Lumières » tels que MONTESQUIEU et ROUSSEAU qui en y voyant certes un idéal, la soutendaient tout de même par la souveraineté populaire et à la vertu. La confusion avec la république réside en ce que, démocratie et république originellement désignent des idéologies fort distinctes. La chose publique n’étant pas forcément pouvoir au peuple. Le parcours sinueux quant à lui tient au précédent grec « athénien », puis, à la « ré-invention » du 18ème siècle qui consacre les modèles européens britannique et français, et la démocratie « made in USA ». Face à la pluralité des assertions sur la démocratie, il  nous parait judicieux de cerner la notion simplement en prenant les critères qui la constitue comme étalons.

Pour certains, un pays est démocratiquement gouverné lorsqu’il est doté d’un certain nombre de « pratiques » et d’institutions politiques que sont : des représentants élus, des élections libres équitables et transparentes, la libre expression, des sources d’information diversifiées, la libre association et un large accès à la citoyenneté. Pour d’autres,  deux critères sont indispensables : le suffrage universel et la publicité du débat politique. Ils y  voient  aussi l’absence de corruption, un rempart aux droits fondamentaux, tandis que, un en  particulier qui nous intéresse, le Pr Narcisse MOUELLE KOMBI y rajoute l’alternance politique et la bonne gouvernance. Je précise bien que l’un des chercheurs de renom  qui considèrent qu’un régime politique est démocratique, lorsqu’il consacre l’alternance et la bonne gouvernance, se nomme Narcisse MOUELLE KOMBI. Il l’a dit dans un article scientifique intitulé  « Entre mythe et réalité, une réflexion sur l’Etat de droit en Afrique » publié en 2005 dans le tout premier numéro de la Revue camerounaise de droit et de science politique. Il est vrai qu’en 2013 devenu Conseiller spécial du Président de la République, il a publié un ouvrage dont le contenu plutôt contradictoire sur la question de l’alternance, a quelque peu embarrassé  son lecteur assidu et passionné que je suis. L’ouvrage est intitulé : La démocratie dans la réalité camerounaise: libertés, légitimité et modernité politique sous Paul Biya. C’est vrai qu’avec un tel titre, j’aurais quand même dû me méfier… passons…les problèmes ne sont pas bien.

De toute façon, l’alternance n’est plus un tabou en Afrique et au Cameroun. La Charte africaine de la démocratie des élections et de la gouvernance, la CADEG ratifiée par le Cameroun  15 janvier  2012 et en vigueur au sein de l’Union Africaine, consacre l’alternance  comme prédicat fondamental de la démocratie en son article 23 alinéa 5. Elle considère notamment comme changement anticonstitutionnel  de gouvernement, je cite « tout amendement ou toute révision des constitutions (…) qui porte atteinte à l’alternance démocratique ».
C’est donc clair pour tous, en Afrique aujourd’hui, la règle c’est l’alternance. Il appartient simplement aux populations de s’approprier et d’exiger  leur droit à l’alternance. Et c’est dans cette perspective, que La dynamique citoyenne une association civile bien connue et dirigée par Jean Marc BIKOKO a organisé un débat sur l’alternance sans élections, au Palais des sports de Yaoundé, le mardi 15 septembre 2015.
Le 15 septembre de chaque année  faut-il le rappeler, est Journée internationale de la démocratie, selon les termes d’une résolution de l’Assemblée générale des nations Unies  adoptée le 8 novembre 2007. D’ailleurs ladite résolution, invite les États Membres à continuer de faire en sorte que les parlementaires et les organisations de la société civile aient bien la possibilité de participer et de contribuer à la célébration de la Journée internationale. Alors, comment  se fait-il que d’un côté, les parlementaires sous la férule de Cavaye yéguié Djibril et de certains membres du Gouvernement  aient pu célébré tranquillement cette journée au palais des verres, et que de l’autre, le sous-préfet soit allé interrompre l’initiative d’un débat citoyen sur l’alternance par la dynamique citoyenne au prétexte que l’autorisation ne leur a pas été donnée ? Ça s’appelle musèlement. De quoi a-t-on peur ?

En tout cas, une telle fébrilité, peut paraître étonnante dans un pays où l’ordre gouvernant aime à afficher l’assurance de sa légitimité et la force de sa légalité. Mais , comme disait un penseur, « la mort d’une organisation commence lorsqu’en haut on ne peut plus et en bas on n’en veut plus ». Et pour finir, vous l’aurez compris, c’était très livresque aujourd’hui, citons Jean jacques ROUSSEAU dans le contrat social : « tant qu’un peuple est contraint d’obéir et qu’il obéit, il fait bien ; sitôt qu’il peut secouer le joug et qu’il le secoue, il fait encore mieux ». Il poursuit dans discours sur l’inégalité «  l’émeute qui finit par étrangler ou détrôner un sultan est un acte aussi juridique que ceux par lesquels il disposait la veille des vies et des biens de ses sujets ». Evidemment, il n’y a au Cameroun, ni sultan, ni sujets. Vivons seulement. L’enfer c’est le Burkina Faso… Et c’est très loin bien sûr… ça ne nous arrivera jamais.

Baloum Amchide, 237online.com

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