Titus Edzoa : « Le temps a empiré la situation que je dénonçais il y a 25 ans »

Titus Edzoa

L’intégralité de la déclaration hier de l’ex-Secrétaire général à la présidence de la République Titus Edzoa à l’occasion de la commémoration de sa sortie de prison il y a huit ans.

Chers Amis ;
Le 20 avril1997 ;
Le 24 février 2014.
Deux dates pas comme les autres. J’ai cru utile, aujourd’hui, de vous les faire revisiter, et   travers vous, la Nation Entière au moment o  notre pays, dans une angoisse particulière, doute de son propre destin.
Vous savez, dans l’Impermanence, le temps fuit dans l’irréalité, nos consciences limitées ne parvenant pas spontanément   le saisir, car le temps est cette image essentiellement mobile de l’immobile éternité.
Et pourtant, de temps en temps, dans de rares occasions, l’homme réussit l’imprégner d’actes tout aussi intemporels, mais puissants, dont la résonance peut se perpétuer au plus profond des consciences.

HIER

Le 20 avril 1997, un jour pas comme les autres : une démission d’un gouvernement, assortie d’une déclaration de candidature à l’élection présidentielle, créait un véritable séisme socio-politique. Je venais dénoncer, avec fracas, dans un ciel faussement serein, un système politique déjà  ampoulé de l’extérieur, mais pourtant vide  à l’intérieur, faute de projet ; progressivement en 10 ans, j’avais découvert une auto-déréliction des plus insoupçonnables. J’en paierai fortement le prix :
‐ 17 ans de torture particulièrement barbare, avec l’intention ostentatoire de me donner la mort : un cachot pour tanière, de moins de 9 m2, sans ouverture sinon une petite fissure sur l’une des 3 portes blindées, véritable repaire sous-terrain infect, obscur, suintant d’humidité  glaciale, refuge de rats, de reptiles, de blattes, de moustiques, dans la forteresse secrète du Secrétariat d’Etat à la Défense, sous la haute autorité d’un de leurs féroces bourreaux, sous la garde permanente de 2 corps d’ lites de la Gendarmerie Nationale le GPIGN et le SCRJ ; 22 heures de réclusion/jour pendant 7 ans, et 20 heures de réclusion/jour pendant 10 ans… (grâce au CICR).

‐ J’aurai, en même temps, l’honneur de découvrir l’aspect le plus basochien de notre Pouvoir judiciaire et de ses annexes : retrait illégal de mon passeport 2 jours seulement après ma démission, suivi d’une mise en résidence surveillée obligatoire, sous la garde du GSO ;
‐ Le 3 juillet 1997, je suis enlevé de mon domicile par le GSO et la Garde présidentielle, appuyée de chars (sic !), manu militari, vers le Procureur de la République, sans convocation préalable, sans mandat d’arrêt, ni d’amener ; je serai inculpé  en coaction de d tournement de fonds publics fictifs et mis sous mandat de dépôt à la maison d’arrêt de Kodengui ;
‐ 19 jours plus tard, en pleine nuit, je serai transféré au SED, sans aucun justificatif, sinon celui d’approfondissement d’enquêtes imaginaires ;
‐ Le 3 octobre 1997, je serai condamné  dans une ambiance kafkaïenne, à 3 heures du matin,  à 15 ans fermes avec confiscation de tous mes biens, pour tentatives de d tournements (COPISUPR), sans assistance de mes Conseils, ni m me d’un Conseil de fortune prévu par la loi.

‐ Après 16 ans de cachot, rebelote : je serai recondamné à 20 ans de prison fermes, pour la même cause, après avoir changé, la veille du verdict, 2 des 3 juges de la collégialité ; la condamnation sera à la majorité et non à l’unanimité; la suite, sans commentaires…
‐ 18 février 2014. Un décret présidentiel tout aussi alambiqué (truffé de grossières erreurs) que la saga tragique que je venais de vivre, venait ordonner ma sortie de la caverne de la mort.
‐ 24 février 2014 : je recouvre la lumière du jour de citoyen. J’ai pardonné, libéré par moi-même depuis fort longtemps du joug mortifère de mes bourreaux ; c’est ce qui me permet aujourd’hui, de venir  changer avec vous, chers amis, sans acrimonie aucune, des problèmes qui taraudent notre pays.

