Cameroun : Pourquoi Maurice Kamto est en prison (Achille Mbembe)

Le Professeur Maurice KAMTO est l’un des meilleurs juristes de notre continent.

Dans son domaine de spécialisation, il jouit du plus profond respect de la communauté internationale des femmes et des hommes de droit. C’est aussi un universitaire de très haut vol. Auteur de travaux remarques, il est l’un des fleurons de notre intelligence commune.

Dans un pays normal, ses lauriers appartiendraient à toute la nation. Celle-ci, en retour, n’éprouverait qu’honneur et fierté au regard des accomplissements de l’un de ses valeureux fils.

Malheureusement, nous ne vivons pas dans un pays normal.

Beaucoup d’entre nous sommes nés sous la tyrannie, avons grandi sous la tyrannie, sommes en train de vieillir sous la tyrannie et mourrons sans doute sous la tyrannie.

La tyrannie est devenue comme notre condition. Elle a détruit nos esprits et nous a fait perdre jusqu’au sens commun. Elle nous a dressé les uns contre les autres, comme si nous n’avions plus rien à perdre – ni vie, ni dignité, un ramassis de déchets, des déchets d’hommes et de femmes prives de tout futur.

Les maitres de l’obfuscation et les apologètes de la stagnation en ont profité, qui tentent de nous convaincre que la servilité est notre meilleur destin. Ils nous menacent et nous couvrent d’insultes, cherchent à nous intimider ou nous brutalisent carrément lorsque nous leur opposons résistance et refus.

C’est ce qui est arrivé au Professeur Maurice KAMTO, aujourd’hui l’un des plus prestigieux captifs du plus vieux des tyrans africains postcoloniaux.

Le tyran ne détient pas que le juriste et l’universitaire, notre collègue.

Plusieurs centaines d’autres – hommes et femmes, anglophones et francophones, tous âges confondus – sont entasses dans ses geôles infectes. Beaucoup sont soumis a des traitements cruels, dégradants et inhumains.

Il faudra le répéter tant que cela sera nécessaire. Le Professeur Maurice KAMTO n’a strictement rien à faire en prison. Le plus vite ils le libèrent, le mieux ce sera pour tous.

Sa place est parmi nous, en liberté. Lui et tous les autres. Et il n’y aura aucun dialogue véritable au Cameroun qui ne passe par la libération inconditionnelle de tous les prisonniers d’opinion et autres activistes.

Maurice KAMTO n’est pas seulement un universitaire. Il est aussi un homme politique. Certains lui en veulent pour avoir servi le tyran en tant que Ministre délégué de la justice. A ma connaissance, nul ne lui reproche d’avoir vidé les caisses de l’Etat ou de s’être rendu coupable de quelque crime que ce soit.

Ils lui en veulent pour n’avoir pas rendu sa démission au moment où le gouvernement s’est livre, en 2008, a des tueries restées jusqu’à ce jour impunies.

D’autres lui reprochent de s’être trempe dans la rédaction d’un Code pénal liberticide, et d’avoir exprimé son opposition à la limitation des mandats présidentiels lors d’une de ces révisions de la Constitution dont la tyrannie est si familière.

D’autres lui en veulent tout simplement parce qu’il serait Bamiléké, auquel cas il faudrait, sans ménagement, les renvoyer à leurs turpitudes.

D’autres encore lui reprochent de se laisser adouber par des psychopathes de l’identité et de prêter l’oreille aux sirènes du suprématisme ethnique – ces saltimbanques qui ne passent pas un seul jour sans lancer des appels aux massacres intercommunautaires.

Maurice KAMTO n’est pas en prison pour cause de ces griefs, à supposer qu’ils soient effectivement fondes.

Maurice KAMTO est en prison pour une et une seule raison. Il représente un énorme facteur de nuisance dans la course désormais engagée en vue d’une succession de gré a gré.

Le tyran est en effet encercle par ses créatures, des vautours qui reniflent la fin. Physiquement diminue malgré les mises en scène, il peine à les tenir en laisse. La saison de la dévoration a commencé. Et s’il n’y prend garde, c’est lui-même qui risque de passer à la trappe.

Autour de lui, au sein de la tribu, de la caste, de la secte et des nombreux réseaux (c’est ainsi qu’il aura gouverne), c’est à qui va décapiter avant d’être décapité.

L’enjeu, c’est la succession. L’objectif est de manufacturer une succession à huis-clos, de gré a gré, qu’il s’agira, s’il le faut, faire passer en travers de la gorge des Camerounais.

Selon ce schéma, Maurice KAMTO (et son mouvement) est une énorme nuisance parce que dans des sociétés comme la nôtre et au sein desquelles n’existe ni véritable contre-élite, ni mouvement social trans-ethnique et transrégional, ni lutte armée conséquente, le changement ne peut venir que de l’intérieur même du système. Sous la forme d’une implosion interne, ou sous la forme d’une dissidence et segmentation, une coalition d’anciens membres de l’élite dominante se regroupant pour constituer un nouveau pôle hégémonique, avec des appuis potentiels au sein de l’armée, de la police, des services de renseignements, de l’intelligentsia et des milieux d’affaires locaux et internationaux.

On n’en est pas encore là. Mais aussi difficile que soient les conditions de sa réalisation, cette option existe. Du moins en théorie.

KAMTO est un facteur de nuisance parce qu’en continuant de contester les résultats de la dernière élection présidentielle, il insiste indirectement pour que l’on remette au centre du débat sur le présent et le futur du Cameroun la question de l’alternance. Or, a l’heure où l’on est, la question de l’alternance est l’autre nom de la question de la succession et vice-versa. Il est devenu pratiquement impossible de séparer les deux. Idem pour le débat sur la forme de l’Etat, ou même la question anglophone.

Pour le reste, la guerre des clans au sein du régime ne cesse de s’intensifier. Sur fonds d’assombrissement de l’horizon local et international.

Le blanc-seing dont jouissait la tyrannie sur le plan international est en passe de lui être retire. Il ne peut plus massacrer à huis-clos.

Ceci ne signifie pas que la tyrannie est à genoux. La pression internationale à elle seule ne suffit pas à faire tomber les régimes les plus pervers. Sans une forte mobilisation sociale interne susceptible de les pousser à la faute, de nombreuses tyrannies peuvent résister longtemps aux pressions externes, les sanctions ciblées y compris.

Les Camerounais ne doivent donc guère s’attendre à une libération par procuration. De tels répits, souvent, ouvrent la voie à de nouvelles servitudes. Il faudra compter sur ses forces propres. Il faudra « construire » ces forces.

C’est à ce travail que s’était consacre, en toute légalité et de façon non-violente, le Professeur Maurice KAMTO et les centaines d’autres, a présent des otages du tyran.

Trop souvent, dans notre histoire, nous nous sommes laves les mains, lorsque la tyrannie a frappé ceux et celles qui ont osé prendre notre défense.

La cause que défend Maurice KAMTO est juste. Il la défend avec des moyens justes et raisonnables. Il est un des valeureux fils de notre pays. Son sort, comme celui des centaines de prisonniers et activistes, est entre nos mains. Il nous appartient de les défendre, activement et publiquement.

Voilà pourquoi il nous faut, en chœur, réclamer leur libération en tant que condition essentielle pour tout dialogue véritable dans ce pays.

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