Cameroun: André-Marie Tala, toute l’histoire de la musique camerounaise

Beaucoup le voient comme le Stevie Wonder camerounais. Tout comme le compositeur et interprète africain-américain, André-Marie Tala est un multi-instrumentiste de génie.[pagebreak] Nés en 1950, l’un et l’autre ont perdu la vue dans leur enfance. Tous deux ont eu une carrière prolifique, avec une vingtaine d’albums studio pour chacun – en un demi-siècle – et un succès qui a fortement imprégné la musique moderne. Pour l’un et pour l’autre, la soul et le blues sont le ferment de leur production artistique. Mais la ressemblance s’arrête là.
André-Marie Tala, qui est sur la prestigieuse scène de l’Olympia, dimanche 17 mai, dans le cadre des célébrations de ses 45 ans de carrière, est tout simplement… André-Marie Tala. Et ce n’est pas rien ! Un monstre sacré de la musique africaine, qui se fabrique une petite guitare en bambou avec des fibres de nylon au milieu des années 1960.
Le jeune homme d’alors ne maîtrise pas plus de trois accords. Mais il s’évertue à reprendre des tubes qui marquent son enfance, dans un Cameroun fraîchement libéré de la colonisation française et britannique : Ottis Redding, les Rolling Stones, Eric Clapton, Wilson Pickett, Fela Kuti, Johnny Hallyday et un peu Claude François…

Très jeune, un virtuose
Quand il forme son premier groupe, les Black Tigers, en 1967, le jeune guitariste est déjà un virtuose. De premiers titres enregistrés dans les studios de Radio Cameroun, de premiers grands spectacles à Douala, la capitale économique, un premier tube en 1972 : Po tak Si nan (littéralement, « laissez Dieu tranquille ! », dans sa langue bandjoun de l’ouest du Cameroun). Le 45 Tours, arrangé par Manu Dibango, est vendu à 80 000 exemplaires.
Po tak Si nan est un mélange de soul, de jazz et de rythm n’blues mâtiné de sonorités traditionnelles camerounaises comme le makossa et le bikutsi. Un genre éclectique que l’artiste dénomme « tchamassi » et qui va le révéler à la scène continentale et internationale.
André-Marie Tala est une icône dont se sont inspirées de nombreuses générations de chanteurs africains : le prodigieux Sam Fan Thomas, autre légende vivante de la musique camerounaise – lui-même découvreur de talents, qui faisait déjà partie du groupe Black Tigers, et qui l’accompagne sur la scène de l’Olympia, ce 17 mai -, les Ivoiriens Magic System et le groupe antillais Kassav. Le mythique guitariste Jacob Desvarieux affirme ainsi : « Il y a des schémas de guitare makossa dans le zouk. »
En choisissant la scène de l’Olympia pour son jubilé musical, André-Marie Tala avait un objectif. « Je veux marquer un nouveau départ et œuvrer à sortir la musique camerounaise du ghetto dans lequel il s’est englué depuis plusieurs années », déclare le chanteur d’une voix posée mais déterminée.

Plagié par James Brown
L’artiste refuse de s’appesantir sur ses succès passés. Je vais à Yaoundé, en 1972, une chanson dans laquelle il dépeint dans une belle poésie les drames de l’exode rural, Nomtema, Sikati, ou encore Bend Skin, qui permit aux Camerounais, au tout début des années 1990, de se réapproprier le genre musical du même nom resté longtemps cantonné aux hautes montagnes herbeuses de l’ouest du Cameroun… « Mon but, avec Bend Skin, était de créer l’harmonie et de renforcer l’unité nationale qui était un peu malmenée à cette époque », explique André-Marie Tala. Selon lui, « un artiste a aussi une responsabilité politique ».
André-Marie Tala accepte à peine de revenir sur l’histoire de Hot Koki : un titre plagié par James Brown en octobre 1978, après un voyage du roi de la soul au Cameroun. James Brown publiera la chanson sous le titre Hustle. Un procès de quatre ans s’ensuivra, que le prince et inventeur du tchamassi va remporter.
« Au-delà de la compensation financière, c’était surtout une victoire morale. Et la reconnaissance de la richesse et du patrimoine du peuple camerounais », se souvient le chanteur.
Dès cette histoire de plagiat, André-Marie Tala devient avec Manu Dibango (lui-même plagié plus tard par Michael Jackson) le symbole de la création musicale camerounaise et une référence pour ce qui est désigné au début des années 1980 « Wold Music ».
Pour l’artiste, son album Trajectoire, paru en 2014, est un retour sur une carrière dense de plus de quatre décennies. Mais il y aborde aussi des questions d’une actualité hautement préoccupante : l’immigration, le chômage des jeunes en Afrique, la gouvernance, les systèmes de santé défaillants. Mais l’artiste se défend d’y égrener un chapelet de misères. Trajectoire est avant tout ce qu’il appelle « un chant afro-optimiste », une manière de prouver que « malgré les maux qui minent le continent, il y a de l’espoir, et des choses formidables s’y font ».

Raoul Mbog

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