Dr Corinne Liégeois : « La drépanocytose ne signifie pas la mort »

Dr Corinne Liégeois

La neurobiologiste en France et présidente de l’association Drépavie lève les préjugés sur cette maladie génétique.

Au mois d’avril dernier au Centre Pasteur du Cameroun, s’est déroulée une session de formation sur la drépanocytose. Pourquoi former le personnel soignant, n’est-il pas assez outillé ?

Non ! La drépanocytose est une priorité de santé publique reconnue par les instances internationales comme l’Organisation mondiale de la Santé (Oms), l’Union africaine et l’Organisation des nations unies (Onu) en 2009. La drépanocytose est la première maladie génétique au monde. Elle est encore malheureusement mal connue du public, des personnes atteintes de la drépanocytose et même du personnel soignant et est négligée en Afrique comme dans le monde. Cette formation s’avère importante parce que la drépanocytose est une pathologie assez complexe. Il faut une formation particulière. Ce n’est pas parce qu’on est du corps médical qu’on connait la drépanocytose. Pour assurer une meilleure prise en charge des patients atteints de la drépanocytose, les professionnels de la santé ont besoin de certains outils et d’éléments ; d’où leur formation.

Quelle est la catégorie des personnels de santé formée ?

Au cours de cette formation, il y avait des médecins généralistes, puis le corps soignant paramédical constitué des infirmiers, des aides-soignants et des sages-femmes, parce que ce sont les premières personnes qui sont généralement auprès des patients atteints de drépanocytose lorsqu’ils arrivent en urgence. Pour bien assurer la prise en charge de ces patients, il est important que ces personnels soient formés, parce que la drépanocytose est une maladie se manifeste par les crises douloureuses ou les crises vaso-occlusives, qui sont des complications de la drépanocytose caractérisées par une obstruction locale de la circulation sanguine, un risque accru d’infections, et l’anémie. Et si aux urgences, le personnel soignant n’arrive pas à détecter la drépanocytose et à poser le premier diagnostic, cela peut être grave pour le patient.

La formation quant à elle, est pluridisciplinaire parce que la drépanocytose est une maladie génétique héréditaire du sang. Cette maladie touche le globule rouge et une protéine bien particulière : c’est l’hémoglobine. On la retrouve dans le globule rouge. Cette hémoglobine porte l’oxygène qui va être transportée dans tous les organes du corps. Alors là, on va toucher les poumons, le cœur, la rate, le foie …. Vous comprenez que la formation ne se fasse pas qu’avec l’hématologue, le spécialiste de la drépanocytose. Plusieurs acteurs entrent en jeu. On parle de l’hématologue, du pédiatre, des infirmières et du gynécologue parce que la grossesse des femmes atteintes de drépanocytose est particulière. Nous avons également besoin du cardiologue et du biologiste qui dépiste et donne le statut de la drépanocytose…

Qu’en est-il des parents, les géniteurs de ces enfants ?

Tout le monde devrait être informé sur ce qu’est la drépanocytose. Beaucoup l’ignorent. 80% des parents en France découvrent la drépanocytose au moment où, elle est diagnostiquée chez leurs enfants. L’on en arrive là parce que les parents n’ont pas fait leurs examens prénuptiaux. Ils ne sont donc pas exempts de la formation, parce qu’avant de parler de la prise en charge, la meilleure prévention c’est : l’information. La drépanocytose est une maladie héréditaire génétique transmise par le père et la mère. La personne atteinte de drépanocytose hérite du patrimoine génétique de ses parents. Avec deux parents AS, il va prendre le S du père et le S de la mère et l’enfant se retrouve homozygote SS. Or, l’on peut avoir deux parents sains. Ils peuvent par exemple être AS et porteurs de l’hémoglobine S. Au moment où ils font des enfants, ces derniers pourront être AA ou AS… Mais c’est un peu comme une loterie. L’enfant peut prendre le S du père ou le S de la mère.

A quel moment exactement les parents se rendent compte qu’ils ont un enfant atteint de drépanocytose ?

Dans les tous premiers mois, le nourrisson bénéficie de la présence d’hémoglobine fœtale. Si l’enfant est malade, cette hémoglobine va disparaître au profit de l’hémoglobine S. C’est à partir du sixième, du septième voire du neuvième mois que l’on peut détecter la drépanocytose parce que l’enfant va manifester sa première crise. Ses pieds et ses mains vont gonfler. Ça s’appelle le syndrome pied-main. C’est une crise vaso-occlusive. Il aura mal. Le sang ne va pas bien circuler au niveau de ses organes. Si les parents n’ont pas fait un diagnostic prénatal, c’est à ce moment que les médecins vont faire un bilan sanguin. A ce moment, le tableau clinique de la drépanocytose s’affiche.