AUJOURD’HUI

Le temps a inexorablement empiré la situation que je dénonçais il y’a 25 ans :
‐ L’affadissement des institutions républicaines s’est transformé en totale incinération : l’Etat a cessé de jouer son rôle de serviteur public et de protecteur civil ; c’est le désarroi ;
‐ Une course effrénée d’enrichissement à tout crin, sans effort et à la hâte, pour une jouissance ostentatoire ; la nation est prise en otage d’une hystérie obsidionale d’un état de siège permanent ;
‐ Une corruption désormais endémique, dans une impunité  déconcertante : véritable ballet symphonique de morceaux choisis de ces milliardaires improvisés, qui plongent la nation dans une profonde déliquescence ;
‐ Une logorrhée médiatique permanente, étourdissante, voire fastidieuse, embarrassant les consciences de futilités, tout en occultant, avec grossièreté, un apolitisme expiatoire de désespoir généralisé ;
‐ Une misère mentale et matérielle dans tous les secteurs vitaux de la nation : culturel, économique, social, politique ; résolument, il ne fait plus bon vivre au Cameroun : euphémisme tacite partagé par la majorité des citoyens ; le Cameroun, en agonie, vit « un suicide assisté » ;
‐ Enfin, une regrettable, abominable, interminable guerre civile fratricide, induite maladroitement par notre incapacité d’assimiler et d’harmoniser des notions essentielles d’unit  et de diversité, pourtant précieuses richesses que recèle notre beau pays… L’Etat a été incapable, jusque-là, d’instaurer la paix, privatisant d’une fa on insidieuse la guerre : privatisation qui a entraîné la   « démocratisation de la mort ». Quel gâchis !!!

DEMAIN

Demain est déjà là ! Au moment où les regards convergent ostensiblement vers le Président de la République, âgé de 89 ans, mille élucubrations s’érigent en certitude. Qui l’eût cru ? Des dauphins ex-nihilo auto-proclamés, jaillissent de partout et de nulle part, scandant sans vergogne, dans une insolence indécente et avec un mépris inqualifiable, son trépas imminent, se visualisant déjà assis sur son fauteuil ! Quel cynisme !
Et pourtant, en poésie, rêve ne rime point avec rêverie ; de même, en prose, les 2 termes ont toujours été antinomiques. Certes, « le Cameroun, c’est le Cameroun » ; mais attention, le Cameroun est la patrie et de tous et de chacun d’entre nous !
A la fin, en patriote et républicain, mon message vient s’adresser  à tous nos concitoyens, en particulier  à la jeunesse, qui occupe une place de choix dans mes luttes politiques et sociales :
‐ « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui regardent sans rien faire »  (A. Einstein) ;
‐   la jeunesse n’est ni bonne, ni mauvaise ; elle est   l’image de son temps   ;
‐ « la jeunesse incarne l’avenir, mais pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir en devin, mais il s’agit tout simplement de le rendre possible » (St-Exupéry) ; c’est ce que nous essayons de faire en permanence, sans violence, mais avec détermination et discernement.
Mon rêve pour mon pays demeure le m me aujourd’hui qu’il y’a 25 ans ; mes convictions d’hier se sont davantage enrichies pour que j’emprunte en ce 8e anniversaire de ma « libération », cette affirmation de Yasha Mounk : « la seule société qui soit capable de traiter la totalité de ses membres avec respect est celle dans laquelle chaque citoyen bénéficie des droits du seul fait d’être citoyen et non son appartenance   tel ou tel groupe particulier » …

Chers amis,
Avant le début de nos échanges, je souhaite vivement partager avec chacun d’entre vous, les 3 valeurs fondamentales qui constituent la base même de mes convictions :
1). Ma référence permanente aux valeurs humaines universelles, tels que la dignité de soi et le respect de l’autre : c’est la raison pour laquelle je n’ai jamais été résigné, malgré tout ce que j’ai vécu et enduré ;
2). Mes origines sociales modestes : elles me prédisposent spontanément à la solidarité, au partage ; j’ai transféré cette disponibilité aussi bien à ma profession qu’à mes activités politiques : c’est la raison pour laquelle le problème du Sud-Ouest et du Nord-Ouest de notre pays me préoccupe particulièrement ;
3). Le travail bien fait et la discipline font partie du répertoire de ma vie quotidienne : c’est la raison pour laquelle je demeure inlassablement actif aussi bien en politique que dans la vie de tous les jours, sans obstination, mais avec lucidité et sérénité.
Désormais, la conjoncture politique et sociale, particulièrement fébrile aujourd’hui, nous interpelle pour une action plus ciblée, non seulement court terme (au-delà des spéculations stériles de la prise du pouvoir), mais surtout moyen et long termes, par des r flexions sur des changements profond ment structurels ; nous proposons :
1). A travers le CAPE (Cercle d’Analyses Politiques et Economiques), un bulletin trimestriel ; il permettra d’approfondir les sujets et les thèmes ad hoc, avec des propositions concrètes pour les problèmes majeurs de la société (Corruption, Constitution, D centralisation, Justice, Santé, Education, Economie…etc.),
2). Un Think Tank encore plus regroupé et plus puissant, pour un nouveau souffle. D’ailleurs, toute suggestion en la matière sera la bienvenue.
3). Ma disponibilité sur la plan professionnel (médical) demeure totale.

Chers amis,
En ce jour, votre présence m’a particulièrement honoré. Je vous remercie infiniment d’être là !!!

Pr. Titus EDZOA, 24 février 2022

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