Cameroun – Message: Le discours que Paul Biya ne prononcera pas

Que dira encore le président lundi 10 février 2014, veille de la fête de la jeunesse? Que dira-t-il à une jeunesse abandonnée dont les solutions pour l’épanouissement et l’expression de ses talents ou de ses capacités sont restées sans suite, et qui peine à se trouver une identité et des repères? Est-ce la fin des béatitudes? Les discours lénifiants servis à longueur d’année depuis plus de trois décennies ont fini par scléroser la pensée et annihiler toute capacité d’indignation de la part de la génération Biya, qui a traversé le cap de 30 ans sans que rien ne change à sa condition. C’est justement cette tranche d’âge qui souffre le plus d’un chômage endémique que même de bonnes études n’ont pas réussi à endiguer.
La réalité est ailleurs, dit l’ingénieur Kameni Djouteu. C’est «Celle d’une jeunesse sacrifiée, victime d’une absence des plans de développement culturel, agricole, et industrielle». Abreuvés de discours ou de divinations sans lendemains dont se gargarisent les hommes politiques les éternelles promesses jamais réalisées ne convainquent plus. Les jeunes ont cessé de rêver. Tout a été dit: de l’injonction à retrousser les manches au recours au ciel (aide-toi et le ciel t’aideras) en passant par l’apologie de l’informel. Les illusions de grandes réalisations et d’émergence feront des jeunes sans emploi aujourd’hui, de survivants sans retraite en 2035. Plus grave, la prolifération des nouveaux métiers du Renouveau à savoir les «benskineurs»; les «call-boxeurs»; les parieurs etc, ont mis à mal la petite main-d’œuvre ‘technique’ des ménagères, des aides-maçons, des tâcherons, des dépanneurs électriques etc. Cette catégorie est de plus en plus difficile à trouver.
«Quel Cameroun voulons-nous pour nos enfants?» Personne n’ose plus poser la question toujours sans réponse. Pourtant, «lorsque le président Paul Biya dégageait cette problématique de la jeunesse pendant les premières années de son arrivée au pouvoir, l’optimisme était contagieux. Tout le monde voyait en lui un visionnaire qui avait des surprises agréables dans sa politique pour cette catégorie qui représente plus de 80% de la population. Le désastre qui en a suivi à cause justement du manque de vision et de la mauvaise gouvernance, l’inertie chronique, la gérontocratie érigée en méthode de gouvernement, a installé une déception collective. Notamment en ce qui concerne les lacunes du gouvernement dans sa politique de formation et d’insertion professionnelle des jeunes diplômés ou non diplômés. Du coup, la feymania a fait son lit pour servir de bon exemple». Aujourd’hui lorsqu’on nomme un Camerounais de 50 ans à un poste de responsabilité, on dit que le chef de l’Etat a fait confiance à la jeunesse. Ce qui paraît paradoxal aussi quand on sait que lui-même est entré à la fonction publique à 29 ans, est arrivé au pouvoir à 49 ans, après avoir servi pendant une vingtaine d’années dans la haute hiérarchie de l’Etat. De nos jours, le Cameroun donne l’image d’un pays de fraude électorale, de fraude aux examens, de détournements permanents de deniers publics par de hauts commis de l’Etat, de tribalisme comme mode de gestion du pouvoir, de népotisme, de favoritisme, d’injustice sociale, de dépravation des mœurs, de chômage, de délinquance, d’insécurité et surtout d’infantilisation permanente de la jeunesse, à qui l’on servira le 10 février, une bouillie indigeste que personne n’écoute plus.

Tout ceci, souligne Kameni Djouteu, ne peut trouver ses vrais origines que dans la banalisation de la notion de développement culturel dans le discours sociétal, scientifique et politique, d’une absence d’un engagement politique fort sur les problèmes que le développement culturel est censé résoudre. «Ignorer que le développement culturel peut constituer un avenir pour le Cameroun, c’est ignorer que toute révolution est d’abord intérieure. Car les crises, qu’elles soient financières, économiques ou politiques recouvrent une profonde dose de crise de civilisation. L’exemple de l’Asie qui a fait son introspection pour être aujourd’hui le dragon en est un exemple vivant ».

Que dira Biya demain à ses enfants et ses petits enfants usés par une si longue attente de développement et de progrès social? Un discours de trop ? Quels mots a-t-il encore concocté qui ne soient pas du réchauffé, du prêt à porter démodé, du déjà entendu ? Pourra t-il faire son aggiornamento au profit d’une jeunesse qui ne demande qu’à oublier et à pardonner ce gâchis trentenaire ? Continuera t-il l’a fuite en avant, pour vendre le futur à ceux qui n’ont pas eu de présent, qui n’ont pu exercer leur savoir-faire ni leur dynamisme? Evoquera-t-il pour s’en gargariser les recrutements à la fonction publique ou dans l’armée, seuls employeurs du moment comme sa volonté de conduire les jeunes vers un monde meilleur? Retrouvera-t-il un visage humain pour dire qu’il n’a plus de solution, que celle de passer la main? Une jeunesse volée ne se rattrape pas. Une génération sacrifiée ne se renouvelle pas. Ne vaut-il pas mieux se taire ? La désillusion comme les grandes douleurs devraient être muettes…

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