Le gouvernement invite les députés à vendre le Cameroun au rabais à l’UE





Au moment où la session de juin se ferme, le gouvernement a déposé un projet de loi portant ratification de l’Accord de partenariat économique définitif à l’Assemblée nationale.[pagebreak] Faisant fi de l’avis des organisations de la société civile qui s’y opposent farouchement.
Avec le seul soutien du Gicam, le gouvernement a signé un Accord de partenariat économique (Ape) intérimaire avec l’Union Européenne (UE) en 2007. Celui-ci expire le 1er octobre 2014. Et l’Union Européenne ne cesse de mettre sous pression le Cameroun pour qu’il ratifie l’accord définitif au détriment des négociations menées au plan sous-régional. En dépit de tout, étant le leader économique de la Cemac, il ne fait pas de doute que si le Cameroun ratifiait, un Ape définitif, il impliquerait de facto son application sur toute l’Afrique Centrale.

C’est pourquoi le Ministère de l’Economie du Plan et de l’Aménagement du Territoire (Minepat) multiplie des actions indicatrices de ce que le Cameroun respectera le chronogramme établi. C’est le cas de la 28e session du Comité Régional de Coordination des Négociations de l’Ape, Afrique Centrale et Union Européenne qui s’était tenue à Douala le 21 avril 2014. Cette rencontre à l’instar de celle des instances politiques (Comité interministériel des négociations Ape tenue à Kinshasa en mars) visait la signature d’un Accord régional complet, à condition qu’il soit bien négocié.

Sans que ces négociations n’aboutissent sur le plan régional, le Cameroun dont l’Assemblée Nationale n’a pas d’autre session avant le 1er octobre prochain, a profité de l’enivrement des Camerounais dans l’un de leur opium, le football, pour déposer à l’assemblée Nationale le projet de loi portant ratification de l’Ape définitif à travers le Minepat.

L’Association Citoyenne pour la Défense des Intérêts Collectifs (Acdic) qualifie ce mode opératoire d’«un complot contre les intérêts du peuple camerounais». Et on peut comprendre cette attitude du gouvernement, ce d’autant plus que depuis que cet accord a été paraphé en 2007 et signé en 2009, la quasi-totalité de la société civile, l’ensemble des acteurs et partenaires sociaux, les leaders d’opinons nationaux et internationaux ont attiré l’attention du gouvernement camerounais sur son caractère inique, dangereux et déséquilibré.

Mais pour des raisons inavouées, le régime au pouvoir a décidé de ratifier cet Ape définitif synonyme de conduire allégrement le Cameroun à l’abattoir économique tout en le faisant passer pour un traitre dans la sous-région Afrique centrale. Et pour cause, des patriotes et panafricanistes, expert des questions économiques ne sont pas allés de main morte pour qualifier l’Ape de «Traité Inégal». Et Eugène Nyambal, qui est de la diaspora intelligente a même dans une lettre ouverte au président Paul Biya précisé que : «L’Ape risque en effet d’hypothéquer l’avenir de plusieurs générations de Camerounais et d’anéantir tout effort visant à faire du Cameroun une société de stabilité et de prospérité».

Car, les observateurs avertis sont unanimes que les enjeux autour de l’Ape tiennent sur le plan géostratégique, que le monde est en pleine mutation et l’Afrique est considérée comme le prochain continent émergent compte tenu de l’abondance de ses ressources naturelles et de sa croissance démographique. Ce potentiel est perçu par les partenaires de l’Afrique comme une opportunité à saisir pour alimenter leur croissance et rester dans la course pour l’hégémonie mondiale. C’est pourquoi les intellectuels camerounais des mouvements comme Ecam soutiennent que «La ratification des Ape représente une course solitaire et suicidaire pour le Cameroun».

L’UE frileuse dans un traité similaire avec les USA
Ce d’autant plus qu’incapable de remettre en cause son modèle de développement pour mieux affronter la compétition mondiale, l’Europe a décidé de «chasser en meute» pour capter les marchés africains et lier de manière irréversible la destinée des deux continents avec les Ape. Pour preuve, l’Acdic rappelle que dans un même type de négociation avec les Etats-Unis, ce qu’ils qualifient de «Traite transatlantique de libre échanges», les pays Européens et la France particulièrement y est sceptique.
Le journal Marianne dans son édition du 11 au 17 avril 2014 a titré en grande Une : «Comment les Américains vont nous bouffer». Et dans son dossier d’une dizaine de pages, le journal montre comment les agriculteurs français sont les grands sacrifiés de ce partenariat. Parce qu’ils seront incapables de résister à une concurrence déloyale avec leurs homologues américains. Les mêmes récriminations que ceux des africains et précisément des camerounais. A cet effet, l’Union européenne exige le soutien de l’opinion publique ; et les médias européens, la prise en compte de ses intérêts. «Toute chose qu’elle refuse aux pays Acp», souligne l’Acdic.

Interpellé sur la question, Laurent Fabius, le ministre des Affaires Etrangères de France a déclaré que : «Sur le traité transatlantique. On ne peut pas être contre l’augmentation du commerce mais tout dépend de ce qu’il y a dans le traité concrètement. Si nous sommes capables d’obtenir des avantages pour nous, en termes de pénétration des marchés publics, agricoles, et en même temps que nous savons défendre nos normes, défendre notre identité culturelle, s’il y a des tribunaux qui ne sont pas privés mais qui sont publics, si c’est dans l’intérêt de l’Europe et de la France, personne ici ne va s’opposer par idéologie : non. Si ce n’est pas dans l’intérêt de l’Europe et de la France, le moment venu vous serez consultés et vous direz la conséquence que vous en tirez.» En revanche, pour justifier cette ratification, on met en avant la volonté de promouvoir «l’économie la plus diversifiée de la sous-région», de favoriser l’Emergence en 2035 et de garantir l’accès de nos produits dans l’espace européen sans quotas ni droits de douane. Il s’agit notamment de la banane, de l’aluminium, des produits transformés du bois et des fruits et légumes d’une valeur totale d’environ 200 milliards de francs Cfa par an.

En contrepartie, le Cameroun s’est engagé en 2008 à libéraliser 80% des importations en provenance de l’UE à partir de 2021. Mais selon plusieurs experts nationaux, cette libéralisation pourrait coûter à l’Etat des pertes de l’ordre de 70% des recettes douanières, soit un total de 1300 milliards de francs Cfa en 2023 et 2470 milliards F Cfa en 2030 en sus du coût d’adaptation et de modernisation de l’économie camerounaise qui se situerait autour de 2500 milliards de francs Cfa. Pour inciter le Cameroun à ratifier cet accord, l’UE a mis en place un programme de mise à niveau des entreprises camerounaises à hauteur de 6,5 milliards de francs Cfa en vue de les aider à conquérir le marché européen dans la sidérurgie, la métallurgie, le textile, l’agro-alimentaire, le tourisme, le BTP, l’électronique, la mécanique, le cuir et la chaussure.

Du pipo, car il s’agit de secteurs dans lesquels notre pays ne dispose d’aucun atout pour s’imposer sur le marché domestique ou prendre des parts de marché en Europe compte tenu des contraintes de normes et des barrières non-tarifaires. C’est pourquoi, l’Acdic fait appel à un sursaut de conscience du gouvernement et au patriotisme de nos députés et sénateurs pour qu’ils mesurent avant les impacts de la ratification de cet accord en l’état actuel qui engage leur responsabilité.

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