Cameroun – Minatd: La décentralisation victime de l’inertie de René Sadi

Le ministre Sadi

Depuis le déclenchement de la crise anglophone, le diagnostic établit converge sur le déficit de décentralisation comme la cause première des griefs des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Le Cameroun reste un Etat unitaire plus centralisé que jamais, alors que l’une des principales missions assignées à l’actuel Minatd est d’accélérer le processus d’autonomisation des collectivités territoriales décentralisées. René Emmanuel Sadi est à la tête du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (Minatd) depuis le 09 décembre 2011. Lorsqu’il prend fonction, sa feuille de route, telle que définie à l’article 8 (5) du décret n°2011/408 portant organisation du gouvernement, lui donne quatre (04) grands axes d’intervention : l’administration du territoire, la protection civile, le processus électoral et la décentralisation. Après six (06) ans de service, on peut constater qu’il tient avec plus ou moins de bonheur le pari s’agissant des trois premiers domaines d’activité : il a considérablement rajeuni et féminisé le commandement territorial, du moins jusqu’au rang de préfet ; le Minatd est également actif dans la prévention et la gestion des catastrophes et son assistance à Elections Cameroon s’est avérée déterminante pour les sénatoriales, les législatives et les municipales organisées sans trop de casse en 2013. Au sujet de la décentralisation, de légers progrès ont été enregistrés au cours des deux dernières années. Depuis 2015 en effet, les délégués du gouvernement, les maires et leurs adjoints ont désormais une rémunération mensuelle officielle. Effective seulement depuis 2017, ladite rémunération qui est loin de mettre fin à leur clochardisation, réduit tout de même la misère dans laquelle certains chefs d’exécutifs municipaux se trouvaient. Par ailleurs, le gouvernement peut se targuer d’avoir pratiquement procédé, fin décembre 2016, au transfert de l’ensemble des compétences dévolues aux communes et communautés urbaines de par la loi, et d’avoir relevé à partir de l’exercice budgétaire 2014, le seuil de la dotation générale de la décentralisation à 10 milliards Fcfa.

Financements insuffisants
Mais pour le secteur où le Minatd était le plus attendu, un tel bilan n’est vraiment pas élogieux. René Emmanuel Sadi semble d’ailleurs l’admettre dans une tribune publiée le 14 avril dernier dans divers journaux de la place. En fait, et même si Sadi justifie les retards enregistrés dans la mise en œuvre du processus de décentralisation par sa complexité et sa délicatesse, il n’en demeure pas moins que pour l’opinion publique, il s’agit d’un véritable échec du gouvernement en la matière. D’abord, il a fallu plus de six ans, entre 2010 et 2016, pour que soit effectif le transfert de 63 compétences aux communes et communautés urbaines, dont plus du tiers avaient déjà été transférées au 09 décembre 2011. René Emmanuel Sadi aura donc passé six années à rendre aux communes une trentaine de compétences. Son prédécesseur Marafa Hamidou Yaya en a fait presque autant en deux années seulement ! En plus, ce transfert n’est en général pas suivi d’allocations budgétaires conséquentes, ni sur le plan quantitatif, ni sur le plan qualitatif : entre 2010 et 2017, 588 milliards Fcfa ont été transférés à 374 communes et communautés urbaines, pour une moyenne de 196.524.065 Fcfa par collectivité et par an. Un tel montant parait insignifiant, au regard de l’ampleur des problèmes dont les mairies sont saisies. Ces ressources, mises à disposition sous forme d’inscription budgétaires, sont inégalement réparties et leur affectation décidée à Yaoundé, au gré des humeurs des chefs de départements ministériels et de leurs intérêts politiques, sans que les projets financés correspondent aux priorités des collectivités territoriales, ou même à leurs plans de développement.

