Alors que le géant de la mobilité Yango célèbre le renouvellement de sa licence pour cinq ans et annonce fièrement son expansion vers Bafoussam, une vague de méfiance se propage dans l’Ouest du pays. Derrière le discours commercial bien rodé du Country Manager Clovis Pilla se cachent des réalités bien moins reluisantes. Entre promesses mirobolantes et réalités du terrain, l’arrivée de cette plateforme étrangère dans la capitale régionale de l’Ouest soulève de nombreuses interrogations.
Les zones d’ombre d’un modèle économique prédateur
L’interview récemment accordée par Clovis Pilla reste étonnamment silencieuse sur les aspects problématiques du modèle Yango. Si l’entreprise se vante de créer « plus de 6000 emplois directs et indirects », elle omet soigneusement de mentionner les conditions de travail précaires imposées aux chauffeurs partenaires. D’après nos investigations menées dans les villes où Yango opère déjà, de nombreux chauffeurs dénoncent un système de commissions exorbitantes qui rognent considérablement leurs revenus.
« Ils parlent d’opportunités, mais en réalité, c’est un système qui nous appauvrit« , confie sous couvert d’anonymat un chauffeur de Douala qui travaille avec la plateforme depuis plus d’un an. « Avec leurs commissions qui peuvent atteindre jusqu’à 25% et la fluctuation des tarifs, certains jours nous rentrons à peine dans nos frais. » Une réalité économique bien différente du tableau idyllique présenté dans les communications officielles.
Bafoussam résiste : la mobilisation citoyenne s’organise
À Bafoussam, l’annonce de l’arrivée imminente de Yango ce trimestre a provoqué une levée de boucliers parmi les transporteurs locaux et une partie de la population. Contrairement aux affirmations de l’entreprise qui prétend apporter progrès et modernité, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer ce qui est perçu comme une menace pour l’économie locale.
« Nous avons observé ce qui s’est passé à Douala et Yaoundé. Ces entreprises étrangères viennent, collectent notre argent et l’envoient hors du pays sans véritable investissement local« , s’indigne Jean. Kamdem, Taximen de Bafoussam. « Nous ne sommes pas contre la modernisation, mais elle doit se faire dans le respect de nos réalités économiques et sociales. »
Ce sentiment est partagé par de nombreux habitants de la ville. Madeleine F., commerçante au marché central et utilisatrice régulière des transports en commun, exprime ses réserves : « Pourquoi devrions-nous confier nos déplacements à une entreprise étrangère alors que nous avons déjà nos moto-taxis et nos taxis qui connaissent parfaitement notre ville ? Ces jeunes qui conduisent les motos sont nos enfants, nos frères. Si Yango s’installe, que deviendront-ils ?«
Sécurité et données personnelles : le grand flou
Un autre aspect préoccupant concerne la gestion des données personnelles. Yango collecte une quantité considérable d’informations sur ses utilisateurs : leurs habitudes de déplacement, leurs adresses fréquentes, leurs données de paiement. Pourtant, l’entreprise reste étonnamment discrète sur sa politique de protection de ces données sensibles.
« Qui garantit que nos informations ne seront pas utilisées à des fins commerciales ou pire, partagées avec des entités étrangères ?« , s’interroge un expert en cybersécurité. « Le cadre juridique camerounais concernant la protection des données personnelles reste insuffisant face à ces géants technologiques. »
La question de la sécurité physique des passagers mérite également d’être posée. Si l’entreprise met en avant son bouton SOS et son système de vérification des chauffeurs, plusieurs incidents non médiatisés ont été rapportés dans les villes où Yango opère déjà. Des témoignages recueillis par notre rédaction font état de comportements inappropriés de certains chauffeurs et de difficultés à obtenir des dédommagements en cas de problème.
Alors que Yango s’apprête à débarquer à Bafoussam avec ses promesses de modernité, les habitants de la ville semblent déterminés à ne pas se laisser séduire par un discours marketing qui masque les réalités moins glorieuses de ce modèle économique controversé. Une résistance citoyenne qui pourrait bien contrarier les plans d’expansion de l’entreprise dans l’Ouest camerounais.