Une fois cette anomalie génétique détectée chez l’enfant, comment doit s’effectuer sa prise en charge ?

La prise en charge est complexe. Elle se fait à plusieurs niveaux. On va avoir la prise en charge d’urgence, parce que la drépanocytose est une maladie d’urgence. Elle cogne et rend triste comme elle veut et quand elle veut. Un enfant ou un adulte peut se sentir bien et mal à la minute d’après, il ressent des douleurs atroces. Il a mal partout, il hurle, impossible de le toucher. Un des traitements de première intention, c’est la douleur. Ce que 100% des personnes drépanocytaires qui arrivent aux urgences veulent est de traiter leurs douleurs, avec des antalgiques. Et là, si ça se complique, nous avons besoin d’un plateau technique adéquat. On doit pouvoir faire l’Imagerie par résonance magnétique (Irm), une des techniques d’imagerie médicale les plus récentes.

Avec l’Irm, il est possible de déterminer la position exacte de lésions autrement invisibles. La circulation sanguine peut être bloquée au niveau de tous les organes. Au niveau de la tête, ça peut causer des Avc (Accidents cérébro-vasculaires). Il faut aussi traiter l’anémie. Il faut faire appel au don de sang. Il y a des personnes qui sont polytransfusées. Tous les mois, elles ont besoin d’être transfusées. Il leur faut tous les jours, l’acide folique pour régulariser leur taux d’anémie. Les malades de drépanocytose ont besoin de la morphine, d’antibiothérapie, puisqu’ils sont vulnérables aux infections…

L’un de vos objectifs est de réduire l’incidence de la drépanocytose au Cameroun. Est-ce à dire que la situation est critique ? Quelles sont les statistiques ?

Selon les statistiques des épidémiologistes, il y a 300 000 enfants qui naissent chaque avec la drépanocytose dans le monde. D’ici 2030, si les populations ne prennent pas conscience, ça va doubler. Au Cameroun, je ne saurais donner des chiffres, il faut consulter les professionnels de santé qui y sont. Je pourrais simplement dire que nous sommes entre 10% à 12% de la prévalence en Afrique.

Quelles sont les causes de cette situation selon vous ?

La majorité des couples ne font par leur diagnostic. Les couples ont besoin de faire des examens prénuptiaux. Ils doivent savoir oui ou non s’ils ont la probabilité de faire des enfants atteints de drépanocytose. Or, une seule prise de sang pour faire l’électrophorèse de l’hémoglobine et on connait son statut. Il ne faut pas confondre avec le groupe sanguin. Il y a une prise en charge pour ceux, qui présentent les possibilités de faire un enfant atteint de drépanocytose. Il y a un manque d’informations. Nous faisons appel aux associations pour sensibiliser davantage. Il y a du travail à faire.

Cette situation est-elle liée en Afrique au contexte économique et au manque de la culture du dépistage ?

Il est vrai que le dépistage n’est pas gratuit. L’électrophorèse de l’hémoglobine, le test qui permet de dépister si oui ou non l’on peut faire des enfants atteints de drépanocytose ou si l’on est drépanocytaire se fait avec des machines très sophistiquées. Cet examen coûte cher. Je crois que le coût d’une électrophorèse de l’hémoglobine varie de 12 000 Fcfa à 25 000 Fcfa. Or, l’on sait que le salaire moyen de certains parents ne permet pas de faire ce dépistage. Cette question peut se résoudre au niveau étatique. C’est la raison pour laquelle, nous menons des plaidoyers auprès des Etats.

Mais il y a des parents qui connaissent leur statut. Ils savent qu’ils ont une probabilité de faire des enfants atteints de drépanocytose et restent ensemble. Quel conseil leur donner ?

Il s’agit d’un problème éthique. L’on ne peut pas traiter ces parents d’inconscients. On ne peut non plus les juger. C’est leur choix. Mais, ils doivent assumer la prise en charge des enfants. Au niveau de notre association, nous apportons une éducation thérapeutique aux patients. Nous essayons d’apprendre à l’enfant à gérer sa drépanocytose. Il faut bien qu’on le leur explique parce qu’ils ont besoin de faire leur vie. Il faut pouvoir leur expliquer qu’ils peuvent faire des enfants, s’insérer dans la vie.