Collusion entre les maires et les fonctionnaires
Certaines communes commencent à bouder ces financements qui ne répondent pas aux besoins de leurs populations. En 2016, le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’aménagement du Territoire (Minepat) a dû intervenir pour retirer la gestion de quelques projets d’investissement publics à des maires du Social Democratic Front (SDF) du Sud-Ouest pour la confier à l’autorité administrative, motif pris de ce que ces maires refusaient d’engager les dépenses y relatives. C’est également arrivé dans la commune de Bafang dirigée par Pierre Kwemo. De même, ces ressources, une fois affectées, échappent totalement au contrôle de l’Etat du fait des nombreuses compromissions et collusions entre les magistrats municipaux et les responsables des services du Minatd et des autorités administratives en charge du suivi des activités des communes. Toutes choses qui ne permettent pas d’évaluer, à date, l’impact réel des financements ainsi octroyés par le pouvoir central à ces collectivités. Alors qu’il avait visiblement toutes les cartes en main grâce au travail de déblayage de son prédécesseur, René Sadi n’est pas non plus parvenu à mettre en place les régions, qui constituent la deuxième catégorie des collectivités territoriales décentralisées.

Des lois et règlements encore attendus
Pour justifier cet autre grand retard, le gouvernement donne plusieurs des raisons : la progressivité du processus, la nécessaire démarcation entre les compétences de l’Etat central et celles des régions pour éviter tout risque de confusion avec le fédéralisme, la rareté des ressources pour le financement de leur fonctionnement ou encore la complexité des procédures législative et réglementaire qui empêcherait que les lois et règlements relatifs au statut de la fonction publique locale (statut des personnels et des élus locaux), au fonctionnement des régions et à l’adaptation du Minatd soient enfin pris. En réalité, il s’agit là d’arguments que M. Sadi aurait du mal à défendre. La mise en place progressive des institutions, bien que tirée de la Constitution, ne saurait justifier ni l’inertie du gouvernement, ni son incapacité à produire les instruments juridiques encore attendus, surtout qu’il a juste fallu deux ans pour que les lois de 2006 soient élaborées, adoptées par le parlement et promulguées par le président de la République. Même l’hypothèse d’une éventuelle augmentation des charges publique consécutive à l’autonomisation des collectivités territoriales décentralisées ne saurait prospérer. Le renforcement des communes et le démarrage des activités des régions devraient amener l’Etat à réduire considérablement ses propres charges de fonctionnement. Plutôt que de chercher des ressources supplémentaires pour le financement des services publics locaux, le défi du gouvernement serait de trouver la bonne formule pour que le transfert des compétences projeté à l’échelle régionale soit effectivement suivi d’un transfert de moyens conséquents. Cela suppose que les fonctionnaires de différents départements ministériels qui s’empressent de se débarrasser de leurs compétences tout en faisant de la rétention des moyens, libèrent effectivement les ressources, non plus sous la forme de délégation de crédits, mais de subventions dont les communes et les régions auraient l’entière liberté de gestion et d’affectation. Une telle réforme pourrait bien être portée par le Minatd au niveau gouvernemental. René Sadi dont on connait la proximité avec le président de la République et l’écoute dont il bénéficie tant auprès du Premier ministre que de ses collègues pourrait, s’il le souhaitait, la faire rapidement aboutir.au même titre que toutes celles qui piétinent encore. Puisque le temps des responsabilités est venu, le ministre de l’Administration territoriale et ses collaborateurs doivent assumer les leurs en reconnaissant un manque d’ambition dans le domaine du transfert des compétences et des moyens de l’Etat central vers les collectivités territoriales décentralisées. Cette inertie n’est pas qu’une tare administrative, puisque ses conséquences sont éminemment politiques. C’est donc une faute politique majeure dont l’épicentre se trouve au Minatd mais qui irradie tout le pays avec un vrai risque de désagrégation de la société camerounaise. Il est donc urgent de poser des actes conformes à la volonté populaire et à l’ambition constitutionnelle de permettre aux populations de participer directement à la gestion des affaires qui les concernent.

Dissiombi Langa
Expert des questions de décentralisation

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