Pour Mathias Owona Nguini, le Cameroun a peur aujourd’hui de Boko Haram

Après l’attaque lundi de Kolofata, à une dizaine de kilomètres à peine de la frontière avec le Nigeria, la colère monte au Cameroun. Le Cameroun est-il la nouvelle cible du groupe terroriste ? La réaction régionale est-elle à la hauteur de la menace ? L’analyse de Mathias Owona Nguini, politologue camerounais et chercheur à la fondation Paul Ango Ela, invité Afrique de RFI.[pagebreak]En attaquant Kolofata, et son camp militaire lundi, est-ce que Boko Haram a franchi un nouveau pas contre le Cameroun ?
Boko Haram n’a pas franchi un nouveau seuil, il s’agit simplement d’une confirmation de l’implication de ce groupe armé contre les forces de défense et de sécurité de la République du Cameroun. Maintenant, Boko Haram a signé politiquement les actes qui ont marqué à plusieurs reprises des attaques contre la République du Cameroun.

Le Cameroun semble-t-il est rentré dans l’œil du cyclone depuis la mise en garde du chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, au président Paul Biya. Dans une vidéo, Shekau dit « Paul Biya, si tu ne mets pas fin à ton plan maléfique, tu vas avoir le droit au même sort que le Nigeria », la menace est devenue très claire ?
Tout à fait, la menace est claire, mais en réalité Boko Haram agissait déjà contre la République du Cameroun. Il s’agit simplement maintenant, pour le Cameroun, de voir que le danger est confirmé et que les mesures prises pour lutter contre ce groupe armé extrémiste doivent être d’abord préservées et puis renforcées.

Le Cameroun a déployé 6 000 hommes de ses unités d’élite, elle a mené en décembre des frappes aériennes. Est-ce que la réponse militaire est suffisante malgré tout ?
Le Cameroun a riposté et la riposte camerounaise a une certaine consistance. A plusieurs reprises, les membres de ce groupe armé ont tenté de s’implanter durablement sur le territoire camerounais, à chaque fois, ils ont été repoussés. Maintenant, bien évidemment, la réponse militaire ne peut pas suffire. La problématique terroriste est une problématique complexe, elle a évidement un aspect militaire, mais elle a aussi un aspect de police, un aspect sécuritaire, elle a un aspect qui touche à l’intelligence et au renseignement, elle a également un aspect politico-culturelle, qui concerne la nécessité pour les pouvoirs publics camerounais de préserver la paix entre les différentes confessions et d’assurer le dialogue entre les chefs de ces confessions. Il y a également un aspect politique, il est important que les pouvoirs publics prennent des mesures politiques montrant à la région qu’elle est bien une partie du Cameroun. Et enfin, il y a des aspects économiques, le Cameroun, ici, fait face à une réalité qui le dépasse, c’est celle du caractère extrêmement précaire des pays qui ont un environnement sahélien.

Le Cameroun a-t-il peur aujourd’hui de Boko Haram ?
Bien entendu. Le Cameroun, qui a vécu dans une relative sérénité, c’est un Etat de paix et de stabilité, a peur, mais il faut faire preuve de fermeté de courage. Face à la menace, il n’est pas question de se limiter à la peur, il est question pour le Cameroun, aussi bien ses autorités que ses forces de défense et de sécurité que ses citoyens, de faire face à la menace, c’est aussi cela la souveraineté.

On voit bien que Boko Haram a suscité une déflagration régionale, Boko Haram prend le contrôle des trois frontières au niveau du lac Tchad. Est-ce que la force commune des pays frontaliers est aujourd’hui opérationnelle ?
Pour l’instant, la force régionale construite dans le cadre de la commission du bassin du lac Tchad n’est pas opérationnelle. Manifestement, il y a des divergences entre les leaders des Etats de la Commission du bassin du lac Tchad. Il apparaît bien que, quand certain de ces leaders, notamment le président de la République fédérale du Nigeria, Goodluck Jonathan, et le président de la République du Cameroun, Paul Biya, le dialogue est loin d’être parfait.

Pour l’instant, il n’y a toujours pas de rencontre prévue entre les deux chefs d’Etat ?
Il n’y a toujours pas de rencontre et cela est un problème parce qu’au niveau d’intensité où la menace s’exprime au Nigeria est tel, qu’elle est en train de gagner en ampleur en ce qui concerne le Cameroun. Ces deux leaders auraient déjà dû se rencontrer. Et effectivement, les groupes armés tels que Boko Haram et les groupes apparentés tels qu’Ansaru profitent de cette situation pour continuer à développer leur potentiel menaçant.

Est-ce que la collaboration peut être plus efficace et plus évidente entre le Cameroun et le Tchad par exemple ?
Sur le plan de la rhétorique diplomatique, la relation entre le Cameroun et le Tchad semble plus harmonieuse. Mais là aussi au niveau opérationnel, on ne voit pas plus de lisibilité que dans celle qui peut exister entre le Cameroun et le Nigeria et on ne semble pas déboucher non plus sur une volonté matérialisée d’action commune.

La communauté internationale tarde-t-elle, à votre avis, à se mobiliser sur cette menace ?
Bien entendu, pour une partie des tâches de cette lutte contre la menace terroriste, les pays du bassin du lac Tchad ont besoin de l’assistance de ces grandes puissances. Notamment, pour tout ce qui est moyen de reconnaissance et de surveillance au niveau satellitaire et au niveau aussi de l’utilisation des drones. Voilà pourquoi, déjà pour créer un dialogue facilité avec ces grandes puissances, il est important que les pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad arrivent à s’entendre pour développer une action commune. Il faut également dire que la communauté internationale doit faire extrêmement attention à ce foyer qui est en train de s’embraser dans le bassin du lac Tchad, parce que c’est comme ça aussi que les choses ont pu commencer dans la bande sahélo-saharienne autour du Mali.

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