Y-a-t-il des avancées en terme de traitement et de prise en charge des malades ? Si oui est-ce que cela contribue à augmenter l’espérance de vie ?

Si on dépiste le statut de l’enfant tôt, sa prise en charge sera de meilleure qualité. C’est juste une question de timing. L’on peut le faire juste après la naissance de l’enfant. Un enfant qui n’a pas été pris en charge va se retrouver avec des complications chroniques et aigües. L’une des complications est la nécrose de la hanche. La plupart du temps, vous voyez des personnes atteintes de la drépanocytose en béquilles, parce qu’à un moment, elles ne peuvent plus marcher. L’os du fémur est broyé. Il va s’effriter et certaines personnes se retrouvent avec des prothèses. Au niveau du traitement, il y’ a eu beaucoup d’avancées. Hydréa déjà, est un médicament de première intention qui fait des miracles.

Ce médicament change la vie des enfants atteints de drépanocytose et même celle des adultes. Il y’a la greffe de moelle épinière qui se fait. Avec la greffe, l’enfant n’est plus atteint de la pathologie. Ces avancées ont permis à ce que l’espérance de vie des patients, augmente. Dans les pays du Nord ça va contrairement à ceux du Sud où des efforts sont à fournir. Simplement parce que dans les pays du Sud, l’existence des moyens, et des plateaux techniques pour faire les greffes de moelle sont inexistants. Pas de morphine. Certains patients dans ces pays n’ont même pas les premiers soins d’intention. Le travail est encore devant nous. Nous, les associations, les professionnels de santé, les Etats devons joindre nos efforts. Il y a également en cours, la thérapie génique, une très belle piste permettant de traiter la drépanocytose. Mais en Europe on est encore dans la phase d’expérimentation.

Peut-on effectuer un dépistage précoce chez les femmes enceintes et corriger le déficit génétique ?

La recherche médicale a fait des avancées énormes. L’on fait un dépistage anténatal pour voir depuis le ventre de la mère, si le bébé est drépanocytaire ou pas. Cela se fait par des tests de sang et les tests génétiques à la maman et au bébé. A un moment, on parlait de bébé médicament. On repart sur les cellules hématopoïétiques pour que l’enfant ait que des AA. C’est un bébé qu’on conçoit, on va utiliser ce sang pour faire la greffe. Lorsqu’on fait la greffe de moelle. Il est possible de faire la correction thérapie génique.

Et les femmes drépanocytaires enceintes ?

Il y a des années, l’on disait aux personnes atteintes de drépanocytose qu’elles ne pourront pas avoir d’enfants ou faire du sport. Ces allégations sont fausses. Les femmes, tout comme les hommes atteints de drépanocytose peuvent donner des enfants. Mais, l’accouchement nécessite un suivi minutieux. Elles doivent avoir dès le départ, une prise en charge pluridisciplinaire. Elles doivent par exemple rencontrer le cardiologue, préparer le sang pour les transfusions sanguines lors de l’accouchement.

La pathologie mal gérée-a-t-elle un impact sur la société ?

En Afrique, la drépanocytose renvoie à la mort. Nous pensons le contraire. Il est possible de vivre avec, comme un enfant normal, un enfant atteint de l’Autisme ou de la Trisomie 21. C’est la raison pour laquelle, le nom de notre association est Drépavie. On peut aussi vivre avec. L’impact psychologique de la drépanocytose est fort en Afrique et dans le monde. La drépanocytose est la maladie de l’ignorance et, cette ignorance, a un impact dans la société. Certains parents ont honte de leur enfant. Beaucoup pensent avoir péché, beaucoup d’hommes ont répudié leurs épouses. Le monsieur oublie qu’il a donné également son patrimoine génétique. Et comme, ces enfants bouffent de l’argent, puisqu’ils tombent malades tous les jours, les familles sont divisées. Pour elles, ce sont enfants qui portent malheur. Ils viennent les ruiner. Certains se moquent des yeux jaunes des enfants atteints de drépanocytose. On les traite d’enfants sorciers ou vampires. Or, ils ont les yeux jaunes parce que leurs globules rouges éclatent. La drépanocytose est une maladie de l’inégalité entre les pays du Nord et du Sud.

Guillaume Aimée Mete / 237online.com

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